3-L’épuration difficile, pour des comités submergés par la gestion quotidienne

Le cadre initial des tâches confiées aux comités par le CFLN limite celles-ci à l’information. Très vite, dès les dernières semaines du combat libérateur et au cours des premiers mois de liberté cette limite est débordée. Ceci suscite plusieurs rappels venus des instances supérieures. En Saône-et-Loire, dès le 8 août, Lucien DREVON-VILLEFRANCHE, ancien responsable des MUR, président du CDL clandestin et futur préfet de la Libération rappelle dans un message “ à tous les secteurs ” qu’ ‘“ à aucun moment il n’a été question de conférer aux comités locaux de Résistance le pouvoir d’ordonner eux-mêmes des arrestations(…) Ils doivent se garder d’initiatives aventureuses qui risqueraient de compromettre sérieusement l’ordre public ”’. Le problème continue à se poser dans les mois qui suivent la Libération. Ceci suscite, le 1er février 1945, un sévère rappel de la part du ministre de l’Intérieur TIXIER auprès des commissaires de la République et des secrétaires généraux pour la police. Il y signale que ‘“ les commissions d’épuration de certains CLL continuent à charger leurs membres d’entreprendre des enquêtes de police pour le compte desdits comités ”’. Il ‘“ estime qu’il importe de mettre un terme à ces activités illégales, les services de police étant seuls habilités à poursuivre des enquêtes, procéder à des interrogatoires, faire des perquisitions… ”’. Par une coïncidence de dates singulière, le même jour le sous-préfet d’Autun, Henri VITRIER répond 1 au maire de Saint-Léger-sous-Beuvray qui l’avait interrogé le 29 janvier sur cette question que “ les CLL ont surtout pour mission d’aider les CCL et le CDL à remplir leur devoir d’épuration. Par épuration, il faut comprendre non seulement la constitution de dossiers mais encore l’obligation de donner des renseignements ”. Sauf à jouer sur les mots il est difficile de concevoir l’établissement de “ dossiers ” et la collecte de “ renseignements ” sans pratiquer ce que le ministre prohibe formellement. On ne peut que constater les décalages entre le sommet de l’Etat et les relais locaux constitués par les comités et même le niveau des sous-préfets. La position ministérielle amène à s’interroger sur ce qu’il reste, en matière d’épuration, comme latitude d’action auxdits comités, d’autant plus que l’ordonnance gouvernementale du 21 décembre fixant la liste des organisations dont les anciens membres relèvent de la peine d’indignité nationale a introduit comme circonstance permettant de relever l’impétrant de sa peine “ les services rendus à la Résistance ”. On sait un demi-siècle plus tard que ce critère fut l’objet d’une utilisation très extensive.

Limités dans leur latitude d’intervention, les comités ne peuvent que s’élever ponctuellement contre les multiples échappatoires qu’il constatent. Ils concernent particulièrement le domaine judiciaire, où la grande modestie de l’épuration amène à de nombreuses situations pénibles. Le 4 janvier 1945, le président du CDL de la Nièvre s’adresse 1 au ministre de la Justice pour protester contre l’affectation comme vice-président à la Cour de Justice du département de l’ancien président du tribunal de La Châtre dénoncé le 27 décembre par le CLL de cette ville comme “ magistrat collaborateur notoire”, ayant eu “ des propos et une attitude antinationale ”. Sur un mode identique, le 5 juillet 1945, le CDL de Côte-d’Or publie dans le Bien Public une protestation solennelle contre la remise en liberté à Paris du juge SABATIER, procureur général à Dijon pendant la guerre, suspendu, interné à la Libération, transféré à Paris car ne pouvant être jugé dans la juridiction de son ressort et finalement remis en liberté, sans poursuites. Les mesures d’élargissement de condamnés, rapidement apparues, suscitent indignation et inquiétude. Le 7 octobre 1945, le CCL de Château-Chinon proteste auprès du CDL de la Nièvre 2 contre la libération de la prison de Clairvaux de l’abbé L., curé d’une paroisse du canton, condamné à huit ans de travaux forcés par la Cour de Justice de la Nièvre pour ‘“ activités antinationales et compromission sérieuse dans l’attaque du maquis de Chaumard par les Allemands le 31 juillet 1944 ”’. Cette attaque s’était soldée pour les maquisards par 22 morts et 4 déportés dont deux ne revinrent pas. Le 3 mars, c’est le CDL du même département qui proteste auprès du CNR à propos du même cas, ainsi que de la grâce qui vient d’être accordée au colonel D., “ ancien chef de la LVF, coupable d’avoir servi dans les rangs de l’ennemi et d’avoir porté l’uniforme allemand ”. Le même CDL intervient 3 en une situation où le grotesque côtoie le sordide. Le 26 décembre 1944, son président dénonce auprès du CNR le maintien en fonction de l’Inspecteur d’Académie de la Nièvre dont la commission d’épuration des fonctionnaires avait demandé la suspension. Il précise que ‘“ le plus beau est que l’on vient de (l’) aviser que Mr B… est chargé de donner son avis sur les instituteurs défaillants que nous aurons à passer à la commission d’épuration. C’est le comble de l’épuré devenant l’épurateur… ”. ’

Les aléas de cette épuration, partielle, partiale et inégale, suscite deux types de réactions dans les comités, comme on l’a vu dans le corps électoral, le souhait d’une épuration plus radicale, mieux ciblée et à l’inverse un effroi plus ou moins simulé devant son ampleur excessive. Les débats au sein des CDL font écho à cette ambivalence. Une note des Renseignements généraux de l’Yonne 1 annonce le 27 septembre 1945 l’intention de deux membres du CDL “ d’attaquer la tendance politique qui a été donnée à l’épuration ” et de ‘“ s’opposer au désir de certains membres du CDL de traduire devant la Chambre civique Jean MOREAU, élu conseiller général d’Auxerre-Ouest ”’. Maire d’Auxerre pendant l’occupation, Jean MOREAU est la cible d’une offensive menée par le PCF et l’initiative observée manifeste la contre-attaque de ses partisans au sein du CDL.

Ainsi, l’épuration dont on a pu observer les difficultés de mise en œuvre, constitue un véritable défi aux comités de libération. Rapidement privés de capacité d’agir sur le réel, elle leur offre un ultime champ d’intervention, mais aussi un ferment de division et d’impuissance.

Notes
1.

AD71 Dossier CDL.

1.

AD58 999W1625.

2.

AD58 999W1622.

3.

Idem.

1.

AD21 40M250.