La cible de la grande majorité des attentats est constituée par des collaborateurs, au moins présumés tels.
Parmi eux, ce sont les commerçants qui sont particulièrement visés, dans ce cas sous forme d’explosifs placés devant les magasins, avec des effets allant de quelques éclats de bois à une destruction totale, les vitres du voisinage souffrant particulièrement comme à Châtillon-sur-Seine où les 3 attentats du 24 novembre 1944 ont brisé “ un millier de vitres ” 2 . Souvent accompagnées d’inscriptions vengeresses, ces actions peuvent prendre un sens plus large. Dans la même ville de Châtillon, la série d’attentats des 24 et 27 août 1945 est suivie la nuit du 29 au 30 de l’affichage de textes qui appellent les ouvriers de la ville à refuser de travailler sur les chantiers des bâtiments détruits, enjoignent un industriel qui a fermé son entreprise à la Libération de reprendre son activité, exigent des commerçants qu’il respectent le prix de la taxe 1 . Il s’agit donc là plus qu’un simple règlement de compte mais une véritable substitution aux pouvoirs légaux pour imposer certaines règles. L’enquête, avant clôture du dossier, a pu établir qu’il y avait derrière cela “ une véritable organisation ”, dirigée par la veuve d’un médecin fusillé, avec six exécutants dont trois déportés. La participation d’éléments militaires est d’ailleurs souvent observée comme à Autun où le 16 août 1945 la devanture des charcutiers MONTEBOURG est détruite par explosif, des témoins ayant reconnu dans le groupe “ un uniforme militaire ”.
D’anciens cadres de l’Etat vichyste sont eux aussi une cible. Dans le bilan des attentats de 1945, les services du Commissaire de la République estiment 2 que lorsqu’il visent un ancien élu ou responsable nommé par Vichy, ils interviennent souvent “ après une mauvaise épuration ”. C’est le cas de l’explosion provoquant “ des dégâts importants ” qui survient à Fourchambault (Nièvre) la nuit du 4 au 5 janvier 3 au domicile de B., commandant de gendarmerie en retraite, ancien maire de Garchizy pendant l’occupation après sa nomination en 1941, ancien commandant des gardes des voies de communications de la Nièvre. Le rapport concernant l’attentat précise que dans ses fonctions “ il exécutait les ordres reçus avec une discipline inflexible ”, que “ pas franchement collaborateur, il avait la réputation d’être vichyste à 100%”. Interné le 25 septembre 1944, il est libéré le 29 janvier 1945. L’attentat est imputé à des “ éléments communistes ”.
Le troisième catégorie de collaborateurs visés est constituée par les dénonciateurs. L’attentat de Lormes fait suite à la condamnation d’une dénonciatrice de résistants par la Cour de Justice de la Nièvre à “ seulement 5 ans de travaux forcés ”. Elle avait bénéficié d’un certificat de “ bonne moralité ” de la part de 10 habitants de la ville, au grand dam du reste de la population, dans une zone morvandelle ayant particulièrement souffert. A Paray-le-Monial, c’est un couple de dénonciateurs qui est abattu par celui qu’il ont contribué à envoyer en déportation, Jean B., fonctionnaire de police. Il avait juré à Buchenwald que s’il revenait, il exécuterait les responsables de son arrestation, ce qu’il fit en 1946. Jugé en 1948 par la Cour d’Assises de Saône-et-Loire, ce policier fut acquitté à la suite d’un procès où il bénéficia de la défense de Me Catherine AMAR, veuve de l’avocat de Georges MANDEL, mort à Orianenbourg, elle-même survivante de Ravensbruck et qu’un déporté de Paray-le-Monial 1 , ayant accompagné son mari dans ses derniers instants, avait sollicitée.
De loin beaucoup moins fréquents et limités à quelques cas sont les attentats visant des hommes occupant des poste de responsabilité à la Libération. Le premier visé est Pierre DENAVE, maire de Mâcon nommé par le CDL, membre du MLN. Son domicile est la cible, dans la nuit du 13 au 14 septembre 1944, d’un attentat sans gravité matérielle, ressemblant plus à un avertissement qu’à une volonté de destruction. C’est le départ d’une affaire d’envergure puisque la responsabilité en est imputée à Rupert POLFIET, ancien directeur de la Maison du prisonnier de Mâcon, ancien dirigeant des MUR, fondateur en Saône-et-Loire du MNPGD et à ce titre proche de François MITTERRAND, hôte du général de LATTRE DE TASSIGNY lors de la Libération et au moment des faits directeur départemental du Ravitaillement général. Les circonstances de son arrestation sont rocambolesques puisque convoqué par le préfet DREVON pour une séance de travail avec les sous-préfets, il voit surgir dans le bureau même du préfet des policiers constitués en souricière 2 . Il fut acquitté par le tribunal de la 8ème Région militaire. Un demi-siècle plus tard, il affirmait que ces attentats étaient le fait de jeunes maquisards appartenant à son groupe qu’il avait choisi de couvrir par son silence. Si la thèse peut expliquer les attentats contre des collaborateurs ou supposés tels, elle ne règle en rien le mystère autour d’un attentat visant une personnalité dont la droiture n’était contestée par personne, mais que son indépendance d’esprit et son hostilité aux appareils politiques traditionnels rendaient gênant. A Tournus, c’est le premier adjoint au maire qui est victime d’un attentat dans la nuit du 25 au 26 décembre 1944. A la suite, plusieurs membres de l’Amicale des anciens maquisards et résistants de la région de Tournus sont arrêtés. Le rapport au CDL 3 signale que l’incident a “ des répercussions au sein de cette amicale ”. Son président, Louis DUCHER- capitaine ROGER annonce à l’assemblée générale du 6 janvier sa volonté de coopérer avec la police et d’exclure les coupables. Dans la Nièvre, c’est le président du CDL en personne, Louis GAUTHE qui subit les effets d’un engin explosif posé devant son magasin. Le rapport des RG au préfet 4 suppose qu’il s’agit là d’une vengeance personnelle sur un personnage dont il souligne l’impopularité à Nevers. Il est vrai qu’avant de rejoindre la Résistance, il avait siégé pendant toute une partie de la guerre au conseil municipal de Nevers et de ce fait sa nomination à la tête du CDL suscitait quelque rancœur chez certains résistants prompts à le manifester avec éclat.
Enfin une dernière catégorie d’attentats vise d’anciens résistants ne jouant pas de rôle particulier dans la politique suivant la Libération. C’est ainsi qu’à la Charmée, en région chalonnaise, le garage de Gaston REBILLARD, mécanicien, est détruit à l’explosif le 14 mars 1945. La victime est un authentique résistant local, d’abord passeur puis chef d’un groupe de saboteurs ayant travaillé pour les FTP et pour des organisations liées à l’IS. L’efficacité de ses actions, son refus de se soumettre à la discipline d’une organisation, son fonctionnement en “ corsaire ” 1 selon sa propre expression, avec tarification des actions, ne lui avaient pas fait que des amis. Gît là une origine possible de cet attentat. Le 3 avril 1945, c’est le lieutenant GUERITTE, lié à NAPO dans la Nièvre qui est agressé sur le “ Pont Mal Placé ” à Nevers et jeté à l’eau, sans trop de dommages. Le pont en question franchit la Nièvre dont la faible profondeur exclut tout risque de noyade. Nous sommes là dans le registre de l’intimidation. Il n’empêche que dans ces deux situations, ce sont manifestement des règlements de compte concernant la période de la Résistance qui sont à l’origine des faits.
Ces deux vagues successives d’attentats contre les biens ou les personnes sont donc à la fois le prolongement désordonné de la fin de l’occupation et une façon de traiter les questions en jeu dans le processus de retour à l’ordre. Elles manifestent la difficulté de ce processus, mais aussi la persistance d’un courant constitué de gens estimant que l’heure n’est pas à l’abandon des méthodes des temps de la clandestinité. Aujourd’hui encore, si l’abord de ce sujet suscite chez la plupart une certaine gêne et réticence à en parler, il provoque chez quelques-uns une nostalgie manifeste, expression d’une vision insurrectionnaliste de la politique. Il reste que, au moment des faits, même si la population apportait une approbation passive, cela ne pouvait contribuer à simplifier la perception qu’avaient les gens du sens des événements.
AD21 W21422.
AD21 40M393.
AD21 40M395.
AD58 3W8.
Maurice AULOIS, déporté du “ convoi des tatoués ”, qui a assisté aux derniers moments de maître AMAR.
Récit de Claude ROCHAT, sous-préfet de Chalon-sur-Saône (entretien du 29 mai 1995) et de Rupert POLFIET (entretien du 25 janvier 1995).
AD71 Dossier CDL.
AD58 40M394.
Entretien du 8 mai 1996.