1-2- Des préoccupations qui passent au second plan pendant le conflit

De la Libération, en septembre 1944, au 8 mai 1945, cette déception grandissante, produit direct des conditions matérielles, passe à plusieurs reprises à l’arrière plan de préoccupations dominées par la situation militaire. C’est tout particulièrement le cas au moment où la bataille des Ardennes suscite inquiétude et angoisse d’assister à un retournement de situation ; c’est alors une période difficile où tous les facteurs conjoncturels jouent négativement. A l’opposé, les victoires qui s’accumulent à partir de mars sur le territoire allemand provoquent un sursaut d’optimisme dont rendent compte des observateurs. Le rapport du commissaire principal de Dijon au préfet indique le 10 avril 1945 que l’opinion est “ tournée vers la marche des événements de la guerre ” et vit dans “ la perspective proche du retour des prisonniers et déportés ”. Le 25 du même mois, le “ bon moral ” de la population est imputé par le même fonctionnaire à la seule situation militaire 2 .

Le sous-préfet VITRIER est pour sa part plus prudent dans l’évaluation du bon moral en vue de la victoire. Ses rapports successifs à son supérieur sont de grand intérêt. Henri VITRIER est en effet le seul sous-préfet communiste de Saône-et-Loire, ancien commissaire aux effectifs, donc politique, des FTPF de la partie du département relevant du CMN. Alors que l’on pourrait craindre de sa part une surestimation de la mobilisation populaire, ce sont au contraire des formulations prudentes et plutôt pessimistes qu’il émet 1 . La réputation d’intégrité intellectuelle du personnage renforce la crédibilité de ses analyses. Le 25 février 1945, il constate que ‘“ face aux carences unanimement constatées des services du ravitaillement ”, “ la masse se renferme dans une attitude hermétique, boudeuse sinon hostile et ne veut rien entendre des abjurations officielles ”’. Au-delà du constat sur l’attitude de la population, c’est bien d’un aveu d’impuissance politique qu’il s’agit ici, formulé sans détours. Le contexte local comme le moment renforcent son poids : nous sommes alors encore en pleine période de transition politique où la proximité de la Libération comme les difficultés de communications donnent aux autorités préfectorales une grande latitude d’action. D’autre part, l’autorité du sous-préfet d’Autun, si elle concerne des zones morvandelles peu dynamiques, s’étend sur l’ensemble du bassin minier et sidérurgique de Montceau-les-Mines et du Creusot, la première ville ayant fourni d’importants effectifs aux maquis FTPF de la zone. Même les perspectives de la victoire ne suscitent dans la population, selon le rapport du 20 avril, que des ‘“ espoirs, sans pour cela susciter dans les cœurs une joie extérieure ”’, la population reste dominée par une ‘“ sorte de mélancolie anxieuse, influencée par les difficultés de l’après-guerre ”’. S’il fait état dans son rapport sur le mois de mai de ‘“ l’explosion de joie délirante des premiers jours du mois ”’, dès juillet il s’inquiète de voir ‘“ la masse populaire retomber dans une atonie douloureuse ”. ’

S’ils n’effacent pas les moments d’explosion de joie, de défoulements collectifs, ces différents documents mettent brutalement en relief le contraste entre l’intensité des attentes et la profondeur de la déception devant les réalités matérielles. Toute une mythologie nourrie d’images bien réelles, mais ponctuelles, tombe pour laisser place à des réalités plus profondes, seules susceptibles d’expliquer l’évolution des consciences, le comportement des différents acteurs sociaux.

Notes
2.

AD 21 41M113.

1.

AD 71 W123855.