Mis en place en mai 1944, présidé par Lucien DREVON-VILLEFRANCHE, avec pour adjoint Vincent BERTHEAUD-TARZAN, exploitant forestier et fondateur d’un maquis dès décembre 1942, flanqués de vice-présidents tous chefs de secteur des MUR, le CDL regroupe un trentaine de personnes. Elles représentent les mêmes composantes que le CNR. GUILLAUME en est membre, avec voix consultative. Il incarne alors le point de jonction entre ce qui relève de la lutte armée qu’il représente et la préparation de la transition politique dont le comité a la charge. Constitué en pleine phase préparatoire à l’insurrection libératrice, doté d’une appellation porteuse de référents historiques à fortes connotation révolutionnaire, le CDL clandestin est-il porteur d’une hypothèse de libération du territoire et de révolution politique ou, réintroduisant des partis, comme le parti radical, clefs de voûte du dispositif de la république parlementaire, n’est-il qu’un organe visant à assurer la restauration de ce dispositif ? La question mérite d’être posée, même si chacun sait comment tournèrent les choses, tant la première hypothèse berça bien des rêves de résistants, y compris dans l’enfer des camps et reste encore aujourd’hui pour nombre de survivants une sorte d’horizon nostalgique de ce qui aurait pu, aurait dû être.
Grégoire MADJARIAN 1 avance la thèse que ces comités, dans la dynamique de la lutte libératrice, vont bien au-delà du rôle d’organes consultatifs des Commissaires de la République et des préfets que le CNR aurait voulu en faire. Il estime par ailleurs que le plus souvent les comités cantonaux et locaux furent plus radicaux que le comité départemental. Marc SADOUN 2 fait état des efforts de la SFIO pour s’imposer comme interlocuteur au bloc MUR, FN, CGT, PCF qui fixe les noyaux durs des CDL. Par là même, il remet en cause la thèse d’une extériorité du processus incarné par le CDL aux luttes d’appareils des partis existants, donc d’une réelle capacité d’autonomie politique. Nous verrons en temps utile combien cette réalité pesa lourd, la Libération étant réalisée, dans les processus de rétablissement républicain. Pour sa part, Jacqueline SAINCLIVIER 3 situe l’enjeu de la période dans ‘“ le passage de l’insurrectionnel au provisoire, c’est-à-dire à une reconnaissance du pouvoir central ”’ et avance une analyse en termes de rapports centre-périphérie, appliquée non seulement aux relations CNR-GPRF et réseau des CDL, mais aussi, à l’échelle locale entre CDL et préfets d’une part, CLL, municipalités provisoires et FFI d’autre part. Ces trois approches recoupent les questions soulevées par ce phénomène singulier que constituent les Comités de Libération. Elles portent en fait sur la capacité de ces comités à concevoir, développer, mener une politique indépendante, sur leur autonomie par rapports aux logiques d’appareils, sur la nature des relations qu’ils instaurèrent avec l’autorité préfectorale et en sens inverse, avec les comités locaux. Nous touchons là à un aspect majeur de la thèse qui sous-tend ce travail : le rôle déterminant des données du combat libérateur sur les enjeux de la séquence historique suivant la Libération.
La réalité de la Saône-et-Loire permet d’avancer quelques points de réflexion sur ces aspects. D’emblée, le dispositif des MUR a la haute main sur le premier CDL, celui de l’été 1944, qui fonctionne à Cruzille, au cœur d’une zone contrôlée par l’AS, village situé, selon l’expression de Claude ROCHAT “ dans le maquis ” et où ce dernier installe son PC dès début juillet. Reste à identifier quelle est la politique des MUR, quels rapports de force internes se constituent dans une organisation travaillée de courants très divers, ce que pèse l’influence du PCF, via sa représentation directe et celle de ses organisations périphériques, FN, UFF, CGT ou de la SFIO. Celle-ci cherche à regagner le terrain perdu et effacer les traces profondes laissées dans un département largement dominé avant la guerre par le courant “ paulfauriste ” dont le leader fut député-maire du Creusot. Selon C.ROCHAT, la fonction du CDL était de ‘“ coordonner et contrôler l’activité des différentes organisations de la Résistance, civiles et militaires, de se substituer aux organismes administratifs défaillants dans les contrées sous contrôle des FFI, de préparer la mise en place des administrations et des municipalités républicaines futures… ”’ ‘ 1 ’. Cet énoncé est conforme à la problématique avancée par J.SAINCLIVIER caractérisant un pouvoir par substitution, prêt à s’effacer en leur préparant le terrain devant des pouvoirs légaux rétablis, enlevant toute dynamique propre au phénomène maquisard. Cette dualité de fonction, émanation de la Résistance et structure de transition, se retrouve dans la composition du CDL, dont la direction est un véritable décalque des chefs de l’insurrection, alors que les membres incarnent une volonté de restauration avec les représentants du Parti radical et des catholiques comme l’abbé DUVERNOIS, curé de Chapaize (ce jusqu’à la Libération, moment où l’évêque d’Autun fit savoir à son subordonné que là n’était pas la place d’un prêtre). Les volontés restauratrices se retrouvent dans la volonté de la SFIO : membre du CDL comme représentant de la région mâconnaise, Louis ESCANDE, secrétaire des Jeunesses socialistes avant la guerre, fondateur à Mâcon de LIBERATION-SUD, se voit assigner comme tâche par DREVON de ‘“ recréer le PS-SFIO, afin de rétablir l’équilibre à gauche face à un PCF organisé et puissant… ”’ ‘ 2 ’ ‘.’
De la situation départementale au moment de la Libération, il ressort donc de réelles capacités de contrôle d’une partie importante du territoire, de harcèlement de l’ennemi, de préparation de structures politiques de transition. Mais l’histoire tourmentée, souvent dramatique, de la Résistance révèle une grande complexité, dans la réalité organisationnelle de cette dernière comme dans les situations locales, lourdes de difficultés et de confusions à venir. Néanmoins, au jour de la Libération, comme au cours de la première semaine de septembre 1944, c’est de loin la première dimension qui semble l’emporter, avec une mise en place de municipalités provisoires et d’un personnel préfectoral sans difficulté majeure.
Grégoire MADJARIAN, Conflits, pouvoirs et société à la Libération. UGE, 1980, 444p.
Marc SADOUN, Les socialistes sous l’occupation, PFNSP, p.172.
Jacqueline SAINCLIVIER, Le pouvoir résistant in Philippe BUTON et Jean-Marie GUILLON, op. cit. p.20 et suiv.
Claude ROCHAT, op. cit. p. 194-195.
Entretien 4 mars 1995.