2- Une situation délicate pour les CDL

Cette contradiction est perçue et formulée en de nombreuses circonstances par les acteurs de cette période. Ainsi, dans le département de la Nièvre, la collaboration entre le préfet et le CDL commence conformément à la lettre de l’ordonnance d’avril. Dès la première séance, le 16 septembre 1944, le président du CDL GAUTHE assure au préfet JACQUIN : ‘“ Vous trouverez toujours en nous, monsieur le préfet, l’esprit le plus large de compréhension et la collaboration la plus étroite ”’ ‘ 2 ’. Mais cette définition paisible est manifestement en contradiction avec les attentes de la population et avec ce qu’elle transfère sur le CDL en terme de capacité de décision. Dès le 30 octobre, dans une tribune du Journal du Centre, le président du CDL est amené à formuler ce décalage : ‘“  Il s’est créé dans l’opinion publique un courant qui attribue au CDL des pouvoirs totaux en toutes les matières, à tel point qu’il devient responsable de tout ce qu’il y a de mal fait, de tout ce qui n’est pas fait ou devrait l’être (…) Pour dissiper cette équivoque, je me permet d’indiquer que le CDL n’a aucun pouvoir de décision. Pendant la clandestinité, il était entendu qu’il aurait la possibilité de prendre des décisions qui devraient être appliquées par l’administration mais il n’en fut rien et aujourd’hui son rôle est réduit à très peu de choses. Il émet des vœux, transmet de nombreuses doléances qu’il reçoit mais pour la plupart restent sans suite… ”.’ Il réitère ces propos, en les durcissant, lors de la visite à Nevers du commissaire de la République MAIREY, le 2 novembre. Ils sont rapportés le lendemain par le même journal. Il y dénonce ‘“ le malaise qui règne dans le département, le mécontentement qui monte jour après jour contre le gouvernement et les pouvoirs publics ”’. Il s’exclame : ‘“ Grande est notre déception, aujourd’hui nous assistons à ce spectacle : Vichy renaît, Vichy préside à la résurrection de la République. Ses lois sont appliquées, ses créatures, ses officines sont en place et commandent, le gouvernement refuse de les déboulonner, bien plus Vichy liquide la Résistance. Hier, c’était nos glorieux FFI dissous, aujourd’hui ce sont les Milices patriotiques, demain ce sera notre tour y compris le CNR… ”’. Ces déclarations sont d’un grand intérêt, venant d’un homme qui contrairement à son homologue de Saône-et-Loire n’est pas issu exclusivement du combat libérateur puisqu’il fut jusqu’en 1943 conseiller municipal de Nevers. Plutôt qu’à ses interlocuteurs, par ailleurs membres comme lui de la SFIO, c’est au public qu’il s’adresse. Le texte vaut moins par sa sincérité improbable, avec les références aux FFI et aux Milices patriotiques que GAUTHE n’a jamais particulièrement appréciées et à une “ clandestinité ” où il ne fut pas un acteur notoire, que par la situation et les contradictions qu’il révèle entre les espoirs de certains et la réalité de la restauration de l’ordre républicain et le problème de fond qu’il pose, celui de la liquidation de la Résistance et la difficulté de fonctionnement d’un CDL privé de prise sur le réel et accablé de tâches subalternes. Une difficulté supplémentaire concerne la définition de ce que doivent être les comités locaux. Le CDL de Côte-d’Or s’y essaie dès le 21 août 1944, soit quinze jours après la libération de Dijon 1 . Dans une circulaire adressée aux CCL en constitution, il précise que les comité locaux doivent ‘“ aller de l’extrême droite aux communistes, sans aucune exclusive. Le comité doit être un véritable arc-en-ciel politique mis sous le signe de la Résistance. Il est même recommandé d’y envisager la présence d’une femme connue pour ses sentiments patriotiques… ”’. Malgré la référence à la Résistance, nous avons ici affaire à une conception particulièrement extensive de la composition politique des comités, probablement due à la volonté de la majorité socialiste du CDL de ne pas se retrouver face à des CCL noyautés par le PCF. Quant aux précautions de langage à propos de l’hypothèse d’une présence féminine, elles sont la fois en discordance avec l’importance de la participation des femmes au combat libérateur et en totale homogénéité avec l’état des consciences sur cette question.

Notes
2.

AD58 999W1625.

1.

AD21 20W889.