6-2- Une capacité à utiliser les situations pour tisser des liens

Le personnage manifeste un grande habileté pour se construire une légitimité parfaitement fictive, en agissant au nom d’une fonction ou responsabilité qu’il n’a pas, le succès de l’opération l’installant dans une figure incontestable. Cette sorte de tactique en boucle fut aussi celle qu’il pratiqua pour des avantages financiers, aidant d’abord pour se rendre indispensable, notamment en situation électorale, pour plus exiger ensuite pour lui-même. Très significative est l’utilisation qu’il fit de l’aide apportée au directeur des affaires culturelles du ministère des affaires étrangères, MARX, en recherche de faux papiers et de planque au printemps 1944. Si l’on ignore qui le mit sur cette affaire, probablement la filière de l’ORA, il l’utilisa à profit pour se constituer une image positive en Saône-et-Loire : il s’adresse pour protéger MARX à Rupert POLFIET, alors directeur de la Maison du prisonnier et dans la clandestinité chef départemental des MUR, il obtient le service demandé, ce qui le valorise aux yeux du bénéficiaire et le constitue en personnage d’influence auprès de POLFIET. Ce crédit est renforcé en avril ou mai 1944 3 lorsque ALAIN le prévient de l’imminence de son arrestation par la Gestapo.

De même, ALAIN sait alors au mieux jouer de sa réputation d’homme du renseignement et de l’organisation, renforcée d’une certaine façon par les aspects les plus troubles. Les circonstances abordées par le rapport de police d’août 1954 à propos d’un emploi de “ chargé de mission à la défense passive ” servant de paravent à la mise en place d’un “ petit noyau d’hommes sûrs, pouvant se regrouper pour faire face par la force à un mouvement insurrectionnel lancé par le parti communiste ”, où l’on retrouve BAZOT prêt à s’impliquer dans un combat qu’il croit en continuité avec celui de 1944, pourraient paraître relever d’une imagination excessive de la part du fonctionnaire de police si l’on ne la remettait dans son contexte de guerre froide et sans la référence à l’épisode montcellien où un maire SFIO fait appel à des hommes de main RPF pour peser sur un climat social agité, fait confirmé par des témoins survivants 1 . Le fait même que le PCF laisse entendre qu’il joue un rôle dans la lutte anticommuniste, en particulier lors de l’épisode du “ complot ” du Plan Bleu contribue à renforcer cette image, accentuant ainsi son crédit et son utilité auprès de tenants de ce combat. Ceci contribue à éclairer et expliquer l’attitude de MAZUEZ. Il déploie beaucoup d’énergie pour empêcher ou freiner toute investigation auprès des services d’état-civil de sa propre ville, pour briser des services de RG de Saône-et-Loire ne se soumettant pas à ses pressions et manifeste à l’égard de leur chef de service d’un véritable acharnement. Il continue à entretenir avec ALAIN des relations cordiales alors que ses impostures sont établies. De son côté le préfet LAMBERT déploie aussi beaucoup d’efforts pour freiner les investigations. Lorsque Vincent BERTHEAUD parvient à contourner l’échelon départemental et obtient le 21 mai 1953 du ministère de l’intérieur qu’il demande des explications au préfet sur les accusations portées par l’ancien président du CDL, il n’hésite pas à s’appuyer sur les nécessité de “ l’ordre public ” et de l’honorabilité d’hommes politiques pour demander l’enterrement du dossier, ce qu’il obtint d’un ministère peu soucieux de scandale. ALAIN bénéficie même à ce moment-là de l’attitude de ses pires ennemis, qui considèrent, à l’instar de Claude ROCHAT, que dans le contexte de 1954, alors que la loi d’amnistie de 1953 a ouvert les portes des prisons à la plupart des collaborateurs condamnés à de lourdes peines et que la guerre froide idéologique fait rage, “ faire revenir à la surface ” ces “ noirceurs du passé ” serait armer les ennemis de la Résistance.

Si le dossier ne trouve pas de débouché judiciaire, les recherches n’en sont pas pour autant abandonnées puisque selon le témoignage de Daniel PONTHUS, alors adolescent, son propre père, voisin d’ALAIN à Iliat, fut interrogé en 1955 par des policiers en civils sur les allées et venues effectuées, les visites reçues par cet homme, jouissant “ d’une certaine notoriété locale ”, sous le nom de “ colonel ALAIN ”. L’un des policiers précisa d’ailleurs à PONTHUS père “ il n’est pas plus colonel que vous et moi ”. Les gendarmes de la brigade de Thoissey dont dépend Iliat ayant fait part à PONTHUS de leur connaissance de l’enquête lui indiquèrent un an plus tard, donc en 1956, avoir reçu “ l’ordre de laisser tomber ” 1 .

Notes
3.

Rapport des RG, août 1954, p.7.

1.

Roger JOLY et Camille VAILLOT, ancien résistants, mineurs. Entretien du 20 octobre 1999.

1.

Entretien juin 1998.