2-Un procès à nouveau repoussé

Au bout du compte, cédant aux pressions diverses, la Cour de justice fixe une audience pour le 14 février. Dans son édition du lendemain, La Bourgogne républicaine exprime sa stupéfaction devant la décision prise :

‘“ La Cour de justice de Dijon a pris hier une décision dont nous dirons nettement qu’elle est plus que regrettable. Elle a renvoyé sine die le procès MARSAC, sous le prétexte en apparence honorable, mais en réalité spécieux, que la publication des noms de patriotes déportés en Allemagne, après avoir été livrés par MARSAC aux Allemands, susciterait inévitablement des représailles. […]
Mais on pouvait fort bien juger MARSAC sans prononcer les noms des déportés politiques. On pouvait fort bien se contenter de citer à l’audience cinq témoins : les parents des normaliens que l’ancien commissaire a livrés au peloton d’exécution allemand.. Les témoignages auraient suffi. L’évocation de la mort de ces cinq enfants, la lecture de leurs déchirantes lettres d’adieu auraient suffi… ”’

Venant d’un organe de presse plutôt modéré, l’article cité est révélateur de l’exaspération qui monte dans la pourtant paisible capitale bourguignonne. Les effets de style, avec la répétition de “ on pouvait fort bien ” et “ auraient suffi ”, martèlent la possibilité d’une alternative possible aux atermoiements de la Cour de justice. La référence aux normaliens fusillés fait appel au souvenir d’un drame devenu depuis un élément majeur de la mémoire dijonnaise, mettant face à la barbarie des êtres incarnant la jeunesse, la réussite scolaire dans une institution, l’Ecole normale d’instituteurs, qui jouait un rôle majeur dans l’imaginaire laïque et démocratique puissamment revivifié par la Résistance.

Ainsi l’audience tant attendue se clôt sur une décision d’ajournement du procès, ce qui suscite, selon le quotidien susnommé, “ une violente manifestation à l’intérieur du Palais de Justice ”, suivie par un cortège organisé par les parents des fusillés et déportés, dirigé jusqu’à la préfecture et au bureau du préfet. A partir de cette décision, PCF et CDL vont rivaliser d’initiatives afin d’encadrer la mobilisation. Dès le 14, le PCF lance un appel à un meeting de protestation pour le 15 février à 18 h 30, salle de Flore du Palais des Etats 1 . Les Renseignements généraux font état de la présence fréquente, particulièrement près des usines, de papillons collés. Ils appelent à cette manifestation en dénonçant le fait que “ Marsac ayant échoué, les juges lui donnent l’occasion de tenter à nouveau sa chance”. Ainsi, le PCF met en cause ouvertement la Cour de justice, lui attribuant une volonté délibérée de faciliter les desseins d’évasion de MARSAC. Le fait n’est pas insignifiant, sachant que le PCF participe au CDL et que celui-ci exerce théoriquement un contrôle sur ladite Cour.

Dès qu’il découvre l’initiative communiste, le CDL ou plus précisément son président Claude GUYOT, décide de prendre les devants en appelant pour l’après-midi du 15, donc quelques heures avant le meeting du soir, à ‘“ une manifestation monstre, en appelant toute la population dijonnaise à clamer son indignation et sa réprobation ”’ ‘ 2 ’ ‘.’ Après avoir consulté “ par téléphone le plus grand nombre possible de membres du CDL ”, GUYOT signe un communiqué de presse appelant au meeting, en précisant : ‘“ La gravité de la décision et l’heure de la manifestation font une obligation aux ouvriers de quitter en bloc le travail ”’, façon indirecte d’appeler à la grève générale, via la CGT contrôlée par le courant réformiste.

Les justifications avancées dans son ouvrage de 1962 par Claude GUYOT sont révélatrices de la volonté des deux courants majeurs du CDL, socialistes et leurs alliés d’une part, PCF et ses organisations sous contrôle d’autre part, de récupérer le mouvement de colère populaire et en apparaître le meilleur défenseur. Toutes les organisations membres du CDL se rallient à l’appel, alors que le PCF maintient son meeting du soir. L’appel à la grève, les surenchères des uns et des autres ne peuvent que tendre une atmosphère déjà durcie par la décision de la Cour de justice.

Notes
1.

AD21 40M114.

2.

Claude GUYOT, op. cit. p.220.