2-2- Des goulets d’étranglement multiples

Les pénuries multiples dont souffre la population sont bien souvent le produit et l’origine de goulets d’étranglement qui donnent l’impression qu’à tous les niveaux l’économie française des années 1944-1947 est victime de dysfonctionnements dont on voit mal par lequel il est possible de commencer à s’attaquer pour relancer la production.

La répartition de la production est perturbée, en particulier au cours de la première année de liberté, par la pénurie des transports. Dans un rapport 4 adressé le 9 février 1945 à la Direction régionale du Ravitaillement général, au préfet et au CDL, Rupert POLFIED, Directeur départemental du Ravitaillement général constate que le programme d’importation de blé “ n’a pas été réalisé par suite des difficultés d’obtention de wagons ” et que même la répartition départementale est difficile car “ la production est en majeure partie à l’est du département ”.

Le cas des fers à chevaux, objet d’une grande banalité technique mais d’une impérieuse nécessité économique pour une agriculture utilisant encore largement la traction animale, est significatif de cette situation.

Le 18 octobre 1945, de LAUNAY, maire de Palinges, en Saône-et-Loire, fait état 1 auprès du préfet d’une grève des maréchaux-ferrants, protestant contre la réduction de 25% des livraisons de fers et de clous au troisième trimestre 1945. Ignorant “ le bien fondé des prétentions des grévistes ”, il insiste sur la gravité de “ conséquences de ce mouvement, à l’époque des semailles ” et attend du préfet que son ‘“ intervention mette immédiatement fin, par un moyen quelconque, à un état de choses aussi préjudiciable à l’intérêt du pays ”’. Dans sa réponse du 14 décembre, le préfet observe que le mouvement se limite au seul Charolais, façon probable de relativiser indirectement la référence de l’élu local à “ l’intérêt national ”, et estime que les artisans avaient ‘“ raison de se plaindre de l’insuffisance de matières premières mises à leur disposition ”.’

Le problème rebondit au printemps suivant. Marc GOUTHERAUT, conseiller général de Bourbon-Lancy, aux marges du Charolais, dénonce 2 auprès du sous-préfet de Charolles Jean PERETTI le “ grave manque de fers à chevaux ” de sa circonscription, à la suite de la non livraison d’une commande de 20 tonnes de ces produits, les forges de Commercy produisant l’acier nécessaire à leur production n’ayant pas elles-mêmes “ reçu le charbon promis ”. Eclairante situation où, à partir de l’insuffisance de la production charbonnière 3 , de loin en loin, on finit à des paysans qui, au moment des semis de printemps et des foins ne peuvent faire ferrer leur chevaux, comprenant probablement mal qu’il en soit ainsi. La situation locale met aussi la trivialité de l’objet fer à cheval en décalage avec la gravité des circonstances politiques. En effet, lors de la transmission du dossier au préfet, le 17 mai, Jean PERETTI ajoute un commentaire personnel où il indique qu’ ‘“ étant donnée la situation politique actuelle du canton de Bourbon-Lancy où M. GOUTHERAUT a besoin d’assurer son autorité en prévision des prochaines élections générales, il me paraîtrait opportun de faire obtenir satisfaction à la clientèle de ce canton afin de faciliter la tâche de ce conseiller nouvellement élu ”’. Finalement, le Préfet DREVON indique au conseiller général, le 29 mai, que le problème ne relève pas de sa compétence, mais qu’il ‘“ demande à l’office professionnel des produits de quincaillerie à Paris, de hâter la livraison de 20 tonnes correspondant aux bons remis par M. GUIMARD, quincaillier à Bourbon-Lancy ”’. La connexion avec des circonstances politiques locales a manifestement facilité l’avancée du dossier.

Ces pénuries touchent des produits issus d’un long processus industriel où plusieurs goulets d’étranglement peuvent opérer. Encore plus étonnantes apparaissent des situations à solution purement locale. Le 18 novembre 1945, le CDL de la Nièvre, réuni en réunion plénière, est amené à prendre des mesures de réquisition de bois pour assurer le chauffage domestique à Nevers 1 . Une telle pénurie peut surprendre pour un des départements les plus forestiers de France. Dans un ordre d’idée voisin le sous-préfet d’Autun Henri VITRIER signale 2 le 13 janvier 1945 au préfet les difficultés rencontrées par les exploitants forestiers, du fait de la pénurie d’avoine et de foin. De ce fait, ils ne peuvent utiliser pleinement leurs chevaux pour débarder et transporter le bois.

Notes
4.

AD 71 Dossier CDL.

1.

AD 1 W722.

2.

Idem.

3.

Le sous-préfet d’Autun signale (AD 71 W123855) au préfet, le 20 avril 1945, que le site de production charbonnière d’Epinac ne dispose que de 300 mineurs contre 950 avant la guerre et que la production quotidienne est tombée de 1000 à 50 tonnes.

1.

AD 58 999W61.

2.

AD 71 W123855.