2- Des intervenants multiples dans le maintien de l’ordre

Non seulement l’intervention dans un même domaine de plusieurs types d’instances et d’acteurs sème un certain trouble, mais celui-ci est accentué par la faible légitimité de certains d’entre eux. C’est particulièrement le cas des services de police qui ont largement participé à la lutte contre la Résistance et dont l’épuration, tardive et partielle, laisse en fonction des personnages au passé douteux. Dans son rapport de novembre 1944 à la Direction générale de la Police nationale 1 , le Commissaire de Police de Nevers fait état des résultats d’une enquête diligentée à la suite d’une demande du président du CDL de la Nièvre. Celui-ci s’étonne que l’enquête sur le meurtre d’un ancien conseiller national ait été confiée à trois inspecteurs venus de Dijon qui avaient déjà sévi dans les mêmes lieux en 1942-1943. Les investigations des policiers nivernais au sujet de leurs collègues aboutissent à l’arrestation de deux d’entre eux, accusés d’avoir contribué à des arrestations de résistants.

La pratique des contrôles routiers, exigés par la lutte contre le marché noir et effectués par des organismes divers, aboutit parfois à des drames. Le 4 novembre 1944, le préfet JACQUIN informe 2 Jean MAIREY d’un “ tragique incident ”  intervenu à Entrains-sur-Nohain près de Cosne-sur-Loire (58). Une voiture interceptée par un barrage installé par des membres de la Milice patriotique locale a ouvert le feu et tué un des miliciens, “ père de 7 enfants ”. La voiture était en fait celle de FFI de Clamecy “ qui se croyaient sans doute attaqués ”.

Dans leur première note suivant la Libération, les Renseignements généraux de Dijon informent 1 la Direction générale de la Sûreté nationale le 16 septembre de fréquents incidents opposant des fonctionnaires de police à des FFI. Ils estiment que de graves incidents auraient eu lieu “ si les gardiens de la paix n’avaient pas fait preuve de diplomatie, voire même d’abandon des droits que leur donne leur fonction ”. Cette dernière formulation signifie très prosaïquement que les policiers ont renoncé à contrôler les FFI. Formulé quelques jours après la Libération par une structure policière qui a traversé la guerre sans particulièrement manifester d’états d’âme, ce regard sur une situation mettant en vis-à-vis une règle déconsidérée et les faits issus du combat libérateur est révélateur des questions mises en œuvre en cette conjoncture.

Le 8 novembre 1944, le sous-préfet de Sens transmet au préfet d’Auxerre 2 une liste d’interventions de FFI, au titre du “ maintien de l’ordre ”. Arrestations pour interrogatoire, y compris d’un maire, détention pour ivresse et réquisitions constituent une longue liste où, selon le sous-préfet, les services de police se sont vus déborder par les actes incontrôlés des FFI.

Les mises en garde et interventions des organes officiels pour juguler ce phénomène n’aboutissent manifestement pas rapidement puisque qu’en janvier 1945, un chef d’escadron FFI de la Nièvre transmet 3 un bilan de ses actions en matière de lutte contre les trafics économiques. La première quinzaine du mois se solde par 50 PV, 28 pour transport illicite, 20 pour hausse illicite, l’identification de 2 centres d’abattage clandestin et de 2 lieux de trituration illégale. Cette situation permet d’identifier l’ambivalence de la situation : le fait que nous disposions d’un rapport officiel exclut une action incontrôlée. Cela signifie que tout en travaillant à réduire progressivement la latitude d’action des organes issus de la Résistance, les instances préfectorales leur laissent encore une marge d’intervention.

L’identité même de ceux qui procèdent à des interventions fait parfois problème. Le 2 février 1945, un véhicule de la maison de vins METROP de Mâcon fait l’objet d’un contrôle sur la route menant à Cluny, avec prélèvement d’une partie de la cargaison de vin et d’alcool. Suite à la plainte de la victime, une longue suite d’échanges épistolaires 1 se déroule pendant deux mois entre sous-préfet, préfet, subdivision FFI, mairie de Cluny, commandant de la Garde civique républicaine de Cluny, soit pour mettre en cause, soit pour se disculper. Finalement le dossier est clos, sans que l’identité des intervenants ait pu être établie. Les hypothèses envisagées mettent en jeu gendarmerie, police, FFI, GCR. Cet épisode est révélateur de la dispersion de l’autorité, cinq mois après la Libération.

Ces situations voient donc intervenir dans le retour à l’ordre trois catégories d’organes, issus de l’Etat vichyste, du combat libérateur ou du processus de restauration républicain, d’où une grande confusion et des portes ouvertes à de multiples incidents.

Notes
1.

AD58 9991926.

2.

AD58 999W1947.

1.

AD21 40M249.

2.

AD89 1W319.

3.

AD58 999W1926.

1.

AD71 W120154.