3- Derrière une façade prestigieuse, une piètre réalité

3- 1- Il ment sur son identité et ses origines

De son arrivée en Saône-et-Loire en novembre 1942, après un séjour breton, jusqu’en octobre 1944, il est connu seulement sous un nom qui peut à la fois passer pour un véritable patronyme ou, par une banalité fréquemment utilisée, pour un pseudonyme de clandestinité, celui de Jean-Marie ALAIN. C’est sous ce nom qu’il loue une chambre meublée à Prissé, jusqu’à son installation à Mâcon en septembre 1944. Selon le rapport de police de 1954 2 , seule la supérieure d’une communauté mosellane repliée à Prissé, qu’ALAIN avait utilisée comme filière, sœur PICARD, connaissait sa véritable identité, ce qui à ses yeux crédibilisait la figure d’un authentique résistant, devant se cacher sous un faux nom. C’est d’ailleurs sous cette véritable identité qu’il a obtenu le 29 juin 1942, un passeport pour la Suisse, délivré par la préfecture du Puy-de-Dôme, “ pour achever une thèse de doctorat ”, travail nécessitant la consultation d’ouvrages de bibliothèques suisses. Il n’hésite pas à se doter d’une filiation aristocratique : il affirme à sœur PICARD qu’il est le fils d’une fille naturelle d’un monsieur de SUREMAIN, famille connue en Saône-et-Loire, dont il réutilisera d’ailleurs le nom, un peu déformé, pour ses papiers de mariage en 1951.

La Libération étant acquise, les clandestins sortis de l’ombre, l’ambiguïté sur son identité ne pouvaient aller de pair avec ses hautes fonctions. ALAIN s’invente alors une première fausse identité légale, avec apparition de la particule. Seuls sont conformes à la réalité les détails physiques, la date de naissance, la nationalité. Habilement, il choisit un lieu de naissance, Alger, rendant difficile toute investigation sur la réalité de cette origine. Comme indiqué précédemment, il sait se constituer un profil avantageux, estimant probablement que cela éloignerait les suspicions. Ses états de services militaires suffisent apparemment à une hiérarchie peu vigilante puisque c’est sur la base de cette fausse identité qu’il est nommé à ses fonctions de commandant de subdivision militaire, homologué comme lieutenant-colonel FFI, finalement désigné comme liquidateur de la 7e région militaire et, pour parachever le tout, décoré en 1946 pour des états de service dont il eut été facile de vérifier qu’il relèvent d’une totale falsification.

C’est à l’occasion de son mariage, le 12 novembre 1951, qu’il réalise une nouvelle imposture sur son identité. Pour ce faire, il fournit un extrait de registre de naissances issu de la mairie de Sarreguemines qui s’avère être un faux en écriture. Là encore il conserve un fond de réalité, lieu et date de naissance, noms, prénoms du père et de la mère mais y ajoute une particule suivie d’un nom imaginaire, de FRONTAC pour son père, de SUMAIN pour sa mère, dont le patronyme PROVO, à consonance étrangère, est francisé par un “ st ” final. De Charles KALIS, né de Charles KALIS et de Cécile PROVO, il devient Charles KALIS de FRONTAC, issu de deux familles à particule. Ce mariage, dont on a vu qu’il bénéficie d’une caution de haut niveau politique et religieux donne lieu d’ailleurs à d’étranges absences administratives. Le rapport de police signale qu’à la date du 1er mars 1954 cet acte n’a toujours pas été mentionné sur les registres d’état-civil de sa ville de naissance, dont les services affirment n’avoir rien reçu alors que ceux de Montceau-les-Mines assurent qu’ils ont transmis l’information. Dernier aspect surprenant, toute trace du susdit mariage a disparu de l’état-civil de cette dernière ville. Cela fait décidément beaucoup de pistes effacées derrière les pas de Jean-Marie KALIS “ de FRONTAC ” !

Notes
2.

Sur l’histoire de ce rapport, voir l’analyse des sources, vol 2.