4- Une capacité bien réelle de se constituer des soutiens locaux protecteurs

Les rapports de police de 1954, confirmés en tous points par les témoignages actuels font apparaître la constitution de deux réseaux d’influence et de soutien qu’ALAIN est parvenu à constituer dans le département. Le premier, chronologiquement parlant, part des religieuses de Prissé et de Mlle de la MOUSSAYE . Il connecte trois milieux : d’abord celui de la religion, avec sœur PICARD et l’abbé GUIMET, puis celui de l’armée d’armistice ralliée à la Résistance, avec Thibaud de la CARTE de la FERTE SENECTAIRE-FERRAND, ancien officier du 5e RD, qu’Albert CHAMBONNET- DIDIER, chef régional de l’AS, avait désigné en janvier 1944 pour prendre, avec Claude ROCHAT- GUILLAUME comme adjoint, la direction de l’AS de Saône-et-Loire (il s’agissait alors de remplacer le commandant de BELLECOMBE- BEAURIVAGE tombé le 23 janvier aux mains de la Gestapo à la suite du travail d’un de ses agents engagé dans le dispositif AS de Saône-et-Loire, GARCIA), enfin celui de la petite aristocratie locale, avec, aux côtés de Mlle de la MOUSSAYE, sa sœur Mme de MARIZY et Mme de la GUIBOURGERE. FERRAND apparaît comme l’élément commun, unificateur, servant souvent d’entregent à ALAIN. Il le couvre de sa légitimité de chef départemental. L’engagement incontesté de ces gens dans la Résistance, principalement via l’ORA, se conjugue avec un solide conservatisme politique et social, facilement effarouché par l’importance du dispositif FTPF dans les deux zones, sud et nord, du département et de la présence à l’état-major de l’AS, des MUR, puis des FFI, de gens comme Claude ROCHAT ou Vincent BERTHEAUD-TARZAN, politiquement orientés à gauche. C’est dire que tout en ALAIN a de quoi mettre ces gens en bonne disposition à son égard.Il en est de même à l’état-major de la R1 où face au partisans de la politique du CNR, FARGE, VISTEL-ALBAN, PROVIZOR- DARCIEL, un bloc conservateur, structuré autour de DESCOURS, prête une oreille complaisante aux prétentions et sollicitations d’ALAIN.

Le second réseau se constitue après la guerre. A des degrés divers on y retrouve le député-maire SFIO de Montceau-les-Mines, Fernand MAZUEZ-Le Toubib devenu tardivement, le 1er juillet 1944, “ médecin-chef du maquis ” au sein du dispositif FFI, le préfet de Saône-et-Loire depuis juin 1946 Pierre LAMBERT, enfin le député de Côte-d’Or Jean BOUHEY, tous socialistes. Si tout semble séparer les deux réseaux de soutien, un homme est à la rencontre des deux groupes, Laurent BAZOT, ancien officier de l’aviation, devenu le chef du maquis, puis régiment, enfin commando de Cluny avant de devenir le glorieux “ 4e Choc ”. Lié à MAZUEZ et FERRAND depuis les combats de l’été 1944 et des temps de libération, il contribue en 1946-1947 à mettre en relations le député-maire et le nouveau préfet avec ALAIN. Au-delà de péripéties médiocres où les intérêts personnels ou les complicités involontaires de malversations ne sont pas absents mais sans grand intérêt, se pose la question de ce qui a bien pu constituer l’élément d’unité de tous ces gens-là, que par ailleurs beaucoup de choses séparent.

Deux données majeures se dégagent des enquêtes des RG comme des témoignages. Les liens de dépendance se sont constitués en Clunysois et Charolais entre certaines organisations de la Résistance intérieure et le dispositif britannique représenté sur place par l’agent BROWN-BARTOLDI-TIBURCE, parachuté dès septembre 1943 et Guy DARTOIS- MICHEL, officier canadien venu le renforcer en juin 1944. Ces deux hommes n’eurent de cesse jusqu’aux ultimes heures de la Libération de tenter de mettre l’action des maquis locaux au service de la seule stratégie alliée, s’opposant vigoureusement à tout processus ou toute organisation tendant à s’en échapper et n’hésitant pas à lancer des initiatives aventuristes pour peu qu’elles servent leurs objectifs. Il en fut ainsi de leur proposition, rejetée par l’état-major FFI, d’attaquer et libérer la ville de Mâcon fin août 1944 alors que la sagesse commandait d’attendre le départ des Allemands et l’arrivée de l’Armée B. L’armement léger des maquis n’eut pas pesé lourd face à des unités de la XIXe Armée allemande dotées de chars lourds. Ces agents trouvèrent chez ceux dont on a pu constater les liens avec ALAIN une oreille attentive, tant ils sont préoccupés eux aussi par la dynamique politique créée par le fait maquisard. Le deuxième élément d’unité apparaît très lié aux circonstances qui ont vu se recomposer le dispositif politique issu de la Libération, au fil de l’évolution de la guerre froide, l’anticommunisme constituant un nouveau facteur de cohésion. Ouvertement professé par le député-maire de Montceau-les-Mines lors des grèves de mineurs de 1947 et surtout de 1948, marquées par des affrontements violents avec les forces de l’ordre, comme par le préfet LAMBERT, il rapproche, au-delà des rivalités électorales, les différents soutiens d’ALAIN, de Mlle de la MOUSSAYE élue maire RPF de Mazille en 1947 aux dirigeants socialistes locaux hantés par le spectre moscovite. Tout ceci permet à ALAIN, malgré les doutes qu’il suscite finalement chez beaucoup de gens, de bénéficier de facilités administratives évitant que l’on se penche trop sur ses usurpations d’identité. Ainsi, le 16 septembre 1950 obtient-il un passeport, renouvelé de même en 1952, sans la moindre enquête sur l’identité déclarée, KALIS de FRONTAC 1 . De façon aussi surprenante, son épouse dispose d’un passeport au même nom le lendemain même de son mariage. Les services préfectoraux de Mâcon firent en la circonstance preuve d’une célérité étonnante.

Ces deux données politiques successives constituent un élément de réponse à une question que l’on ne peut éviter de se poser devant les invraisemblances du comportement d’ALAIN, en particulier concernant son état-civil. Que pouvaient peser, au cœur des combats de la Libération, des doutes sur un personnage aussi utile, quelle importance pouvait avoir aux yeux de ses soutiens, en 1951, peut-être dès 1950, en pleine guerre de Corée, après 5 années de guerre en Indochine, le fait de découvrir qu’ALAIN était KALIS de FRONTAC, à partir du moment où il apparaissait dans sa fonction, comme un allié en place ?

Notes
1.

Rapport des RG, 28 février 1954, p.2.