1-La préparation des Etats généraux de la Renaissance française

Le coup d’envoi en est donné lors de la conférence des présidents des CDL réunie à Paris le 28 février 1945 sous la présidence de Louis SAILLANT 1 . Dans son intervention finale, il fixe les objectifs de ces Etats généraux et esquisse le cadre de leur préparation. La définition des objectifs reste dans une prudente généralité qui relève de la plus classique des langues de bois. En effet, ‘“ les EGRF doivent partir des réalisations immédiates indispensables pour créer les éléments d’une vie économique et sociale nouvelle pour notre pays qui le place à un degré de prospérité tel que la grandeur et la puissance de la France soient réalisées. Notre pays aurait par ces réalisations et ces constructions nouvelles toutes possibilités d’un essor supplémentaire ”’. Le cadre organisationnel proposé se calque scrupuleusement sur l’armature administrative du pays. A la base, des “ assemblées populaires ” communales débouchent sur une assemblée départementale, avec possibilités d’assemblées cantonales et d’arrondissement. L’ensemble débouche sur une assemblée nationale des EGRF, composée des délégués départementaux, des membres du CNR et des représentants de organisations qui y sont associées. Les CDL sont pour leur part chargés d’organiser l’assemblée départementale et la préparation des cahiers de doléances. Cet ensemble laisse en suspens un certain nombre d’incertitudes qui donnent lieu à de sévères débats entre les communistes et les autres courants. Il portent, de l’aveu même de SAILLANT, sur le pouvoir des assemblées populaires et la composition des listes de délégués à l’assemblée départementale puis aux EGRF. Ceci suscite un vif affrontement entre le CDL de Côte-d’Or et l’assemblée départementale des EGRF 2 . Alors que le CDL a décidé d’envoyer un délégué par organisation qui y est représentée, l’assemblée des délégués des réunions locales a proposé, par la voix de Marcel ASMUS, secrétaire fédéral du PCF, qu’elle soit composée en proportion de la participation à l’assemblée départementale. La “ séance houleuse ” du CDL s’achève par un vote rejetant ce vœu par les voix de la SFIO, de la CGT, de l’Union travailliste, de la CGA, des prisonniers et déportés. Les deux déléguées de l’UFF s’abstiennent, seuls ASMUS pour le PCF et l’abbé DAYET pour le FN votent contre. Même s’il ne porte pas sur un problème majeur, ce vote est néanmoins révélateur. Il montre que le contrôle du PCF sur ses organisations de masse, en l’occurrence l’UFF et les représentants des prisonniers et déportés, n’est pas aussi fermement assuré qu’il est habituellement convenu de le penser. Ce n’est d’ailleurs pas la seule circonstance où des non communistes, placés à la tête de ces organisations pour y servir de caution pluraliste, font preuve d’une certaine indépendance d’esprit, ce qui évidemment perturbe les projets de leurs mentors 1 . Un débat de même nature agite le CDL de la Nièvre 2 . Les socialistes nivernais contestent la pertinence du niveau communal, trop propice à la dispersion dans des situations strictement locales. Ils se voient alors reprocher par le communiste VIOLETTE de craindre “ l’opinion de la masse ”. De fait, dans les quatre départements, chaque délégation à l’assemblée nationale fut constituée conformément à la composition du CDL reflétant la main mise par la SFIO sur ces instances, alors qu’au niveau inférieur, des “ assemblées patriotiques ” à l’assemblée départementale, tous les cas de figure furent pratiqués. Se multiplient les demandes d’obtention de délégués de la part d’organisations le plus souvent contrôlées par le PCF, visant à saturer les délégations par ses militants. En Côte-d’Or, le Syndicat des employés de bureau et de commerce proteste 3 le 12 juin contre le fait que la CGT n’ait qu’un seul délégué et revendique pour elle une “ représentation proportionnelle, en fonction de ses effectifs et de l’influence qu’elle exerce sur le peuple ”. La même demande est formulée en faveur de la CGT, du PC et du FN par les cellules communistes dijonnaises du Val Suzon, des agents de train et de Dijon-Est. Venue d’un autre bord politique, c’est la Confédération générale du petit et moyen commerce, de la petite entreprise et de l’artisanat qui revendique d’être représentée au même titre que la CGT et de la CGA, arguant de son passé résistant et de son adhésion au programme du CNR.

Quant à l’écho rencontré par ces initiatives auprès de la population et même de beaucoup de militants, il semble particulièrement faible, en totale disproportion avec l’emphase du discours qui l’accompagne. Les Renseignements généraux de Côte-d’Or observent 1 le 4 juillet que ‘“ ne prennent en réalité une part très active à ce travail de préparation que le PCF, l’UFF et le FN ”’, sur les 25 organisations représentées au CDL, avec seulement 90 cahiers rédigés à ce jour. Leurs collègues de la Nièvre notent le 3 juillet que ‘“ les EGRF n’intéressent que très vaguement l’opinion ”’ ‘ 2 ’. Il en va de même dans l’Yonne où selon une note des mêmes services du 6 juillet les réunions préparatoires “ sont passées inaperçues ” 3 .

Notes
1.

AD58 999W1622.

2.

AD21 40M250 note des RG du 13 juillet 1945.

1.

Max NEVERS, alors secrétaire de l’UJRF de Côte-d’Or reconnaît aujourd’hui, pour s’en réjouir, que le jeune étudiant chrétien qu’il avait désigné pour le CDL fit preuve à plusieurs reprises d’indépendance de comportement par rapport aux consignes données. Entretien 24 février 1998.

2.

AD58 999W1926.

3.

AD21 W20885.

1.

AD21 W20885.

2.

AD58 W1630.

3.

AD89 1W85.