1-L’étrange libération de la préfecture de la Nièvre

En cette fin août 1944, les vallées de la Loire et de l’Allier, en particulier le triangle Decize-Nevers-Saint-Pierre-le Moûtier, ne sont en rien des zones tranquilles. Alors que l’aile droite du dispositif allié venu de Normandie, constitué par les unités commandées par PATTON et les troupes de l’Armée B remontant l’axe Rhône-Saône à une vitesse inattendue, s’apprêtent à opérer leur jonction en Côte-d’Or, d’importantes unités de l’armée allemande refluent selon un axe Sud-Ouest/ Nord-Est. Compte tenu du relief et de la configuration des axes de communications, leur route passe par cette zone. C’est particulièrement le cas de la fameuse “ colonne Elster ”. L’objectif de ces troupes est de remonter le cours de la Loire de Nevers à Digoin, puis d’emprunter l’axe naturel Bourbince-Dheune, gagner Autun puis Dijon. De ce fait, la résistance départementale de la Nièvre a dès le début de l’été prudemment installé et maintenu son Etat-Major ainsi que le CDL clandestin dans le petit village d’Ouroux-en-Morvan, au cœur d’un territoire bien tenu pour le maquis et ne présentant pour l’ennemi aucun intérêt militaire particulier. Face à la situation créée par la rapidité de l’avancée des troupes franco-américaines venues du Sud, facilitée par le choix allemand de constituer une ligne d’arrêt plus au nord selon un axe Dijon-Belfort, les chefs de la résistance nivernaise ont décidé d’éviter toute initiative prématurée en direction de la capitale départementale et des communes ouvrières de sa périphérie, Fourchambault et Varennes-Vauzelles. L’objectif était d’y infiltrer des petits groupes, sans chercher un affrontement risquant de provoquer des représailles sur la population.

Or, le 26 août, les habitants de Nevers découvrent sur les murs de leur ville l’affiche portant la proclamation suivante 1 :

‘FFI-GROUPE NAPO
Le groupe NAPO est à Nevers
Ne le cherchez pas
Il vient du maquis et sait se dissimuler
Le gl de Gaulle veut une France forte et propre
Il l’obtiendra avec ceux qui ont tout sacrifié pour notre pays
Que les autres restent à la place qu’ils ont choisie depuis plus de 4 ans
Rien ne nous fera dévier de la ligne de conduite que nous avons choisie et qui est “ droiture, discipline et responsabilité ”
NAPO

Cette proclamation est étonnante à bien des égards, notamment par le voile de mystère qu’elle tisse autour d’un “ groupe ” dont la plupart des Neversois n’ont jamais entendu parler. La référence au sigle FFI et à l’autorité du général de Gaulle est pour sa part totalement abusive : la seule légitimité FFI et gaulliste est alors incarnée par l’état-major d’Ouroux, où les différentes composantes de la Résistance collaborent sans trop de difficultés et le “ groupe ” NAPO, regroupé depuis début août dans les bois de Chevenon n’est en rien intégré à ce dispositif départemental. Quant aux trois principes finaux, la suite de l’histoire de COURVOISIER en font l’inverse absolu de la réalité, l’auteur de la proclamation se révélant alors indiscipliné, irresponsable, peut-être agent double. Le sens de cette manœuvre apparaît clairement, en contrepoint des choix du commandement FFI : il s’agit, en s’appuyant sur les autorités en place à Nevers, de prendre de court les autres forces résistantes, et créer une situation de fait. Cela faisait de NAPO un personnage incontournable lors des temps suivant la Libération. Iljoue une stratégie personnelle qu’il convient alors d’identifier afin d’en cerner les attendus.

La suite des événements, particulièrement l’entrée réelle du groupe NAPO dans Nevers, fait l’objet de récits et interprétations divergents. L’historien “ officiel ” de l’OCM, Arthur CALMETTE 1 , dédaignant de façon quelque peu surprenante les écrits de celui dont il veut faire un héros sans tache, aligne les contre-vérités. Il affirme que l’entrée de NAPO dans Nevers se fit le 3 septembre, jusqu’à ce que les “ FFI ”, c’est-à-dire NAPO et ses hommes, en soient chassés “ dans la soirée ”, par “ les maquis FTP du Morvan ”, arrivés “ en force ”. Ces éléments constituent le socle d’une légende noire de la libération de la Nièvre où les FFI sont confrontés à un complot communiste. Les trois informations majeures sont erronées : la date, l’origine des “ maquis FTP ”, les circonstances des difficultés des hommes de NAPO. Ce dernier ne va d’ailleurs pas aussi loin dans le détournement des faits dans son rapport d’activité du 28 septembre 1951 2 , authentifié, mais avec les plus extrêmes réserves sur les exploits dont se pare l’auteur, par le colonel ROCHE, chef départemental FFI. Ce rapport fait état d’une entrée de ses compagnies dans la ville de Nevers à la suite d’une information venue de la gendarmerie qui annonçait le départ des troupes allemandes, au cours de la nuit du 6 au 7 septembre. Installé le 7, à 10 heures avec son PC à l’Hôtel de France, ancien siège de la Kommandantur, il revendique l’unification des forces résistantes présentes dans Nevers, l’organisation de leur cantonnement et la mise en ordre de la ville. La réalité des faits, minutieusement reconstituée par JC MARTINET, entièrement confirmée par Paul MATRIOLET-LE VENGEUR 3 , adjoint du commandant Roland CHAMPENIER, est toute autre. S’il n’était pas nécessaire d’unifier des FFI passés sous commandement unique depuis août, par contre la première tâche des hommes de NAPO fut d’entreprendre le désarmement des éléments FFI infiltrés avant son arrivée et d’une cinquantaine d’hommes appartenant aux Milices patriotiques, constituées sous l’autorité de MATRIOLET. Quand à son expulsion, travestie par Arthur CALMETTE, réduite par lui-même à un retour ‘“ dans les cantonnements ”, elle fut le fait du commandant de CHAMPEAUX qui l’enjoignit, le 8 septembre à 9h30, parlant au nom du colonel ROCHE, de “ déguerpir et quitter la ville ”’ ‘ 1 ’ ‘.’

Ce départ, exécuté sans obtempérer, permit, dès le lendemain, l’entrée officielle des maquis, de leur Etat-Major, des membres du CDL et du préfet JACQUIN dans une ville cette fois définitivement libérée.

Jusqu’à la dissolution du bataillon NAPO, le 30 novembre, de nombreux problèmes opposèrent les autorités à certains de ses éléments, à l’origine d’incidents le plus souvent couverts par leur chef.

Notes
1.

AN 72AJ168.

1.

Arthur CALMETTE, L’OCM, Histoire d’un mouvement de Résistance de 1940 à 1946, p.202.

2.

AN 72AJ168.

3.

Entretien, 18 septembre 1997.

1.

Jean Claude MARTINET, op. cit. p.287.