3-De la Gestapo au maquis

Le bombardement du siège de la Gestapo lyonnaise installée dans les locaux de l’ancienne Ecole de Santé militaire de l’avenue Berthelot par l’aviation britannique, en mai 1944, offre à DOUSSOT l’occasion idéale de rompre avec ce double jeu et rallier le camp des futurs vainqueurs. Les témoignages convergeants de Klaus BARBIE dans une interview de France-Soir du 26 mai 1972, de Jacques HIRSH-GIRIN du réseau Dupleix dans sa déposition du 26 avril 1949 devant la Cour de Justice de Lyon 1 et de DOUSSOT lui-même devant la Cour de Justice décrivent un homme qui, profitant du désordre créé par le bombardement, emplit deux valises de documents concernant des affaires en cours, contenant des archives, notamment celles des MUR de la R1 et probablement aussi de l’argent, et s’enfuit pour rejoindre ses contacts au sein de la Résistance.

Quelques jours plus tard, le même DOUSSOT, flanqué de son acolyte André THEVENOT, arrive en grand équipage, voiture du SD, uniforme allemand et armes au maquis de Cru. Du nom du lieu-dit où il est installé, au flanc des croupes calcaires qui bordent à l’Est le bassin de Cluny, ce maquis est alors commandé par Jean-Louis DELORME. Habitant de Cluny, DELORME a commandé le premier groupe franc organisé par TIBURCE, avant de rassembler en mai 1944 une trentaine d’hommes dans les bois de Clessé, puis de gagner Cru. C’est donc une pièce maîtresse du dispositif constitué par l’agent anglais. Par ailleurs, et y compris chez ceux qui sont les plus opposés à la mainmise britannique sur les maquis, Jean-Louis DELORME bénéficie d’une image très positive de chef prudent, efficace, respectueux de ses hommes 2 .

L’homme qui arrive le 7 juin impressionne par sa prestance. Grand, blond, le visage émacié marquant la détermination, portant beau, volontiers discoureur, il fait de l’effet à beaucoup de ces jeunes maquisards, récemment arrivés au maquis, facilement trompés par une belle apparence. Pour le capitaine Jacques DUBOIN, ‘“ figure d’aventurier surgie d’un roman du temps des corsaires, vêtu des dépouilles allemandes, il exerce sur ses hommes un ascendant indéniable… ”’. Si personne ne lui nie un incontestable courage au feu, plusieurs de ses hommes émettent les plus sérieux doutes sur ses capacités d’entraîneur de chef de maquis.

Henri MONDANGE à qui la carrière militaire en Indochine et en Algérie sans parler de la redoutable bataille d’Alsace confèrent quelque compétence en ce domaine, estime aujourd’hui 1 que ce “ chef de bande ” n’avait pas grande capacité militaire et ‘que “ s’il n’y avait eu que des chefs comme ça à la bataille d’Azé’ ‘ 2 ’ ‘, il y aurait eu de la casse ”’. S’il parle de “ chef ”, c’est parce que rapidement Jean-Louis DELORME est muté et que DOUSSOT se retrouve à la tête du maquis de Cru. DELORME trouva la mort au cours d’un combat, sur la RN6, le 31 août. Henri MONDANGE rapporte une autre occurrence où DOUSSOT, dans une entreprise montée par lui-même, se retrouva en échec total. Il s’agissait, le 15 août 1944, de faire sauter le pont surplombant la voie ferré PLM à Fleurville, à quelques kilomètres au nord de Mâcon, avec l’appui de parachutistes arrivés quelques jours plus tôt. A cet endroit, voie ferrée et RN6 sont très proches, dominées par le château où les Allemands avaient installé un poste de surveillance. Montée en plein jour, l’opération visait à neutraliser le château par les maquisards pendant que les parachutistes installaient les explosifs. L’approche du château, au milieu des vignes, fut rapidement détectée par les Allemands et la section d’Henri MONDANGE se retrouva sous le feu de deux MG42 postées sur les terrasses du château. Elle parvint à se replier, mais avec un mort et deux blessés. Selon Henri MONDANGE, “ jamais Jean-Louis n’aurait fait cela en plein jour ” et “ s’il l’avait appris, il aurait fait un scandale ”. Claude ROCHAT, alors responsable des maquis AS au sein de l’état-major FFI donc supérieur hiérarchique de DOUSSOT, fait état de “ l’impression fâcheuse produite par la similitude des allures et des manières avec celles des SS ” 3 , de l’habitude de DOUSSOT de se déplacer “ en voiture découverte, munie d’une mitrailleuse pivotante ”. Tout cela cadrait fort mal avec la volonté de ceux qui étaient à la tête de cette zone libérée d’être comme des poissons dans l’eau au sein de la population locale.

C’est donc ce désormais capitaine LUCIEN parfois affublé du pseudonyme Le Phalère qui défile fièrement à la tête de ses hommes, parmi les 1500 combattants des maquis de Saône-et-Loire le 4 septembre 1944, quai LAMARTINE à Mâcon devant une foule enthousiaste. Mais à la fin du défilé, devant l’Hôtel de Ville, brusquement un attroupement se produit, un groupe d’hommes en civil se saisissent de DOUSSOT après l’avoir copieusement abreuvé d’injures. L’intervention de ses hommes le libère. Le lendemain, il est arrêté à Lyon, avec une voiture chargée d’armes. Dès le 9, il est élargi. A nouveau arrêté le 27 décembre et interné à la prison Saint-Luc, il s’en évade le 7 février 1945. Repris, il s’évade à nouveau. Ces épisodes successifs permettent de s’interroger sur les réseaux de complicité dont il peut disposer. Désormais, commençait la très longue instruction du dossier DOUSSOT par la Cour de Justice, malgré les manœuvres visant à la dessaisir en arguant du fait que militaire, il relevait de la justice de l’armée. Après une longue cavale, il se livre à la justice en mars 1948. Pendant ce temps-là, son ami Laurent BAZOT est intervenu auprès d’ALBAN-VISTEL pour assurer que DOUSSOT était prêt à se livrer, s’il “ bénéficiait de garanties ”. Cette exigence, compte tenu de la lourdeur des charges, est révélatrice de l’impudence du personnage. Finalement jugé en 1949, il est condamné à mort par la Cour de Justice de Lyon le 25 novembre, avant de bénéficier de la grâce du président AURIOL, le 17 janvier 1951 1 . A la suite de réductions de peine, il est finalement libéré le 15 avril 1963, soit avant le résistant COUVERT 2 condamné pour suspicion d’un seul meurtre ! Disparu de la région, il aurait trouvé la mort dans un accident d’automobile suspect avec rupture de direction peu après sa libération. Jusqu’à la mort, il sème le trouble derrière lui.

Notes
1.

AD69 dossier de la Cour de Justice du Rhône, non coté, n°2464. Sauf indication contraire, les informations de ce paragraphe en sont issues.

2.

En témoignent tous ceux qui l’ont côtoyé. Parmi eux, deux jeunes maquisards, Antoine BOUILLOT, mineur de Montceau-les-Mines, entretien du 23 mai 1998 et Henri MONDANGE, ouvrier de Cluny, entretien du 11 décembre 1998.

1.

Entretien du 11 décembre 1998.

2.

Nom donné à l’offensive menée depuis Mâcon le 2 juillet 1944 par des forces allemandes contre les maquis du Mâconnais et du Clunysois et particulièrement le PC de GUILLAUME au Mont Saint-Romain.

3.

Entretien du 15 avril 1998.

1.

AD69 437W156.

2.

Voir infra partie IV.