4- La composition des CCL et CLL

Ces comités dont la composition “ reflète la Résistance ”, selon le président du CDL de Saône-et-Loire BERTHEAUD 1 , et doit être avalisée par le préfet sur proposition du CDL, présentent une structure extrêmement peu homogène. Ils correspondent à des modes de représentation qui changent selon les communes. Ainsi, dans la Nièvre on peut rencontrer 2 des CLL dont les membres sont identifiés selon des critères d’appartenance politique ou organisationnelle à l’image du CDL, comme à Saint-Pierre-le-Moûtier où sont représentés le FN, la SFIO, le PCF, Libération-Nord, le BOA, l’UFF, l’AS et les “ prisonniers-déportés ”. D’autres, à l’instar de celui d’Azy-le-Vif, composé de six personnes, sont constitués sur des critères à la fois politiques et professionnels ; à Azy les trois bûcherons, le charbonnier, le cantonnier et une femme représentent le PCF (2), la SFIO (2), l’UFF et “ un républicain de la première heure ”. D’autres enfin représentent des groupes d’intérêts. Celui de Saint-Benin-des-Bois est présidé par Mme Vve Georges LEYTON “ représentant le Résistance ”. Son défunt mari Georges LEYTON-SOCRATE fut le prestigieux chef du maquis éponyme affilié à Libération-Nord-ORA, constitué aux limites de la Nièvre et de la Saône-et-Loire dès fin novembre 1943, “ un des plus redoutables au moment de la débâcle allemande ” 3 , abattu par l’ennemi le 10 août 1944 au cours d’un “ accrochage fortuit ”. Elle est assistée d’un fils de déporté “ représentant les victimes de l’occupation ”, d’un instituteur “ représentant les fonctionnaires ”, d’un cultivateur “ représentant l’agriculture ”, enfin d’un employé de chez LAMBIOTTE, entreprise de chimie du bois de Clamecy “ représentant les ouvriers ”. Le caractère plus ou moins spontané de la constitution des CLL et CCL, l’incapacité évidente du CDL, attelé à des tâches plus impérieuses, à imposer un contrôle sans failles, expliquent l’incertitude que révèle cette analyse à propos de la composition de ces comités. S’ils sont au bout du compte le plus souvent constitués à l’image des CDL, par une sorte de système de poupées gigognes, on a pu constater l’interférence avec ce mode d’autres formes de représentation, liés aux circonstances (prisonniers, victimes) ou aux réalités économiques et sociales. Ces identifications selon des critères catégoriels apparaissent fort éloignés de la réalité résistante et signent la rupture entre celle-ci et les processus postérieurs, même s’ils semblent en émaner.

Ainsi constitués, avec des pouvoirs limités, les comités locaux pouvaient difficilement être les organes de double pouvoir redoutés par les uns, espérés par d’autres. Leur composition les amène à se perdre souvent dans des querelles héritées de l’avant-guerre ou nées des circonstances de l’occupation et de la Libération, où conflits de bornage, problèmes de gestion de caisses de Secours mutuel absorbent une partie importante de l’activité du comité, le tout étant recouvert d’une solide langue de bois se lançant dans de grandes déclamations dont certains cahiers de doléances constituent une illustration éloquente. Il arrive même qu’un CLL prenne ouvertement parti pour un maréchaliste convaincu 1 . A Chaintré, commune du sud de la Saône-et-Loire un conflit éclate entre le CLL et de CCL de Crêches-sur-Saône à propos de la destitution du maire René SONNERY. Ce dernier, élu sans discontinuer depuis 1929, maintenu par Vichy et déclaré inéligible par le CCL et le CDL, est le châtelain du village, résidant dans une vaste demeure d’origine féodale. Sa défense auprès du CDL, au nom du CLL, est constituée par le curé du village qui pour légitimer son intervention du 4 novembre, se réclame de la doctrine sociale de l’Eglise, prétend passer auprès de certains pour “ un curé communiste ”. Il insiste sur le fait que R. SONNERY a fait “ magnifiquement les deux guerres ”, qu’en “ bon châtelain ” soucieux du sort de ses mandants, il n’a pas hésité à faire abattre les platanes de l’allée d’honneur menant au château pour fournir du bois de chauffe pendant les hivers de l’occupation, qu’enfin, s’il fut maréchaliste, il n’eut pas de relations avec l’occupant, et que “ son fils se bat aux premières lignes sur le front de Lorraine ”. Le 6 novembre, R. SONNERY s’adresse lui-même au préfet, rappelant que c’est le CLL qui l’a remis sur la liste des conseillers municipaux, contre l’avis du CCL, qu’il a certes été membre des Croix de Feu puis du PSF mais qu’il s’est éloigné de celui-ci dès 1937, qu’il présida le tribunal d’honneur de la Légion des Combattants en 1941 et qu’il demande une enquête sur son honorabilité. A la suite d’une ultime intervention du CDL auprès de préfet arguant que vu ses fonctions dans une organisation vichyste, la Légion des combattants, SONNERY ne pouvait être membre d’une assemblée municipale, cette position est avalisée officiellement et notifiée à l’intéressé le 9 décembre. Dans cette situation, le comité local apparaît comme la stricte émanation de l’opinion dominante, en rien l’expression d’un processus politique d’une quelconque rupture. Pour cette population, l’appartenance à une organisation vichyste n’a rien d’infamant et l’emporte l’attachement à un notable qui plus est “ bon châtelain ”.

Ainsi, perçus par leurs partisans comme par ceux qui les craignent comme l’émanation du fait résistant, les comités de Libération apparaissent enfermés dans la contradiction entre la dynamique dont ils sont en partie porteurs et le rôle limité qui leur est affecté, situés de façon confuse par rapport aux structures étatiques en voie de restauration et fragilisés par l’incertitude qui pèse sur leur constitution. Ces données initiales augurent mal de leur capacité à constituer une force tant soit peu cohérente pour apporter des réponses aux gigantesques difficultés qu’ils auront à traiter.

Notes
1.

AD71 Dossier CDL.

2.

AD58 999W1625.

3.

Jean-Claude MARTINET, op. cit. p. 197.

1.

AD71 Dossier CDL.