Le personnage a connu pendant l’occupation une ascension extrêmement rapide au sein des forces de police. Un rapport du Secrétaire général pour la police de Dijon, intitulé “ Causes et effets de la manifestation ”, adressé à la Direction générale de la Sûreté Nationale au lendemain de sa mort 2 retrace les étapes de ce parcours. Nommé commissaire stagiaire à la Brigade de Dijon le 5 avril 1941, il est promu le 10 mai 1943 chef de la section politique, puis nommé commissaire principal, chef de la Délégation régionale des Renseignements généraux le 24 janvier 1944, ceci à 28 ans. Ces fonctions le mettent en première ligne dans la lutte contre ceux que le régime vichyste et les forces occupantes qu’il sert qualifient de “ terroristes ”. Ses succès lui valent une citation à l’ordre des services de police de la région de Dijon : il ‘“ déploie à la tête de ses hommes une activité inlassable, un dévouement admirable, un cran magnifique ; se trouve ainsi à la base des heureux résultats policiers dans la région de Dijon ”’. En effet, lors du premier mois qui le voit à la tête des Renseignements généraux de Dijon, ce sont 250 arrestations de résistants qui sont mises à son crédit par Claude GUYOT 1 . Ceci explique que le nom même de ce policier suscite grande crainte chez les résistants de Bourgogne. Nous avons donc affaire à un personnage à la carrière fulgurante, largement liée aux circonstances particulières de l’occupation, qui traîne derrière lui l’image sanguinaire de celui qui fut responsable de l’arrestation et de l’exécution de cinq jeunes dijonnais dont quatre élèves de l’Ecole normale d’instituteurs de Dijon. Cet acharnement, s’exerçant “ principalement à l’encontre des FTPF ” 2 , ne l’empêche pas, au cours du troisième trimestre de 1943, de nouer de contacts avec le BOA aboutissant à “ un modus vivendi provisoire ” 3 .
Si PICHARD s’étend peu sur la nature et les circonstances des contacts entre MARSAC et certaines structures de la Résistance, les enquêtes minutieuses menées en Côte-d’Or par Gilles HENNEQUIN 4 permettent d’éclairer quelque peu cet aspect assez particulier. Le dispositif concerné est constitué par l’OCM et le BOA qui, comme en d’autres endroits comme la Nièvre, coopérent dans l’organisation des parachutages et des sabotages. On y rencontre des hommes relevant aussi, formellement ou par simple proximité politique, des FTPF et du FN. Il s’agit de Charles PROFIT, Alix LHOTE, proche du FN, déporté et Maxime GUYOT. Cette proximité organisationnelle, surprenante à bien des titres, permet aux FTP de bénéficier d’une partie du premier parachutage de Côte-d’Or, organisé pour le BOA le 17 juillet 1943, à Saint-Philibert, village où Alix LHOTE est instituteur. Ceci nuance quelque peu d’ailleurs l’image, largement constituée après coup, des FTPF privés d’armement. Charles PROFIT est pour Gilles HENNEQUIN “ un résistant infatigable ”, sans cesse en action, “ peu importait avec quelle organisation ”, ce qui explique sa double appartenance, fondateur d’un maquis FTP à Cessey-sur-Tille et immatriculé comme agent P2 du réseau Action du BOA. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il rencontre une première fois MARSAC, en 1943 à Arceau, près de Dijon, chez son chef de MAISONNEUVE, de l’OCM. MARSAC qui a déjà “ rendu des services ” au BOA, en faisant libérer un “ radio ” est convié à assister, dans une pièce voisine, à l’interrogatoire d’un homme se réclamant de la Résistance et suspecté d’être agent allemand. Démasqué, celui-ci est condamné à mort et exécuté non loin de là. Ceci n’empêche pas MARSAC d’envoyer dans la même période de l’été 1943 ses GMR à l’attaque de maquis constitués comme PROFIT d’anciens de la Compagnie du Génie 9/12, créée par les accords d’armistice en juin 1940 afin de participer à la reconstruction des infrastructures ferroviaires françaises. C’est d’ailleurs après l’arrestation de plusieurs de ses hommes que PROFIT monte une opération bien dans le style du personnage : accompagné de deux faux Feldgendarms, il se rend chez MARSAC pour lui annoncer qu’il fera exécuter deux policiers chaque jour si ses hommes ne sont pas libérés 1 . S’il n’obtempère pas complètement, MARSAC fait disparaître les découvertes d’armes des procès-verbaux ce qui mena à des peines légères.
Dès début 1944, ‘“ il comprend que si le BOA accepte ses services, le réseau entend strictement témoigner des services ainsi rendus mais en laissant la justice le soin de juger les très graves délits commis par MARSAC ”’ ‘ 2 ’ ‘.’ Dès lors, il rompt avec le BOA. Même si l’épisode fut de courte durée, il est révélateur de situations qui virent des collaborateurs majeurs de la lutte contre la Résistance chercher à constituer des contacts et par la grâce de “ services rendus ” échapper à la justice. Il refait d’ailleurs une nouvelle tentative, en août 1944, faisant alors savoir à l’EM-FFI qu’il était prêt à se rallier à la Résistance. Depuis 1943, il s’était à nouveau signalé, notamment en étant à l’origine de l’arrestation de 117 personnes à Montceau-les-Mines, début 1944 où ses services effectuèrent une grande rafle. Rien de surprenant donc qu’il reçoive une fin de non-recevoir. De l’ensemble de ces circonstances, il ressort que sa motivation était moins la volonté de travailler avec l’occupant que sa haine des communistes ou supposés tels, jointe à un farouche esprit carriériste.
Arrêté à la Libération, il voit sa mise en jugement devant la Cour de justice demandée par le CDL dès le mois d’octobre. Devant la lenteur de l’instruction, le 8 décembre, ce comité convoque en séance plénière le procureur LECHAT, le commissaire du Gouvernement VOISENET et le juge BOUCHARD, chargé de l’instruction 3 . Face à l’interpellation d’un CDL soumis à une intense campagne communiste en faveur d’un épuration rapide et radicale, les magistrats arguent de la nécessité de longues et nombreuses auditions pour instruire le dossier, de la “ défense pied à pied ” d’un MARSAC excipant de liens avec la Résistance, enfin du risque de mettre en danger des victimes déportées en cas de citations de leur nom au cours d’un procès précédant la fin de la guerre. Néanmoins, ils promettent une comparution dès janvier. La campagne de presse contre MARSAC menée par le PCF et ses organisations périphériques s’amplifie en janvier, attisant l’impatience comme la volonté de vengeance d’une opinion déjà fortement mobilisée sur ce dossier. C’est ainsi que le 13 janvier 1945, L’Avenir, hebdomadaire du FN de Côte-d’Or titre à la une “ Dans toute la Côte-d’Or, un seul cri : à mort MARSAC ! ”. La suspicion des épurateurs est renforcé par une tentative d’évasion de MARSAC, le 14 janvier au cours d’un transfert dont le Bien Public indique dans son édition du 15 qu’il se faisait “ à pied, sans menottes ”. Dès le 4 janvier, le CDL avait envoyé une adresse solennelle 1 au Garde des Sceaux, l’alertant des lenteurs de l’épuration et de ses conséquences prévisibles :
‘Le 16 janvier, lors d’un transfert de la PJ à la prison, au retour d’un interrogatoire, MARSAC tente de s’évader, tentative ajoutant à l’impatience face aux lenteurs de la procédure, la crainte de le voir y échapper, enfin le sentiment diffus qu’il dispose dans l’appareil de la police et de la justice de complicités. D’ailleurs, dès le 4 janvier, le CDL, sous couvert du Commissaire de la République, avait envoyé une protestation solennelle au ministre de la Justice. J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur le fonctionnement de la Cour de justice en Côte-d’Or et sur les dangers que comporte pour l’ordre public la lenteur des instructions.Au delà de la solennité de l’interpellation, deux points méritent attention dans les formulations du CDL. Il établit le lien entre les “ conditions de vie difficiles ”, allusion entre autres aux énormes difficultés de ravitaillement en ce premier hiver de liberté, durcies par les caprices d’un temps qui fait alterner inondations et vagues de froid, et la nécessité d’une justice rapide afin de “ satisfaire à bon compte sa soif de justice ”. Par là même, le CDL, par la voix de son président, tente de se dédouaner de ses responsabilités d’un domaine -le ravitaillement- dont il a hérité de la charge des services vichystes, en escomptant de l’épuration de quelques “ inculpés de marque ” qu’elle compense la colère montante contre les conditions de vie dégradées. Nous sommes en présence d’une singulière approche de la part de cet organisme, concevant l’épuration comme un exutoire à une colère pouvant se retourner contre lui, comme une sorte d’os à ronger à jeter à une opinion dont manifestement il n’est fait ici d’autre cas que de la considérer que comme une masse à “ satisfaire à bon compte ”. Nous sommes ici fort éloignés des idéaux démocratiques du programme du CNR. Quant à la référence à la possibilité de voir une “ justice populaire se (faire) d’elle-même ” et à l’affirmation que ceci ne saurait être blâmé, elle résonne, dès lors que les événements du 15 février sont connus, d’une façon étrangement prémonitoire. Harcelé par le PCF et par la presse locale, le CDL avalise par avance l’exercice d’une “ justice populaire ” s’exerçant sur MARSAC, se dessaisissant ainsi de ses responsabilités politiques. Même si ce texte ne fut connu qu’après coup, les communiqués du CDL protestant contre la lenteur de l’épuration avaient la même tonalité et préparaient le terrain des faits à venir.
AD21 40M114.
Claude GUYOT, op.cit., p.217.
Michel PICHARD, L’espoir des ténèbres, p.356.
idem p.104.
Gilles HENNEQUIN, Résistance en Côte-d’Or, t.3, p.183-185.
Gilles HENNEQUIN, op. cit. p.117.
idem p.312.
Claude GUYOT, op. cit. p.216.
AD21 40M114.