2- Une population rapidement troublée 

Dès le 26 octobre 1944, Henri VITRIER fait état auprès du préfet DREVON du “ trouble ” qui tend à s’instaurer dans l’opinion, en particulier devant des “ arrestations arbitraires ”, les “ difficultés du ravitaillement ”, de nombreux conflits nés de “ la lenteur de la mise en place des nouveaux conseils municipaux ” ou opposant certains de ces conseils aux CLL. Il reprend, concernant la grande ville industrielle qu’est le Creusot, l’analyse de son commissaire de police selon lequel “ le changement de municipalité est passé presque inaperçu ”. Dans ce cas, il faut voir, bien plus qu’une situation généralisable, les effets conjugués du paternalisme des SCHNEIDER, le traumatisme des deux bombardements alliés des 17 octobre 1942 et 20 juin 1943 qui au prix d’une paralysie temporaire d’usines travaillant pour l’occupant, avaient profondément marqué la ville (près de 400 morts, 3000 maisons détruites).

A l’instar de ses correspondants dont il répercute les échos auprès du préfet, il observe le désintérêt progressif de la population pour les questions politiques. A la “ sorte de mélancolie anxieuse ” de son rapport d’avril 1945 succède “ l’atonie douloureuse ” de celui de juillet pour finir en août par le constat que “ l’opinion n’a que peu d’attention aux questions politiques ”, que ‘“ les controverses politiques passent au second plan, sauf en quelques cénacles où les militants dénombrent les forces, inculquent les principes, en prévision des prochaines consultations électorales… ”’

Ces formulations sont d’un double intérêt. Destinées au seul préfet, elles laissent au militant communiste qu’est Henri VITRIER, une latitude de liberté de pensée et d’expression qu’il n’aurait pas eue dans des écrits publics. Cette dimension accorde à ces quelques lignes une crédibilité certaine. Quant à leur contenu proprement dit, il est en profonde discordance avec le discours convenu issu des forces politiques partisanes lancées dans le combat électoral comme des structures issues de la Résistance qui cherchent à maintenir l’enthousiasme des temps du combat libérateur. Le constat de la disjonction en cours entre une population de plus en plus absorbée par les difficultés quotidiennes, perturbée par les situations troubles suivant la Libération et le mode de traitement de l’épuration et ce que VITRIER qualifie non sans quelques mépris de “ cénacles ” est éloquent de la rapidité de l’évolution de l’opinion, dans les quelques mois suivant le retour de la liberté.

Ces réalités, que des spécificités locales comme on l’a vu pour le Creusot pourraient expliquer, recoupent en fait largement ce qui peut être observé dans le reste du département et de la région.