2-2- Le réveil d’une certaine agitation sociale

Jusqu’en 1947, les mécontentements divers, engendrés par les difficultés du ravitaillement comme par les lenteurs de la reconstruction ne débouchent sur aucun mouvement social d’ensemble. La présence au gouvernement des forces politiques, PCF et SFIO, contrôlant la principale force syndicale réunifiée, la CGT, la politique du “ retroussons nos manches ” du PCF, contribuent à prévenir toute protestation d’ensemble. Néanmoins, ça et là, des protestations ponctuelles portant le plus souvent sur la question du ravitaillement manifestent l’ampleur du mécontentement et des déceptions.

A Chalon-sur-Saône, la manifestation des ménagères de février 1945 est suivie par une manifestation portant sur les mêmes questions de ravitaillement, mais de nature différente. Alors que la première était à l’initiative de l’UFF peu suspecte de volonté de sabotage de la politique du GPRF, la seconde est décidée par une association familiale liée aux forces conservatrices. Elle donne lieu à une scène inhabituelle où le sous-préfet ROCHAT doit faire front, juché sur une chaise, à la foule déchaînée contre les nouvelles autorités 1 . L’ancien commandant GUILLAUME que l’expérience du maquis prédisposait peu à de telles situations en retira la conviction que les forces vaincues en 1944 n’étaient pas éliminées et que la vigilance la plus rigoureuse s’imposait.

Les difficultés du ravitaillement touchent manifestement fortement les femmes, traditionnellement chargées de “ faire bouillir la marmite ”. Certaines n’hésitent pas à prendre des initiatives pour imposer une distribution. Le 15 janvier 1945, à Pont-sur-Yonne, environ 80 femmes 2 occupent la laiterie “ Les Fermiers réunis ” et obtiennent du directeur une attribution de 50 g de beurre par personne.

La situation au Creusot, où les usines SCHNEIDER emploient 9230 salariés, fait l’objet de rapports 3 alarmistes de la part du capitaine COFFIN, commandant la section de gendarmerie de la ville. Dans son rapport du 17 février 1945, il fait état de menaces de cessation de travail des 1450 ouvriers travaillant dans les ateliers de réparations ferroviaires. La nature de leur activité mesure l’importance du problème, le goulet d’étranglement des transports ferroviaires exigeant une reconstitution rapide d’un parc de locomotives massivement réduit par les destructions et les prélèvements allemands. Le motif du mécontentement est prosaïque : les ouvriers demandent de recevoir des matières grasses en quantités égales à celles perçues par les mineurs en janvier, soit 500 g d’huile et 650 g de beurre. Le 7 mars, le Courrier de Saône-et-Loire signale que 600 ouvriers du Creusot ont manifesté dans la cour de l’Hôtel de Ville, la veille, à l’appel de leur syndicat. Ceci suscite de la part du même gendarme un commentaire assez désabusé sur la situation des consciences dans son rapport du 20 mars au sous-préfet VITRIER. Il y observe que ‘“ les difficultés du ravitaillement permettent aux mauvais Français de rassembler les mécontents et de les dresser contre les pouvoirs publics. Témoin la manifestation du 6 mars dans la cour de l’Hôtel de Ville. Les populations rurales continuent de pratiquer un individualisme outrancier. Jamais peut-être l’égoïsme n’a si bien fleuri. Peu leur importe que les habitants des villes, les enfants n’aient pas l’indispensable, pourvu qu’ils continuent leurs profits… ”’ ‘ 1 ’. Ce rapport est significatif des problèmes des autorités à identifier la cause des “ difficultés du ravitaillement ” et l’attitude des différentes forces sociales. La formule “ mauvais Français ”, exclusivement moralisante, esquive prudemment une caractérisation politique des manifestants, en des temps d’unanimité nationale proclamée. L’appréhension globale des “ populations rurales ” comme des “ habitants des villes ” fait l’économie d’une analyse mettant en relief les victimes de la situation, ce qui tendrait à légitimer leur protestation. Reste que ce rapport est révélateur d’un malaise qui s’installe dans des régions qui furent pourtant fortement ralliées à la Résistance.

Notes
1.

Entretien 6 février 1995.

2.

AD 21 W21423.

3.

AD 71 W123855.

1.

AD 71 W123855.