Cette complexité est inhérente au rôle même des comités de libération, CDL, CCL et CLL. Ils n’ont des parcelles de pouvoir que tant que ne fonctionnent pas réellement des municipalités et conseils généraux qu’ils ont pour tâche de rétablir.
Elle est brutalement formulée dès le 10 septembre 1944 par le CLL de Migennes 2 . Cette petite cité est un important dépôt SNCF, avec ses 150 locomotives, ses rotondes, ses ateliers de réparations. De ce fait, elle fut un important lieu de lutte contre l’occupant, scandée d’exploits héroïques comme celui de Louis RIGLET, FTP sédentaire, qui fit sauter 17 locomotives en juillet 1943, de drames comme la mort du même RIGLET, sous la torture, à Auxerre le 4 avril 1944. Le CLL de Migennes constitué dès la Libération de la ville est composé 1 d’un socialiste, un communiste, un radical-socialiste, un PSF, un représentant de la CGT, un “ syndicaliste chrétien ”, un “ socialiste à tendance communiste ” 2 , représentant le FN. Selon le rapport de police, le comité envisage pour lui-même deux hypothèses. Soit il “ serait incorporé au conseil municipal, s’il était dissous, démissionné ou réorganisé ”, soit “ s’il reste en fonction ” son rôle serait ‘“ d’étudier toute question locale, économique et politique, et émettre des avis, intervenir auprès du conseil municipal ou du préfet. Ce comité pourra demander le jugement des suspects, d’indésirables, de mauvais français. Il n’aura pas à rendre de jugements ”. ’
L’alternative est ici soit la disparition par incorporation au conseil municipal, soit la réduction à une fonction consultative et de conduite de l’épuration.
A l’inverse il arrive que ce soit le CLL lui-même qui soit contesté dans sa légitimité ou son utilité. A Broye, commune de l’Autunois, le 12 juillet 1945, une assemblée d’anciens prisonniers dénonce le CLL 3 dans un courrier au CDL, en met un second en place, non reconnu par le CCL et le CDL, bien qu’il soit soutenu par une pétition signée par 90% de la population et par le maire, élu au printemps avec 83% des voix. Le CDL arguant du fait que le maire est “ un homme des SCHNEIDER ” (nous sommes dans le bassin d’emploi du Creusot), que l’attitude du président des prisonniers “ devant l’ennemi avait laissé beaucoup à désirer ”, refuse d’en tenir compte et maintient son soutien au premier comité. Ce qui est en jeu ici est la question du processus dont relève le comité, de quelle légitimité, résistante ou électorale, il peut se réclamer, de ce qui peut le remettre en cause. Le point de vue du CDL de Saône-et-Loire est éclairé par la réponse qu’il apporte au maire d’Antully, commune située entre Autun et Le Creusot, dont le conseil municipal de 1939, étant au complet et ayant été confirmé à la Libération estime dans une lettre du 7 février 1945 que de ce fait, aucun CLL n’a lieu d’être. A cela, Vincent BERTHEAUD, au nom du CDL, répond 4 que les deux structures ne sont pas substituables, que le conseil municipal “ représente le climat politique ” de la commune, alors que le CLL, chargé “ de le contrôler ”, “ représente la Résistance ”. Cette réponse constitue un véritable énoncé politique, riche de sens. En opérant une distinction entre “ climat politique ” et représentation de “ la Résistance ” et en l’associant à des structures distinctes, le président du CDL reconnaît que les deux processus politiques sont désormais déconnectés.
La question du rétablissement du conseil général par le CDL de la Nièvre fait l’objet de longs débats au sein de cette instance 1 . Lors de sa séance du 30 novembre 1944, un vif affrontement oppose le préfet au communiste JOURDAN, représentant le FN. Le préfet estime que seul le conseil général peut “ engager des dépenses ”, que “ la situation matérielle ” du CDL “ est tout à fait transitoire ”, ce à quoi JOURDAN répond qu’il “ ne trouve pas opportun de rétablir le conseil général ”, que concernant le pouvoir financier, le CDL n’a qu’à se “ donner ces pouvoirs ”. Le fonctionnaire d’autorité ne peut alors que lancer à son contradicteur : ‘“ si vous voulez faire la révolution, c’est autre chose. Si vous voulez désobéir aux ordres du gouvernement, je serai obligé de me retirer de cette salle ”’, non sans annoncer que le conseil général est rétabli par décret gouvernemental et que la part du CDL se limite “ à faire des propositions sur sa composition ”. Le PCF et ses soutiens ne peuvent que freiner le processus de ce rétablissement. Lors de la réunion du 7 décembre 1944, LIMOGES, représentant du PCF estime que ‘“ quand les conseils généraux seront installés, je ne vois pas quel rôle il nous restera à jouer ”’ ; la déléguée de l’UFF surenchérissant en proclamant solennellement ‘“ si nous acceptons la dissolution des CDL, nous acceptons de même la dissolution de la Résistance ! ”’ et LIMOGES, par un raccourci étonnant déclarant en conclusion que ‘“ si les CDL disparaissent au profit des conseils généraux, nous retomberons sous la coupe des trusts d’avant-guerre ”’. Ces effets de manche de la part des représentants communistes relèvent de l’aveu d’impuissance, le processus de rétablissement des institutions d’avant-guerre étant engagé. Probablement destinés à entretenir les espoirs de ceux qui n’ont pas renoncé à une transformation révolutionnaire, ils sont significatifs des difficultés de l’appareil du PCF à concilier discours et pratique gouvernementale.
La séance du 4 janvier 1945 voit la légitimité même du conseil général remise en cause. Un représentant du PCF estime qu’il n’a “ pas lieu d’être ” et que le mieux serait d’intégrer les conseillers généraux n’ayant pas démérité pendant la guerre au CDL, ce qui provoque l’ire du préfet comme des autres conseillers. Il faut une forte incitation préfectorale pour que le CDL se soumette et mette en place un conseil général.
AD89 1W319.
AD89 1W85.
Cette identification est le produit de l’éclatement de la SFIO de l’Yonne, dont certains militants notoires intégrèrent le FN, pour souvent rejoindre le PCF à la Libération.
AD71 dossier CDL.
Idem.
AD58 999W1626 et AD21 W21559.