Dès les premières semaines de liberté, la demande d’une épuration élargie et rapide devient un thème récurrent de la propagande issue des comités de libération, des partis de gauche comme de la plupart des mouvements. Omniprésent dans les dénonciations des limites et lenteur des réformes promises, ce thème est le plus souvent étroitement associé à la question du ravitaillement. Cette association n’est ni fortuite ni artificielle. Elle est légitimée par le maintien dans les services du Ravitaillement général de fonctionnaires ayant servi le régime de Vichy et qui apparaissent ainsi à la fois comme les manifestations d’une épuration insuffisamment élargie et comme les acteurs du sabotage du ravitaillement.
De véritables campagnes politiques sont développées à l’égard de cibles individuelles, constituées par des personnels majeurs de l’appareil de répression de Vichy, étroitement associé aux forces de sécurité de l’occupant.
Dans l’Yonne la cible principale est GREGOIRE, commissaire divisionnaire aux Renseignements généraux d’Auxerre, ayant laissé une sinistre trace dans le département. Dès le 23 septembre, au cours d’une réunion publique à Auxerre, le PCF exige un procès rapide et sa condamnation à la peine capitale 2 . Cette volonté trouva une réponse lors du procès du commissaire devant la Cour de Justice de l’Yonne, du 18 au 20 avril 1945, aboutissant à la condamnation à mort de l’accusé. Mais le fait qu’il ait comparu libre à son procès est révélateur des hésitations ou contradictions apparues au cours de l’instruction des dossiers de tels personnages.
Il en est de même en Côte-d’Or où l’automne 1944 est marqué par la mise en cause du commissaire MARSAC principal ordonnateur de la chasse aux résistants de la région. Les hésitations de la justice devant le dossier vont d’ailleurs déboucher sur un drame obscur qui en faisant disparaître le personnage avant son procès évitera d’entendre la voix d’un homme très informé, du fait de sa fonction, de ce qui s’était passé depuis 1943.
Les lenteurs et hésitations de l’épuration suscitent colère et protestation de forces issues de la Résistance. Le 5 mars 1945 , le comité de coordination FN/MLN de Chalon-sur-Saône exige dans le quotidien local une ‘“ épuration totale de la police et de la magistrature ”’, ‘“ le châtiment exemplaire de tous les traîtres et de tous les trafiquants ”’. Cette exigence manifeste trois réalités politiques, six mois jour pour jour après la Libération du département. L’exigence fiévreuse d’une épuration radicale émise par une large partie du monde résistant n’a été que très partiellement satisfaite ; la connexion avec les questions du ravitaillement, avant et après la Libération, est confirmée par la mise en cause des “ trafiquants ”, appellation visant les profiteur du marché noir, cibles de l’action des comités de libération et des Milices patriotiques ; mais comme il sera démontré dans l’étude de l’échec des structures issues de la Résistance, ce discours radical cache en fait leur incapacité à avoir prise sur le réel, sa dimension globalisante compensant son faible écho sur une population plus préoccupée par les problèmes quotidiens, le suivi des opérations militaires et, du printemps à l’été 1945, par le retour des prisonniers et déportés.
AD89 6W25450.