Les caractéristiques de l’épuration, telles qu’elles ont été identifiées, tiennent à des données politiques liées à la volonté du général de GAULLE de s’appuyer sur une partie de l’appareil d’Etat hérité comme d’éviter des déchirement internes à la société qu’une trop large épuration risquerait de susciter. Il ne faut malgré tout pas négliger une dimension secondaire et partiellement conséquente des choix politiques, celle des conditions matérielles dans lesquelles s’est déroulée la mise en place des juridictions d’épuration, Cours de justice et Chambres civiques.
Dans la Nièvre, le 20 novembre 1944, le procureur du gouvernement de la Cour de justice s’adresse 1 au procureur général pour faire état des problèmes dans lesquels il se débat. Il ne dispose alors que de deux magistrats pour traiter 450 dossiers déjà ouverts, avec une probabilité d’un millier à l’issue des enquêtes. Il demande de ce fait l’attribution d’un personnel constitué de deux secrétaires, deux greffiers et trois sténodactylos réparties entre le parquet, l’instruction et le greffe. Il sollicite de plus la création de deux sous-sections de la Cour de justice à Château-Chinon et Clamecy. Le 12 décembre le préfet informe le ministre de l’Intérieur des difficultés matérielles des tribunaux d’épuration. Le Palais de Justice, ancien palais ducal de la ville, ne disposant pas de place, il a dû louer quatre pièces dans un immeuble privé, servant de cabinet au Président, au Commissaire du gouvernement, au juge d’instruction, au secrétariat. Enfin il soulève les difficultés de transport et les coûts associés par le transfert de détenus à Pougues-les-Eaux, la prison de Nevers étant insuffisante.
Une telle situation, révélée plus de trois mois après la Libération par des hommes en charge de l’épuration met crûment en lumière le fossé existant entre l’importance des tâches, des difficultés matérielles pour les exécuter et la double réalité de l’urgence de traiter la question et de la volonté des forces résistantes de la voir régler. Manifestement, la médiocrité des moyens mis à la disposition des tribunaux d’épuration est une des composantes d’une volonté politique d’aller ni trop vite, ni trop loin, ni trop fort dans le processus d’épuration.
Les situations envisagées permettent de conclure que cette épuration est au cœur des enjeux politiques de la Libération et des temps qui lui succèdent. La confrontation entre une exigence de justice à la mesure des crimes avec les hésitations, lenteurs et palinodies de l’appareil judiciaire ne pouvait que déboucher ponctuellement sur des situations tragiques, comme ce qui devint, à Dijon, “ l’affaire MARSAC ”.
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