Trois moments de sa vie rattachent Lucien DOUSSOT à la Saône-et-Loire. Il y naît en 1912, à Chagny. Une jeunesse fort agitée le mène en 1935 devant le Tribunal correctionnel de Toulon pour “ embauchage de mineure en vue de la débauche ”. Cette faute lui vaut 4 mois de prison ferme. En 1939, devant le Tribunal correctionnel de Dijon, il est condamné à 2 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour pour vols. Il est alors interné à Clairvaux. L’avancée des troupes allemandes provoque l’évacuation de la centrale, le 14 juin 1940, à pied. Le groupe des évacués recèle trente-huit détenus condamnés pour intelligence avec l’ennemi, dont Frédéric MARTIN qui deviendra dans les milieux de la collaboration parisienne le tristement célèbre Rudy de MERODE. Ce dernier, entrepreneur en travaux publics, avait travaillé sur les chantiers de la ligne MAGINOT et en avait livré les plans à l’Abwehr. Il est probable que DOUSSOT, en permanence à la recherche d’une occasion de s’enrichir ait repéré là des gens et des circonstances intéressants. Abandonnés par leurs gardiens, les détenus disparaissent dans la nature et DOUSSOT revient dans son département natal.
Il y ouvre alors, à Saint-Jean-des-Vignes, commune maraîchère de la périphérie de Chalon-sur-Saône, un bar interlope, à l’enseigne “ chez Lulu ”, où passent trafiquants en tous genres, agents de l’IS et joueurs de poker dont DOUSSOT, par plaisir comme par besoin d’argent, est un passionné. Il pratique le passage de la ligne de démarcation. La région de Chalon-sur Saône en est un des sites principaux car la ville est située au croisement de la ligne et de l’axe majeur Nord-Sud avec la RN6, la voie ferrée PLM et la Saône, dont le lit majeur constitue la séparation entre les deux zones sur quelques centaines de mètres de Chalon, quartier des Chavannes à Droux au sud. Dans son Histoire secrète de l’occupation Gérard CHAUVY rapporte le témoignage d’un gendarme avançant qu’il “ était presque le seul passeur du coin ” et affirmant par ailleurs que DOUSSOT lui aurait déclaré ‘“ plutôt que me casser la nénette à faire le va-et-vient, j’ai plus d’intérêt à ne faire le passage qu’une fois par semaine… ”.’ Cette double information ne tient pas. Les études historiques 1 , les témoignages d’hommes comme André JARROT 2 , Gaston REBILLARD 3 qui ont pratiqué le passage, de Claude ROCHAT 4 qui en a bénéficié, comme l’histoire tragique de Camille CHEVALIER sont là pour attester de l’importance de l’activité de passage, en particulier au lieu dit “ Les Chavannes ” à l’Est de Chalon et au Moulin de Droux au sud de la ville. En cet endroit la ligne suit un affluent de rive droite de la Saône selon une direction Est-Ouest, en direction du bassin minier. Quant aux motivations des passeurs, si les deux figures extrêmes des passeurs désintéressés, le plus souvent membres de réseaux comme Camille CHEVALIER tête de pont chalonnaise de Delbo-Phénix, et des passeurs vénaux prêts à trahir ou exploiter sans retenue leurs victimes sont généralement les seules retenues, on ne saurait négliger ceux qui tout en tarifant leur service, l’assuraient correctement comme Gaston REBILLARD qui assure avoir réalisé des passages gratuits, mais aussi demandé une contribution à ceux qui le pouvaient. DOUSSOT, sans le moindre scrupule, appartient à la seconde catégorie, exploitant sans vergogne ses victimes, pratiquant le chantage et la dénonciation. D’ailleurs, alors que la suppression de la ligne au début de 1943 amène les premiers à basculer vers d’autres activités de résistance, lui va se mettre au service du plus offrant, ou plutôt des plus offrants.
Rémy BONNOT, La ligne de démarcation en Saône-et-Loire, mémoire de maîtrise, Université de Dijon.
Entretien 7 mai 1998.
Entretien 3 mai 1998.
Entretien 16 août 1996.