2- Aux jours de la Libération, cohabitation de centres de pouvoir multiples, parfois concurrents, issus de processus différents

La rencontre, en des moments à la fois glorieux et difficiles, de situations de fin d’une période et de celles qui préparent la séquence suivante, dans une grande incertitude et confusion de pouvoirs, aboutit à une cohabitation difficile entre des structures d’autorité héritées et d’instances nées du processus libérateur.

Sur le plan civil, subsistent du régime précédent des organismes à fonction théoriquement technique mais que les circonstances ont affublé de pouvoirs qui en font des cibles privilégiées pour la population. Il s’agit principalement des organes du Ravitaillement général. Une partie de ceux-ci sont depuis plusieurs semaines, particulièrement dans des zones sous contrôle de la Résistance, au service des organisations clandestines. Ce ralliement fut souvent, comme en Saône-et-Loire en Bresse chalonnaise dans la zone du maquis de MARIUS, obtenu sous la contrainte et la sincérité de l’engagement de certains de ses fonctionnaires au service de la République restaurée fait problème. De même, la justice et la police, qui à l’exception de collaborateurs comme les commissaires GREGOIRE à Auxerre 3 ou MARSAC à Dijon, voient la plus grande partie de leur personnel rester en place, non sans que cela soulève des difficultés. La cohabitation, la collaboration souvent nécessaires de ces instances avec les organes de pouvoir que sont les commissaires de la République et les comités de Libération nouent forcément des situations difficiles.

Il en est de même des organismes relevant des armées. Plusieurs semaines virent cohabiter les brigades de gendarmerie, les représentants de l’armée régulière et de l’armée américaine, les prévôtés FFI, les commandants de place FFI avec les unités FFI en cours d’intégration à l’armée régulière. Toutes ces instances possédaient une part de pouvoir légal. Les brigades de gendarmerie étaient restées en place durant l’occupation, certaines avaient fait bénéficier les résistants de leur passivité, parfois de leur complicité, avant de se rallier à la suite du débarquement. Quant aux unités FFI en cours d’intégration à l’armée, elles s’attribuaient plus ou moins fictivement des pouvoirs de maintien de l’ordre. S’ajoutaient enfin à cela les Milices patriotiques et les Gardes civiques républicaines qui interviennent elles aussi dans ce processus complexe de remise en ordre d’une région très ébranlée par la guerre. Cette situation, produite par les circonstances, ne peut qu’engendrer une certaine confusion et provoquer des occasions d’empiétement d’autorité.

Enfin existent des situations prolongeant les dissensions internes à la Résistance, tout en anticipant sur les fractures politiques de la séquence suivante. Le 8 novembre 1944, le Directeur général de la Police nationale de Dijon obtient “ un renseignement par une personne digne de foi ” 1 . L’enquête menée par le SRPJ de Dijon établit que le commandant D., commandant les gardes voies et communications du département aurait constitué avec des complices dont un commandant de l’armée, J.P., “ ayant rejoint le maquis le 10 août 1944 ”, soit un mois avant la Libération, un dépôt d’armes “ prises aux FTP ”. La prise n’est pas insignifiante puisqu’il s’agit de 7 FM dotés de 18 chargeurs chacun, 23 fusils et 11 mortiers. Cela réduit à néant le prétexte avancé par D., l’utilisation pour “ garder les voies ”. Les auditions établissent l’appartenance de J.P. au SR du 2e bureau dès 1942 ainsi que celle d’un de ses complices à un maquis lié au SOE. L’affaire se termine par un arrêté du Commissaire de la République MAIREY qui suspend les deux commandants. Il reste une situation liée aux rivalités de dispositifs résistants d’obédience différente, prolongées après la Libération. Il fait peu de doute qu’il s’agissait de se préparer à d’éventuels affrontements entre forces issues de la Résistance, après la Libération.

Les jours de Libération ne sont donc qu’un moment central au sein d’un processus de préparation puis de mise en œuvre de l’élimination des héritages des temps de collaboration et de la restauration de l’ordre républicain. Il apparaît que ce processus voit cohabiter des formes de pouvoir héritées avec des instances plus ou moins légales, plus ou moins révolutionnaires issues de la Résistance. Cette cohabitation met face à face plusieurs légitimités, celle de la continuité de l’Etat, celle de la volonté de restauration à l’identique d’une République parlementaire à laquelle l’entreprise du CNR a donné quelque crédibilité, celle de la dimension révolutionnaire du fait maquisard. Au cœur d’une situation de vide de l’autorité, cette complexité ne pouvait que susciter des situations difficiles, mettant plusieurs de ces parcelles d’autorité en face à face plus ou moins hostile.

Notes
3.

AD89, 6W25450. Commissaire spécial, René GREGOIRE fut condamné à mort par la Cour de Justice de l’Yonne le 20 avril 1945.

1.

AD21 40M115.