1- Une prise en compte éclairante

Le “ colonel ALAIN ”, inconnu jusque là en-dehors d’un tout petit nombre de personnes, apparaît au grand jour en Saône-et-Loire à la fin du mois d’août 1944, à quelques jours de la libération du département, en pleine fièvre politique de mise en place des structures de transition. Il se réclame d’une décision du colonel DESCOURS, depuis l’état-major de la R1. Elle en ferait le chef départemental des FFI. Portant beau 1 , paré d’un halo de mystère suscitant la suspicion des uns et renforçant le respect d’autres, se réclamant de hautes protections et d’un passé militaire glorieux, l’homme s’installe d’autant plus facilement dans ses nouvelles fonctions que les deux chefs FFI dont il est destiné à assumer les responsabilités se consacrent dès début septembre à des tâches nouvelles. Le commandant de la FERTE SENECTAIRE-FERRAND prend le commandement d’un bataillon de FFI rattachés à la Division alpine et Claude ROCHAT-GUILLAUME, son adjoint est nommé sous-préfet de Chalon-sur-Saône. Il a de ce fait décliné l’offre du général de LATTRE d’être auprès de lui le représentant des FFI intégrés à l’armée régulière.

Les circonstances de la nomination du “ colonel ALAIN ”, son itinéraire, les polémiques suscitées par la suite dépassent largement un personnage dont nous verrons qu’au bout du compte il ne présente par lui-même qu’un mince intérêt. Ils permettent d’apporter une touche au tableau de la situation politique en ce moment décisif de la Libération et des années de mise en place de la IVe République, fortement conditionnée par les données du combat résistant et pesant de façon déterminante sur les réalités de la transition. Les sources disponibles sont de deux ordres. Plusieurs acteurs survivants, ayant assumé des fonctions importantes sont aujourd’hui disposés à témoigner sur “ l’affaire ALAIN ” convaincus qu’ils sont que démasquer les imposteurs contribue à préserver ce qu’il reste à protéger de ce que fut la Résistance. C’est notamment le cas de Claude ROCHAT 1 , au contraire de Guy LANQUETIN qui estimait dans une lettre au précédent, en janvier 1954, en pleine guerre froide, que ‘“ devant les attaques qui sont continuellement portées contre les anciens résistants, les querelles et les noirceurs du passé ne sont plus de mise ”’ et que ‘“ les faire revenir à la surface ne serait que donner des armes à ceux qui veulent se venger de nous ”’. Claude ROCHAT abandonne aujourd’hui cette position de défensisme résistentialiste pour faire état de ce qu’il pense dans son ouvrage de 1987. Ce souci, même s’il ne relève en rien de l’obsession, était partagé avant sa disparition en 1999 par Marcel VITTE-THIBON, qui avant d’être professeur d’histoire à l’ENI de Mâcon puis inspecteur général fut un jeune lieutenant du groupe franc Ravageurs deGENEVÈS-GERARD et fit état dans des études locales 2 , en 1994, de “ l’affaire ALAIN ” et par Raymond BARRAULT-Jean ROCHE, en mai 1944 tout jeune chef des MUR de l’ex zone occupée de Saône-et-Loire, après avoir été de ceux qui s’engagèrent dans le combat résistant dès 1940. Ce dernier estime que la préservation du sens profond de cet engagement exige que toute la clarté soit faite sur de telles circonstances 3 .

Les sources écrites sont constituées d’un dossier déposé aux AD de Saône-et-Loire, dont une version photocopiée est possédée par d’anciens résistants. C’est de l’une d’elle dont j’ai pu disposer. Outre des pièces établissant les différentes identités sous lesquels ALAIN s’est présenté dans le département, il est principalement constitué de trois rapports des RG de Saône-et-Loire, tous de 1954, dont l’adjonction permet de reconstituer l’essentiel du parcours du personnage. Cette reconstitution rapide de son parcours, dont la dimension rocambolesque relèverait du roman historique, permettra de mettre en relief en quoi ses relations, les complicités actives ou passives dont il a bénéficié mettent à jour bien des réalités politiques des années 1944-1950.

Notes
1.

Chantal ROCHAT-PLUMETTE, agent de liaison, témoigne de la forte impression qu’il lui inspira alors. Entretien 11 août 1999.

1.

Entretien, 24 mai 1998.

2.

JSL, édition de Mâcon, 28 août 1994.

3.

Entretien 22 avril 1998.