II-DES COMITES TARAUDES PAR LES DIVISIONS POLITIQUES

1-Le prolongement des rivalités et fractures des temps de guerre

Très vite, dès les premiers jours de liberté, les divisions héritées resurgissent, après avoir été superficiellement et fugitivement masquées par la joie de la Libération. Elles se manifestent d’emblée à propos de deux enjeux majeurs : la désignation et la composition du CDL puis des comités locaux. En ce qui concerne les premiers, les quatre comités bourguignons sont présidés par des gens issus des MUR pour la Saône-et-Loire et de Libération-Nord pour les autres départements, tous appartenant à la SFIO. Cette situation est d’ailleurs sévèrement contestée, en particulier en Côte-d’Or. Au cours de la séance plénière du CDL du 23 septembre 1944 1 , le docteur KUHN, radical-socialiste, membre du FN, est salué par le président GUYOT. Il fut un des fondateurs du CDL clandestin, mais après avoir été arrêté puis libéré au bout de trois mois, il dut alors prendre le maquis, au contraire des autres principaux dirigeants du CDL. C’est donc le retour de celui qui fut éloigné des processus politiques dijonnais de l’été 1944 que salue GUYOT. Mais les politesses d’usage sont rapidement dépassées par KUHN qui dans son intervention fait état “ du grave malaise qui s’étend dans ce département ”. Il impute ce malaise à “ la faute lourde de conséquences qui a été commise par le parti socialiste ”. Pour expliciter cette mise en garde, il interpelle les représentants de la SFIO en ces termes : ‘“ Messieurs les socialistes, qui êtes ici, vous vous êtes bien servi pendant que les combattants de la première heure croupissaient en prison, car le commissaire du gouvernement est membre du PS, le commissaire adjoint est membre du PS, le préfet est membre du PS, le chef de cabinet est membre du PS, le président du CDL est membre du PS(…). Tous les leviers de commande sont aux mains du PS. Pourtant rien ne justifiait une telle chose, (…) si mes souvenirs sont exacts, lorsque le commissaire du gouvernement, lorsque le préfet actuels ont été pressentis, sur mes conseils, pour entrer dans le premier groupement de Résistance, ils ont refusé…”.’ Il poursuit, regrettant que les maires de Montbard et Semur-en-Auxois, révoqués par Vichy en 1941, n’aient pas été rétablis en 1944. Suit un débat confus qui tourne autour du moment de l’entrée en résistance de tel ou tel, sur l’antériorité du CDL, dont la première mouture, non reconnue par la mouvance socialiste, ne relevait que du dispositif communiste, avec le PCF et le FN. Seul le CDL constitué le 12 novembre 1943 est légitime aux yeux des socialistes. Notons au passage que ces affrontements opposent des hommes qui étaient déjà en place avant la guerre, BOUHEY, commissaire de la République, député élu en 1936, GUYOT, maire et conseiller général d’Arnay-le-Duc, KUHN maire de Vitteaux.

Face à cette situation, la tactique du PCF est de saturer les comités via les organisations qu’il contrôle. C’est ainsi qu’il revendique une représentation, parfois légitime d’ailleurs dans certaines situations, pour le FN, la CGT, l’UFF, l’UJRF, les “ vieux travailleurs ”, les anciens combattants et diverses organisations économiques ou sociales sous son contrôle. Cette stratégie, décrite pour la période précédant la Libération par Philippe BUTON 1 , pose la question des choix politiques qui la sous-tendent. Y eut-il de la part du PCF une volonté de faire de la pyramide des comités de libération, en particulier aux deux niveaux inférieurs que constituent les CCL et les CLL, des structures de contre-pouvoir, face aux détenteurs de la légitimité de l’Etat, commissaires de la République et préfets ? Cette hypothèse trouve une apparence de confirmation en deux éléments déjà observés, les tentatives d’obstruction à la mise en place de municipalités provisoires et de conseils généraux provisoires et l’usage de proclamations à fortes connotations anticapitalistes, particulièrement autour de la dénonciation du régime “ des trusts ”. Or, ceci est en contradiction avec les choix légitimistes de la direction nationale et de plus ne vaut que pour les premiers mois de fonctionnement des comités. Dès lors qu’apparaissent à l’horizon politique des échéances électorales, de nouveaux positionnements se constituent, opérant de nouvelles frictions et divisions au sein des comités. L’hypothèse d’un projet communiste d’utilisation des comités de libération comme support à une prise de pouvoir ne tient pas.

Notes
1.

AD21 W21557.

1.

Philippe BUTON, op. cit. p.49 à 55.