En cinq mois, les MUR de Saône-et-Loire changent deux fois de tête. En novembre 1943, Pierre DELACROIX-COURBET, fondateur de Libération-Sud à Mâcon, en position difficile après une série d’attentats anti-allemands, doit quitter le département pour rejoindre l’état-major lyonnais, auprès d’ALBAN VISTEL. Lui succède Rupert POLFIET-CHANET, alors directeur de la Maison du Prisonnier de Mâcon et dans la clandestinité fondateur du MNRPGD 1 . Dès mars 1944, à la suite d’imprudences dont font état de manière convergeante Claude ROCHAT 2 et Louis ESCANDE 3 , il doit fuir le département pour rejoindre les maquis du Lot. La direction départementale des MUR échoit alors à son adjoint, Jacques WARTELLE-MICHEL, venu des GF des MUR, dont le courage et l’activité sont salués par tous les témoins survivants. Pour Claude ROCHAT 4 ces qualités ne suffirent pas au jeune responsable, à un poste impliquant un contact fréquent avec ‘“ des hommes politiques, des fonctionnaires, gens rassis, susceptibles, faciles à effaroucher, et de prime abord peu téméraires ”’. Face aux difficultés du jeune dirigeant, compte tenu des enjeux de la période, la direction régionale des MUR décide en mai 1944 une vigoureuse remise en ordre. Deux réunions, l’une à Trévoux, l’autre à Villefranche-sur-Saône, en présence d’Auguste VISTEL-ALBAN remettent les choses à plat et constituent une nouvelle direction 5 . Y sont présents les chefs de secteurs départementaux. A la suite du refus d’Henri VINCENT-VIC, chef du secteur du Louhannais, le dirigeant régional avance le nom d’un inconnu pour les autres participants. Il s’agit de Lucien DREVON, chef de service à la préfecture du Jura, membre de la SFIO, qui prend dès lors le pseudonyme de VILLEFRANCHE. Les MUR de Saône-et-Loire sont désormais dirigés par un méridional corpulant, actif, organisé et autoritaire, ce qui n’alla pas sans quelques difficultés de relations ou de délimitations de pouvoirs avec des cadres locaux comme VIC, ou ayant effectué déjà tout un parcours résistant dans le département, comme Claude ROCHAT-GUILLAUME, responsable des maquis de l’AS.
Cette dernière a affronté au début de l’année 1944 une difficile épreuve : le 23 janvier 1944, elle a perdu ses deux chefs départementaux, de BELLECOMBE-BEAURIVAGE et son adjoint PAGENEL-DANGLAS, à la suite de l’infiltration du dispositif par un agent de la Gestapo, GARCIA. Le même jour, plusieurs dizaines d’arrestations sont opérées dans le département : l’AS est décapitée. PAGENEL succombe au supplice de la baignoire à l’Ecole de Santé de Lyon alors que le corps de son chef est retrouvé dans le Rhône. Ce drame soulève brutalement le problème de la sécurité dans des zones où l’absence visible de forces allemandes ou vichystes suscite un illusoire sentiment de sécurité. PAGENEL, architecte, vivait à Cormatin près de Cluny, au vu et au su de la population, recevant ses contacts à domicile. Pour combler le vide créé par ces chutes, l’Etat-major régional choisit deux hommes fort différents : Thibaud de la CARTE de la FERTE SENECTAIRE-FERRAND, officier du 5e RD dissout après l’occupation de la Zone Sud par les Allemands et Claude ROCHAT-GUILLAUME, en Saône-et-Loire depuis août 1943. Ces événements laissent manifestement le dispositif et les hommes de l’AS dans un trouble profond. En témoigne un rapport de FERRAND à l’Etat-major régional en date du 10 avril 1944 où il constate que ‘“ pendant ce mois-ci, l’AS n’a reçu aucun matériel. Cela n’est pas fait pour redonner confiance…Le chef de l’AS de Saône-et-Loire a donné l’ordre à tous ses éléments de cesser toute activité afin de remettre d’aplomb l’organisation… ”’ ‘ 1 ’ ‘.’ Intervenant plus de trois mois après les chutes de début janvier, ce rapport met crûment en lumière la force de leur impact sur le fonctionnement des structures de commandement comme sur le moral des hommes. Ce n’est finalement qu’en juillet, plus d’un mois après le débarquement que la répartition des tâches entre FERRAND et GUILLAUME est précisée par la note régionale n° 25 du 12 juillet et la décision n° 2 du 18 juillet 2 . La mise en œuvre des plans alliés et gaullistes rend urgente un telle décision. Tout en effet, mis à part un même farouche patriotisme, sépare l’officier d’active monarchiste, et le jeune ingénieur républicain, officier de réserve n’ayant pas ramené de sa campagne de mai-juin 1940 une grande estime pour l’armée. Le premier se voit attribuer la responsabilité des actions militaires, le renseignement, l’armement et les parachutages, avec le titre de Commandant militaire des opérations des unités AS et SOE, alors qu’au second, avec le grade de commandant et le titre de Commissaire aux effectifs, échoient les liaisons avec l’Etat-major régional, les maquis et la responsabilité des groupes francs. Ainsi définies, les responsabilités conduisent manifestement à d’inévitables chevauchements de compétences, en particulier en matière d’armement. Néanmoins, et malgré tout ce qui les sépare, il apparaît que les deux hommes surent dans la plupart des situations mettre l’objectif libérateur au premier plan, non sans des frictions inévitables, dans un tel contexte, entre des hommes si différents. Reste que la décision de l’Etat-major régional pose question. Le choix d’une direction bicéphale, associant deux personnages aussi éloignés relève probablement d’une option délibérée visant à intégrer des cadres de l’armée d’armistice, sans les désobliger, mais tout en les associant à des civils, politiquement plus sûrs, porteurs d’une dynamique maquisarde qu’il convenait de ne pas laisser étouffer dans des schémas militaires classiques. Cette hypothèse est confortée par la quasi similitude de la démarche adoptée à l’échelon inférieur, celui du secteur du Louhannais, où le lieutenant de la brigade de gendarmerie de Louhans GUIGUET-CONDE doit cohabiter, comme adjoint, avec l’instituteur Henri VINCENT-VIC. Là aussi, même si la susceptibilité de celui qui devait faire une brillante carrière le menant au grade de général en fut quelque peu affectée, la cohabitation fut convenable, sans dommage pour l’efficacité du combat libérateur. Une dichotomie semblable s’observe d’ailleurs au sein même de la direction de la R1.
Une autre occurrence qui pesa sur les données politiques des temps de Libération naît de la mise en œuvre locale de la décision d’intégrer au sein des FFI, en février 1944, les différentes entités résistantes. Elle pose le problème des relations, au sein de l’AS, entre des maquis liés au SOE et les autres d’obédience gaulliste ainsi que celui des relations AS-FTP, question éminemment politique qui divise les dirigeants départementaux de l’AS. FERRAND tend à ne voir dans les FTP, solidement organisés dans le Bassin minier, l’Autunois et la Côte chalonnaise, que des “ bandes de voyous ” 1 , alors que son adjoint fait tout pour répartir équitablement les parachutages, en proportion de la capacité opérationnelle. Les relations AS-FTP, en particulier au sein de l’Etat-major FFI constitué en mai ne sont pas facilitées par la dualité interne à la seconde organisation. Les FTP-Zone Nord sont représentés par Henri VITRIER-HENRI, alors que Jean RITOUX-LE DON a pris la direction des FTP-Zone Sud depuis son arrivée en juin. Les deux hommes n’entretiennent pas les meilleures relations. LE DON est un personnage considérable, vieuxmilitant communiste, fondateur de l’AS dans l’Ain, adjoint de ROMANS-PETIT avant de passer aux FTP puis d’être muté en Saône-et-Loire sur ordre du PCF. Son envergure, son caractère autoritaire, sa capacité organisationnelle en font rapidement, malgré l’aspect tardif de son affectation, un personnage clef de la situation départementale 1 . Pour ce qui est de l’attitude des agents du SOE, elle n’est pas sans susciter de fortes frictions, avec GUILLAUME comme avec les FTP, à propos de la répartition des parachutages dont TIBURCE veut se réserver la totale maîtrise comme des choix tactiques. La libération de fait de Cluny dès juillet et l’installation au grand jour de la Résistance dans la ville comme la proposition de lancer les maquis à l’assaut de Mâcon, initiatives venues du SOE, suscitèrent, notamment chez GUILLAUME, une forte protestation pour la première et un refus absolu pour la seconde.
La configuration du dispositif résistant et des structures de commandement au cours de l’été 1944 présente donc une double caractéristique, une réelle capacité tactique, imposant à l’ennemi une dispersion des forces, lui infligeant une défaite lors de ce qui fut une véritable bataille, le 11 août 1944 entre Mâcon et Cluny, avec près de 2 000 Allemands engagés dans une tentative pour dégager l’axe secondaire Mâcon-Cluny-Chagny, et une certaine confusion structurelle et politique.
Entretien 25 janvier 1995.
Entretien 6 février 1995.
Entretien 25 janvier 1995.
Claude ROCHAT, op. cit. p.97.
Idem p. 128.
Claude ROCHAT, op. cit. p. 109.
Idem p.191.
Claude ROCHAT, entretien 6 février 1995.
Jean-Yves BOURSIER, Chroniques du maquis (1943-1944), FTP du camp Jean Pierson et d’ailleurs, L’Harmattan, 2000, p.253 à 262.