1-Le capitaine  JO, usurpateur, agent double

1-1-Un FTP brouillon et trop zélé ?

Dans un rapport adressé au préfet de l’Yonne et au procureur de la République, le commissaire commandant les Renseignements généraux d’Auxerre fait état 1 le 29 août 1944, soit quelques jours après la libération de la ville, des activités répréhensibles du capitaine JO, du 2e bureau de l’état-major FFI du département. Celui-ci se livre à la maison d’arrêt d’Auxerre à des interrogatoires qui suscitent chez le personnel pénitentiaire et par extension “ en ville ”, “ une forte émotion ”. Des prévenues, trois femmes de 22, 23 et 30 ans, convaincues d’avoir eu des relations amoureuses avec des Allemands et suspectées de dénonciations ont été interrogées par JO entièrement dénudées, ont été battues à coup de poing, de pied et de ceinturon. Le personnel “ qui s’efforçait de soustraire les détenues à ses coups ” s’est vu menacé par l’arme de poing du capitaine FFI.

Il se signale à nouveau au même fonctionnaire 1 , mais cette fois seulement comme suspect lors de l’arrestation puis la disparition de Marcel BROCARD, ancien militant communiste, ayant rompu à la suite du pacte germano-soviétique puis adhéré à la IVe Internationale. Opérée le 22 septembre par deux inconnus, dont l’un “ semble être JO ”, cette arrestation aboutit le 29 décembre à la découverte du cadavre de BROCARD dans les bois de Seignelay. Rien ne permet de confirmer l’hypothèse policière, ni au service de qui JO aurait opéré. Rien n’exclut cependant que JO ait voulu, en éliminant un trotskiste, courant dont il sait que le PCF le poursuit d’une véritable volonté de destruction, renforcer son crédit auprès de ses supérieurs hiérarchiques, à moins bien sûr qu’il n’ait agi sur ordre. Les deux hypothèses sont plausibles.

L’homme qui apparaît ainsi sous le champ d’observation de la police n’est ni inconnu ni nouveau venu dans l’Yonne où son histoire commence en avril 1944. L’homme arrive, depuis le Loiret, accompagné d’une femme nommée Pierrette, présenté par le parent d’un cadre FTPF, chef de maquis réputé pour son “ indiscipline viscérale ” MITTAY-PAULO, ‘“ chef courageux mais peu soucieux de sécurité ”’ ‘ 2 ’ ‘.’ Ce chef de maquis organise des hommes sans en référer au recruteur ce qui accroît les risques d’infiltration. Entré en contact avec la direction régionale FTPF, JO se dit communiste et ancien des Brigades internationales. Robert LOFFROY se souvient d’un homme qui “ s’agitait beaucoup, parlait énormément, était très envahissant ”. Son passage dans les maquis FTP de l’Yonne est marqué, selon LOFFROY, par de nombreuses “ excentricités ” en particulier avant le débarquement. Cette attitude qui aboutit le 10 juillet 1944 à la dissolution de la compagnie dont le commandement lui avait été confié, la compagnie ROUGET de LISLE, est partiellement masquée par “ la grande pagaille qui chez les FTP de l’Yonne avait suivi l’échec de l’insurrection du 6 juin ”. En effet, obéissant à des consignes venus des “ politiques ”, initiative qui sera par la suite mise au compte du seul CER Marcel ASMUS-DUPRE alors qu’il semble n’avoir que répercuté des ordres venus de l’échelon supérieur, les FTP icaunais ont lancé “ une tentative de soulèvement général ” qui s’acheva en fiasco. Robert LOFFROY en témoigne aujourd’hui, le 6 juin 1944, ASMUS-DUPRE proposa au CMR de lancer l’insurrection nationale. L’accueil fut enthousiaste. Cette attitude dont le déroulement des événements démontra qu’elle était totalement irréaliste s’explique selon Robert LOFFROY par l’idéalisation du thème de l’insurrection nationale dont étaient bercés les FTP et par la coupure que la clandestinité avait creusée avec le reste de la population, les amenant à en surévaluer la capacité de sursaut collectif, à la seule annonce du débarquement. Dans ce contexte agité qu’une sérieuse reprise en main en juillet apaisa, le fait que plusieurs chefs de compagnie FTPF fassent preuve d’indiscipline ou d’irresponsabilité contribue à ne pas trop mettre le cas JO en relief, ceci d’autant plus qu’il conquiert une véritable légitimité en devenant à partir du débarquement une sorte de champion de la chasse et de l’élimination de collaborateurs, ce qui le fait bénéficier d’une grande popularité chez de nombreux maquisards. En réalité, il élimine ceux qui pourraient témoigner de son double jeu. Récompensé pour ces exploits, il est nommé en août “ responsable aux renseignements ”, dépendant directement du CTR, fonction où il manifeste “ un zèle remarquable ”, éliminant de nombreux agents de l’Abwehr, faisant dès le premier jour de la Libération une véritable  chasse au ‘“ gratin de la collaboration auxerroise qui n’était pas parvenu à prendre la fuite avec les Allemands ”’ ‘ 1 ’. Ses excès lors des interrogatoires signalés par les RG amènent ses supérieurs à le relever de ses fonctions. Cette initiative suscite protestations, distributions de tracts pour défendre celui qui s’est constitué une figure de justicier. Robert LOFFROY convient aujourd’hui avoir ‘“ sous-estimé le prestige dont il jouissait auprès des maquisards aux yeux desquels il symbolisait la justice ”’, notamment en arrêtant en pleine audience le greffier du tribunal d’Auxerre, ancien membre du PPF. Rétabli dans son grade, il se met sous la protection de GILHO. Cette situation est révélatrice, chez les maquisards, de la survalorisation de la dimension armée de leur combat et du courage physique qui permit à des gens comme JO de se constituer une figure héroïque masquant leur besogne d’agents doubles. Elle constitue, n’étant en rien isolée, un démenti à ceux qui tendraient à présenter le dispositif FTP et celui du FN comme strictement soumis aux directives venues de leurs cadres communistes.

Notes
1.

AD89 1W319.

1.

AD89 1W319.

2.

Robert LOFFROY, commissaire aux effectifs du FN de l’Yonne. Entretien 16 octobre 1996.

1.

Robert LOFFROY entretien cité.