4-Une dissolution en ordre dispersé

Le communiqué du ministre de l’Intérieur à destination des Commissaires de la république, en date du 28 octobre, n’a donc pas reçu le moindre début d’application. C’est pourquoi le 27 janvier 2 le ministre de la défense DIETHELM transmet aux préfets un rappel formulé en termes très vifs, leur rappelant que les prévôtés FFI doivent être “ considérées comme illégales ” et doivent être dissoutes de même que les gardes civiques, “ sans délai ”. Quelques jours plus tard, le 2 février, c’est le ministre de l’Intérieur TIXIER qui rappelle à nouveau aux préfets 3 que “ seule la police régulière de l’Etat a le droit d’exercer les pouvoirs de police ” à l’exclusion des “ formations armées irrégulières ”, MP et GCR. Le CDL de la Nièvre, à la demande même du PCF, on l’a vu, obtempère dès le 16, non sans ambiguïté puisque les représentants de la SFIO précisent 4 qu’ ‘“ il est bien entendu que la police supplétive n’est pas dissoute et conservera ses attributions et ses armes ”’. L’appel est entendu par le CCL de Cosne-sur-Loire qui informe le CDL, le 25 février 5 , que toutes les GCR sont dissoutes. Et c’est finalement à la dissolution “ de toutes les formations supplétives ” que le CDL appelle le 6 mars 1945 1 . Dans l’Yonne 2 , selon un rapport reçu par le chef régional des services de sécurité publique le 6 mars, toutes les armes ont été remises, à une exception “ particulièrement non dangereuse ” près. En Saône-et-Loire, le sous-préfet d’Autun, dans son rapport de mars 1945 3 affirme que ‘“ toutes les formations subsistantes ont été dissoutes, y compris les gardes patriotiques et les Milices patriotiques ”’, précision intéressante, venant d’un sous-préfet communiste. Cette information converge avec un rapport des services départementaux des RG qui constatent le 9 mars qu’il n’existe plus de formation dans le département, que seule la milice de Mâcon disposait d’armes de guerre, soient 2 FM et 12 fusils. Le même jour, les RG de Côte-d’Or constatent la même situation 4 , à cette nuance près que selon eux “ la remise des armes n’a été qu’imparfaitement suivie ”.

La question ouverte par l’initiative communiste d’appeler à la constitution de milices ouvrières est donc close en mars 1945. Il a fallu cinq mois pour que la volonté gouvernementale soit réalisée. Ceci ne se fit d’ailleurs pas sans quelques réticences. Le 26 janvier 1945, le préfet de Côte-d’Or informe le Ministre de l’Intérieur 5 qu’en Saône-et-Loire des divergences sont apparues au sein du PCF à ce sujet. Le 9 mars, les RG de la Côte-d’Or informent le préfet 6 que le secrétaire fédéral du PCF, Marcel ASMUS, fait l’objet de “ violentes critiques sur son attitude ”, jugée “ trop légaliste ” surtout dans les “ milieux cheminots ”. Ces deux documents, en parfaite convergence avec les enquêtes orales, manifestent la persistance au sein de la mouvance communiste d’un courant insurrectionaliste, issu principalement des FTP. Le ralliement au parlementarisme de leur parti suscite chez ces militants doutes, hésitations et réticences. La force de l’appareil interne, le formidable instrument de cohésion qu’est l’anticommunisme en viendra facilement à bout. Il reste aujourd’hui encore la conviction chez beaucoup de ces maquisards communistes, ceci quelque soit leur parcours ultérieur, qu’autre chose était possible. Elle est souvent exprimée sous forme de boutades, teintées d’un parfum de nostalgie.

Quant à la question du décalage entre les décisions gouvernementales de dissolution des Milices patriotiques et leur mise en œuvre pratique, plutôt que d’y voir une faiblesse de la part des instances de pouvoir, elle permet d’avancer l’hypothèse qu’il s’agissait d’un choix de tactique politique visant à éviter d’affronter, en pleine fièvre libératrice, ce qui avait à ce moment là une certaine légitimité, pour attendre des conditions plus favorables pour régler la question. Il fallait laisser à l’appareil du PCF le temps de faire passer une ligne politique qui n’allait pas de soi. Nous sommes donc fort éloignés de l’image d’une force de frappe prête à faire de la France ce que fut l’histoire de l’Europe centrale. En écho à ces considérations établies à partir de données locales, on peut rappeler le mot du commandant du 11e bataillon de choc de Montlouis 1 répondant à une proposition de constituer une milice armée destinée à contrer une prise de pouvoir communiste : ‘“ Vous imaginez André TOURNE, sénateur communiste de la région et Compagnon de la Libération organiser un coup de force ? Non, ce n’est pas possible ”.’

Il ressort de ce chapitre un tableau particulièrement complexe et confus de la question de l’autorité publique, de ses structures comme de son exercice. Elle est la résultante à la fois des séquelles de la collaboration, mais aussi des choix du GPRF de limiter l’ampleur de l’épuration dans les cercles dirigeants et du PCF d’adopter une ligne légaliste en phase avec les choix géopolitiques de l’URSS. Probablement inévitable, compte tenu des circonstances, cette réalité n’en constitue pas moins un élément de trouble des esprits et une situation qui offre un espace à des personnages au passé peu en harmonie avec la Libération.

Notes
2.

AD71 dossier CDL.

3.

AD21 40M387.

4.

AD58 999W609.

5.

AD58 999W61.

1.

AD58 999W1626.

2.

AD21 40M387.

3.

AD71 W123855.

4.

AD21 40M387.

5.

AD21 40M233.

6.

AD21 40M387.

1.

Cité dans La piscine, Roger FALIGOT et Pascal KROP, Le Seuil, 1985, p.87.