1-Une naissance confuse et ambiguë

Les grandes lignes de l’histoire initiale des Milices patriotiques, à l’échelle nationale, sont bien établies. Philippe BUTON les rappelle dans ses travaux 5 . Nées d’une initiative communiste annoncée par l’Humanité clandestine du 15 août 1943, sous le vocable de milices ouvrières, devenues patriotiques dans le même organe 15 jours plus tard, elles ne sont alors conçues qu’à l’état de potentiel à activer au moment de l’insurrection nationale, afin d’encadrer le soulèvement ouvrier. C’est en décembre 1943 qu’apparaît l’idée de la nécessité de les constituer immédiatement. Elles bénéficient alors du soutien quelque peu réticent de la CGT en janvier 1944 puis du CNR en mars 1944, et sont dotées fin mai d’un Conseil central à composition exclusivement communiste, ce qui vaut à Pierre VILLON sa première mise en minorité par un CNR inquiet de cette manœuvre. Il n’empêche qu’avant la Libération, elles ne sont qu’un cadre organisationnel vide de militants 1 . De la Libération au retour de Maurice THOREZ le 27 novembre, elles sont au cœur du jeu politique complexe qui met en mouvement le gouvernement, le PCF et les structures issues de la Résistance, dont le CNR. Le débat porte sur leur existence, leur statut, leur rôle et leurs moyens avec la question sensible de l’armement. Le discours de THOREZ au Vél d’Hiv le 30 novembre n’y faisant pas la moindre allusion semble clore la question et établir qu’elles disparaissent de la stratégie communiste, alors strictement organisée autour du retour à l’unité de l’Etat. Ainsi, avec un mois de décalage par rapport au gouvernement 2 , le PCF semble en phase avec la position ministérielle, alors que le CNR a proposé le 3 novembre un statut pour les Gardes civiques républicaines qui à l’exception de l’appellation, constituent un décalque des Milices patriotiques.

Il importe alors de voir si cette périodisation a des effets immédiats sur les réalités locales et leur correspond et de s’interroger sur les réalités organisationnelles afin d’en évaluer le poids et le sens politique.

Les mois de septembre et octobre 1944 voient effectivement apparaître dans la plupart des villes des Milices patriotiques, comme à Dijon dès le 16 septembre, quelques jours après la libération de la ville. Elles sont le plus souvent squelettiques, aux effectifs 3 largement surévalués. L’antécédence de leur formation par le PCF est confirmée dans l’Yonne où lorsque le CDL en séance plénière adopte le 18 octobre 1944 4 le principe de leur constitution, sur proposition de NIEL représentant le PCF, leur dispositif est déjà en place. A sa tête se trouvent deux officiers communistes de la Résistance, les capitaines Charles VIVET et Robert LOFFROY, ancien commissaire aux effectifs des FTP, en cours d’intégration à l’armée régulière. Nommé par son parti à la tête des Milices patriotiques, officier d’une armée régulière, Robert LOFFROY se voyait obligé à de “ véritables acrobaties ” dont il sortit en décembre lorsque le colonel LANQUETOT, commandant la subdivision militaire de l’Yonne et de la Nièvre lui imposa de choisir entre ses “ deux casquettes ”. Il le fit d’ailleurs sans grand dépit, au profit de l’armée, tant il percevait les MP comme “ une foutaise ”, “ une connerie politique ”.

La situation dans le département de la Nièvre apparaît sensiblement différente, avec des Milices patriotiques plus fortement intégrées aux forces résistantes. C’est le 8 août 1944 que le commandant Roland CHAMPENIER nomme à leur tête Paul MATRIOLET-LE VENGEUR ou LA RIPETTE 1 qu’il a convoqué à son quartier général. Ce dernier reçoit alors le grade de lieutenant. Ce choix n’est pas sans signification. Alors qu’en nombre de cas la responsabilité des Milices patriotiques fut accordée soit à des politiques soit à des hommes au passé résistant peu consistant, c’est à un combattant de longue date que le jeune chef FTP confie ce rôle dans la Nièvre. Manifestement, pour CHAMPENIER, loin d’être un exutoire médiocre, les Milices patriotiques devaient constituer un élément décisif du processus libérateur, situé entre le noyau dur des maquis et la grande masse de la population. MATRIOLET constitue en 10 jours 2 cinq sections urbaines ( Clamecy, Fourchambault, Guérigny, Prémery, principales villes ouvrières de la Nièvre et Pougues-les-Eaux) et met sur pied une infirmerie des maquis au château de Villement à Guérigny, avec deux médecins, deux infirmières, deux ambulanciers et un intendant. Cette structure dut d’ailleurs être évacuée le 30 août devant l’installation d’un élément ennemi à Guérigny, pour se replier dans un autre château, plus éloigné des axes de communication. Du récit de Paul MATRIOLET, confirmé par les enquêtes de J.C. MARTINET 3 , il ressort que les équipes des Milices patriotiques jouèrent un double rôle au cours des ultimes combats de la Libération. En contact permanent avec elles, par agents de liaison, MATRIOLET put être “ tenu au courant heure par heure des mouvements de troupes ” et ainsi en rendre compte à ses supérieurs CHAMPENIER et DE CHAMPEAUX. En retour, ces équipes se virent attribuer des tâches de retardement, coupures par abattis ou explosifs, qui, sans constituer des combats directs, permirent de peser sur les mouvements de l’ennemi. Enfin certaines d’entre elles furent infiltrées dans Nevers pour y préparer la Libération dès les derniers jours d’août. Malgré les difficultés rencontrées dans cette tâche avec les hommes de COURVOISIER-NAPO, elles furent chargées d’organiser sous la houlette de MATRIOLET l’entrée triomphale des maquis dans la ville, le 9 septembre, précédant le Comité départemental de Libération. Déjà confrontées à l’action du bataillon NAPO, ces Milices patriotiques se virent imposer rapidement de restituer leurs armes par le commandant d’armes de Nevers FRADAY, avec l’accord des dirigeants du PCF 1 . Cette exigence ne fut que partiellement réalisée, avec beaucoup de réticences sinon de résistances, dont nous pourrons évaluer les traces durables dans la mémoire résistante nivernaise.

Contrairement à la chronologie nationale, on observe des initiatives de création débordant largement le moment de leur interdiction, sous l’appellation initiale, sous celle de Gardes civiques républicaines ou plus vaguement de police supplétive, mais avec les mêmes objectifs et le même fonctionnement. Le 11 décembre 1944, lors d’une réunion publique du PCF à Montcenis 2 , en plein cœur du bassin charbonnier et sidérurgique du Creusot, un appel est lancé aux FFI pour rallier les GCR. Le 27 décembre, le sous-préfet de Chalon-sur-Saône, Claude ROCHAT transmet au préfet un vœu du CCL de Saint-Léger-sur-Dheune pour l’attribution de 6 ports d’armes à des anciens résistants volontaires pour aider la gendarmerie, réduite à trois unités 3 . Le motif avancé met en avant la nécessité de se protéger de “ parachutistes ennemis ”. Le sous-préfet soutient la demande sans se prononcer sur ce point mais en estimant nécessaire le renforcement d’une brigade en situation de “ faiblesse numérique ”. Le préfet transmet au Commissaire de la République le 10 janvier, donc sans hâte excessive, ce dernier l’informant 9 jours plus tard de son refus, arguant que de parachutistes ennemis il n’y avait point. A la suite du départ, fin décembre, d’éléments FFI stationnés à Château-Chinon dans la Nièvre, le CCL émet le vœu de création d’une section de GCR. Son président justifie sa demande par l’inquiétude de la population après des témoignages ‘concernant “ des fusées aperçues par des cultivateurs et pouvant servir de signaux à des avions ”’, les nécessités de la lutte contre le marché noir et le “ cinquième colonne ”. Ces quelques situations confirment les décalages entre les consignes gouvernementales et les réalités locales.

Notes
5.

Philippe BUTON, Le couteau entre les dents, Ed. du Chêne, 1989 et Les lendemains qui déchantent, Presses de la FNSP, 1998.

1.

Philippe BUTON, Les lendemains qui déchantent, p. 288-289.

2.

Le 28 octobre, le ministre de l’Intérieur TIXIER a fermement rappelé aux préfets l’obligation de mettre en œuvre la dissolution des Milices patriotiques et autres groupements s’arrogeant des pouvoirs de police.

3.

Robert LOFFROY, responsable départemental des Milices de l’Yonne. Entretien du 18 décembre 1996.

4.

AD89 1W26.

1.

CHAMPENIER est à 20 ans le chef d’un important dispositif FTPF, le “ Groupement Cher et Nièvre ”, le second, “ vieux (42 ans) militant communiste ”. Pour plus de détails, voir infra partie III.

2.

Paul MATRIOLET, entretien du 18 septembre 1997 et archives privées.

3.

J.C. MARTINET, Histoire de l’Occupation et de la Résistance dans la Nièvre, 1940-1944, Ed. DELAYANCE, La Charité-sur-Loire, 1987, 354 p.

1.

Paul MATRIOLET, entretien du 18 septembre 1997.

2.

AD71 W123855.

3.

AD21 40M387.