I-DES SITUATIONS DE FAITS DE GUERRE AUX DEBUTS DU RETABLISSEMENT DE L’ORDRE REPUBLICAIN

1-Au sein du combat libérateur, la préparation de la séquence suivante

Les derniers mois de lutte pour la Libération ont vu la mise en place de structures destinées soit à répondre à des problèmes internes à la Résistance, comme le tribunal départemental FFI que Claude ROCHAT-GUILLAUME, commissaire départemental aux effectifs de l’AS puis des FFI,mit en place à son QG de Cruzille en juillet 1944, soit à préparer la période de transition entre l’effondrement de l’Etat vichyste et la restauration de la République. Cette entreprise déboucha sur la mise en place, parfois dès novembre 1943 donc plusieurs mois avant l’ordonnance du CFLN d’avril 1944, des futures municipalités. Il en fut ainsi à Cluny 1 .

Dans le premier cas, il ne s’agit en rien, selon l’initiateur même du tribunal 2 de se substituer à quoi que ce soit. Resté dans l’histoire sous le nom de “ Tribunal de Cruzille ”, il s’agissait plutôt d’une cour martiale, destinée à ‘“ faire cesser les abus d’une justice impulsive et sommaire, pratiquée par chaque groupe, à la discrétion de son chef…Trop de chefs de maquis avaient la main lourde… ”’ ‘ 3 ’. Présidé par GUILLAUME, ce tribunal est composé de quatre juges dont un représentant de l’AS, un des FTP et un seul juge professionnel, ancien magistrat au Tribunal de Trévoux dans l’Ain, Me MARTZLOFF-Victor ROLLAND. Il fut en effet impossible de trouver un seul homme de loi local pour apporter sa connaissance du droit deux mois seulement avant la Libération. C’est dire les limites des fameux “ services rendus à la Résistance ” dont se prévalurent la plupart des magistrats. L’objectif affiché du tribunal FFI est de rechercher et juger les agents de l’ennemi et les traîtres, instruire les faits de droit commun et les délits commis par des FFI enfin enquêter sur les cas suspects. Les séances se déroulent à Cruzille, sans avocat. Le juge faisant fonction de Commissaire du Gouvernement est chargé de faire état des circonstances atténuantes. L’échelle des sanctions va de quelques jours de détention à la peine de mort. Sur plus de 300 cas instruits en deux mois, il y eut 27 condamnations à mort, dont 7 concernant des Allemands, 15 pour appartenance à des organisations collaboratrices (LVF, Milice) ou “ action délibérée contre la Résistance ”, 5 pour “ brigandage au nom de la Résistance ”. L’existence même de ce tribunal comme son bilan ouvrent toute une série de questions. S’agissait-il d’une justice primaire, relevant d’une “ épuration sauvage ” ? Claude ROCHAT 1 ne revendique pas un statut officiel pour une structure dont il mesure le caractère “ révolutionnaire ”. Il en assume l’ambiguïté, celle d’un tribunal fonctionnant en phase d’insurrection généralisée, au sein d’une zone libérée. Il relevait d’une justice interne aux forces de libération comme du souci de maintien d’un ordre civil embryonnaire. Il apparaît d’autre part que sa création fut accueillie avec soulagement par bien des chefs de maquis 2 ravis de ne pas avoir à décider du sort de leurs prisonniers. Une question corollaire est celle du comptage des exécutions dans le bilan de l’épuration. Mêmes les clarifications d’Henry ROUSSO ne permettent pas de trancher puisqu’il distingue une épuration extrajudiciaire d’une épuration judiciaire, alors que l’on se situe ici à mi-chemin des deux catégories. De plus les 27 exécutés ne relèvent pas de la même configuration, certains, pris les armes à la main contre le maquis subissent un sort que le GPRF avait lui-même scellé, alors que les condamnations pour brigandage relèvent d’un souci de maintien de l’ordre visant à rassurer les populations. Ce dernier objectif ne peut être assimilé à la stricte épuration. Enfin, la relative modestie des chiffres, dans un département où la terreur milicienne et allemande déferle du débarquement à la Libération peut constituer un contre-exemple à la réalité établie par Henry ROUSSO lorsqu’il constate l’importance de l’épuration non légale dans les zones de maquis. Le tribunal de Cruzille, peut-être à la différence d’autres situations comme en Savoie, a joué un rôle modérateur, en pleine zone maquisarde, mais on peut aussi constater, cette fois à l’instar de Henry ROUSSO, que la majorité des cas de peine capitale eussent débouché sur un jugement identique de la part des Cours de Justice de l’épuration légale, compte tenu de la lourdeur des charges. Celle de Saône-et-Loire prononça 38 condamnations à mort. Cette analyse trouve une forme de confirmation dans les circonstances ayant entouré la réalisation d’un important supplément du JSL lors du cinquantième anniversaire de la Libération. L’appel à témoignage, réitéré à plusieurs reprises dans les 83 000 exemplaires du quotidien, s’il eut un écho quantitatif assez massif, n’apporta rien en terme de mise en cause du tribunal de Cruzille. De plus, alors qu’une contribution sur les enjeux de la transition prenait clairement position en sa faveur, aucune réaction négative ne vint des lecteurs, alors que sur d’autres questions, la palette habituelle de points de vue contradictoires concernant cette période s’exprima.

La capacité à concevoir, mettre en place des structures politiques aptes à assurer le difficile moment suivant la Libération, s’exprime elle aussi précocement. Elle concerne la question des municipalités à mettre en place au jour de la Libération. Si le texte fondateur de la question est l’ordonnance du CFLN d’avril 1944 sur l’organisation des pouvoirs, c’est dès le 20 novembre 1943 que, pour prendre l’exemple le plus précoce identifié, les premiers contacts pour constituer un conseil municipal sont pris à Cluny en Saône-et-Loire. Dans Fault pas y craindre 1 , le docteur PLEINDOUX témoigne avoir été contacté ce jour là par Mr MAURICE, professeur à l’ENAM de la ville puis avoir participé à plusieurs réunions clandestines aboutissant à la mise en place d’une équipe municipale prête à prendre le relais du conseil vichyste.

Mais la grande affaire est la création des Comités de Libération. Dans la foulée de la première réunion du CNR, le 27 mai 1943, et en conformité avec sa composition intégrant, au grand dam de certains mouvements, des représentants des partis politiques, les CDL se mettent en place. Ce fut fait, non sans mal, tant les rivalités, les susceptibilités locales, les difficultés liées à l’occupation rendaient l’opération délicate. Ainsi en Côte-d’Or, l’opération se fait dans un contexte et dans des modalités lourdes de différends politiques, particulièrement entre l’appareil clandestin du PCF et la SFIO. Dès le 12 novembre 1943, date de la mise en place du premier CDL (sa composition varia au fil des chutes ou des élargissements à de nouvelles organisations), s’établit un face à face particulièrement agressif entre Marcel ASMUS-DUPRE membre du triangle de direction départemental du PCF et Claude GUYOT-LECHAT, président du CDL, ancien député-maire socialiste d’Arnay-le-Duc. La réunion fondatrice, dont ASMUS ressort 1 convaincu qu’elle fut précédée d’une réunion excluant le PCF et le FN, vit GUYOT reprocher vertement au dirigeant communiste   “l’aventurisme ” 2 dont il aurait fait preuve la veille, en organisant deux manifestations à l’appel du général de GAULLE, au dépôt SNCF de Perrigny et au centre de Dijon, pour commémorer l’armistice victorieux de 1918. Bien que les deux initiatives n’aient provoqué aucune arrestation, GUYOT poursuit ASMUS de sa hargne. D’emblée, le CDL se fonde sur une profonde divergence entre ceux qui veulent le maintenir en veilleuse, dans l’attente de la Libération, et les communistes qui y voient l’occasion de se réintégrer à part entière dans le jeu politique.

Notes
1.

Ainsi qu’en témoigne le docteur Charles PLEINDOUX, in Fault pas y craindre, chronique du régiment de Cluny et du 4e bataillon de choc qui en émana. Edité par l’Amicale du bataillon.

2.

Entretien, 16 août 1996

3.

Claude ROCHAT, op.cit., p. 275.

1.

Entretien, 6 février 1995.

2.

En témoignent aussi bien Georges DEREPAS-MEMETTE, chef de groupe FTPF (entretien du 22 mai 1995) que Rupert POLFIET, ancien dirigeant des MUR de Saône-et-Loire, chef de maquis AS (entretien du 25 janvier 1995).

1.

Fault pas y craindre, op.cit.

1.

Paulette ASMUS, entretien du 2 septembre 1997 et Maurice Asmus, A.P.

2.

Claude GUYOT, Historique du CDL de Côte-d’Or, p.142