3-Claude ROCHAT, un sous-préfet flamboyant et interventionniste

3-1- Des qualités héritées du combat libérateur

En 1944, le parcours de Claude ROCHAT est déjà jalonné par une histoire mouvementée. Né le 9 janvier 1917 à Nevers, ingénieur sorti de l’Ecole de chimie de Lyon, il appartient à cette génération de jeunes officiers de réserve qui ont fort mal vécu la drôle de guerre et la débâcle de mai-juin 1940. Après avoir été appelé en septembre 1939 à l’Ecole d’artillerie de Poitiers, il est affecté le 1er février 1940 comme aspirant au 27e RAD près de Longwy en appui de la ligne Maginot, au sein de l’armée de Lorraine. Le 23 juin, après ‘“ une retraite harassante et inexplicable à (ses) yeux ”’ ‘ 1 ’, il se résigne, contrevenant aux ordres du général DUBUISSON, à détruire un matériel qui n’a pas servi. Révolté, mais non abattu, il a “ la rage et l’humiliation au cœur ”. L’attend alors la reddition prévue par le honteux armistice du 22 juin et le regroupement au Frontstalag 247, au camp de Saint-Mihiel. Un subterfuge maternel lui permet de sortir du camp. Il rêvait d’évasion héroïque et se retrouve en congé de captivité. Il peut alors reprendre son travail chez son employeur parisien d’avant-guerre, les Etablissements COTELLE et FOUCHER, d’abord dans leur usine de Plombières-les-Dijon puis à Paris. Sous la menace du STO, il quitte Paris, rejoint la maison familiale de Parcieux, dans l’Ain, près de Lyon. Après plusieurs tentatives infructueuses pour rejoindre Londres, il rentre au réseau Marco Polo à partir de mai 1943. Il passe alors de l’Auvergne à la région grenobloise, lieux où il associe l’initiation au combat clandestin et l’apprentissage de la vie paysanne et rurale. Ayant donné satisfaction au cours de cette période probatoire, il est affecté en août 1943 aux maquis AS de Saône-et-Loire, comme instructeur. Son autorité naturelle, son sens de l’organisation, son courage au combat expliquent son ascension rapide, le menant aux responsabilités départementales établies ci-dessus. C’est à la suite des chutes affectant une partie de l’état-major de l’AS de Saône-et-Loire qu’il est nommé, comme cela a été établi précédemment, adjoint au commandant la FERTE-FERRAND, puis en juillet 1944, membre de l’état-major FFI.

A ces fonctions de commandement, le commandant GUILLAUME manifeste panache et sens aigu de l’organisation.

De son panache, tous les témoins survivants interrogés en conviennent, même chez ceux qui ne sont pas ses amis. N’hésitant pas à s’impliquer dans les combats, il sait allier sa formation militaire classique à l’expérience acquise au cours de sa formation au réseau Marco Polo, et, dans les pires difficultés, dès les premiers temps du premier maquis de Baubery, en Charolais. Il s’agit du premier grand maquis de Saône-et-Loire, avant sa brutale dispersion en novembre 1943, suite à une attaque concentrique par environ 500 Allemands. De ce panache, ceux qui ne furent pas forcément ses proches dans la Résistance, usèrent pour lui dresser, le temps des règlements de comptes politiques étant venus, une sorte de statue ambiguë. En témoigne un article surprenant du docteur MAZUEZ, député-maire de Montceau-les-Mines en 1945, ancien médecin-chef des maquis de Saône-et-Loire après son ralliement de juillet 1944, publié le 12 avril 1947 par le Petit Mâconnais. Il se veut une forme de salut à celui qui vient d’être brutalement évincé de sa sous-préfecture et muté à Albertville. L’auteur y joue sur le mode des regrets “ d’une froideur survenue dans (leur) camaraderie maquisarde ”, cherchant à s’élever de “ mille coudées au-dessus de la querelle partisane ”. Ces allusions sont localement limpides sur la distance politique entre l’homme de l’appareil de la SFIO, tardivement rallié à la Résistance et le jeune combattant devenu sous-préfet et qui s’est depuis la Libération rapproché des positions communistes, via ses liens personnels avec WALDECK ROCHET. Mais avant la scène des regrets, l’auteur s’est livré à une étonnante description de GUILLAUME au combat : ‘“ Grande silhouette blonde au corps fraîchement viril, il dominait son mont comme il dominait ses hommes […] ; racé, sympathique, il dirigeait son maquis en enfant des bois, conduisant d’autres enfants des bois […]. Il bondit au soleil levant à l’appel criard des mitrailleuses crachant le fer, leur flamme et la mort… ” (annexe n°7)’. Ce texte mérite une lecture à trois niveaux. Il révèle les ruptures intervenues au cours de la séquence 1944-1947, dans le prolongement de problèmes préexistants, internes au processus libérateur. Il permet de s’interroger sur le rôle des “ querelles partisanes ” dans l’éviction de Claude ROCHAT de la sous-préfecture de Chalon-sur-Saône et sur l’action de la SFIO, politiquement majoritaire dans le département et dirigeant les villes principales, ayant un des siens à la Préfecture. Mais, au premier degré, on ne peut qu’être étonné par la véritable figure légendaire que semble vouloir bâtir le docteur MAZUEZ. Les faits servant d’arrière-plan concernent l’offensive concentrique menée par l’occupant le 2 juillet 1944 contre le PC de GUILLAUME. S’il importe peu de s’interroger sur la sincérité de cette déclaration d’affection déçue, sur l’exacte conformité des détails, par contre les propos tenus doivent bien s’appuyer sur un fonds de réalité. Comment en effet, si peu de temps après les faits, un élu national aurait-il pu livrer une image travestie d’un homme qui fut au contact de toutes les mouvances de la Résistance, alors que de nombreux acteurs étaient en mesure de le démentir ?

Ce sens du panache ne va pas sans un souci sourcilleux de la sécurité des hommes, avec une volonté rigoureuse de tirer leçon des succès comme des échecs. La façon dont il fait le bilan 1 de la riposte à l’attaque contre son PC du Mont Saint-Romain le 2 juillet 1944, par un effectif estimé à un millier d’hommes en témoigne. Des maquis AS, SOE et FTP sont impliqués dans les combats. La riposte est menée selon les principes de la guérilla : refus d’affrontements directs, dispersion en cas d’infériorité, harcèlement, attaques de revers avec notamment une embuscade à Azé contre des troupes allemandes en repli sur Mâcon, qui, “ ivres et chargées de butin subirent de fortes pertes et se replièrent en désordre ”. Au-delà de cet épisode qui confirme l’efficacité des tactiques de guérilla, même si la part de l’incertain ne doit pas être sous-estimée puisque GUILLAUME se trouva un moment coupé de ses hommes, il faut souligner sa capacité à en tirer des leçons. Il insiste sur des points décisifs à ses yeux : la faiblesse des pertes, liée à l’élasticité des replis et l’absence de représailles sur la population grâce au harcèlement permanent d’un adversaire subissant de ce fait de lourdes pertes. Le second point manifeste son souci de montrer à la population que la présence du maquis n’est en rien source de menaces mais bien au contraire garantie de protection.

A ce panache raisonnable, s’ajoute un strict souci de l’organisation. La répartition des tâches avec FERRAND lui laisse l’essentiel de ce qui touche aux maquis, y compris dans leur gestion matérielle. Pour caractériser ses relations avec les chefs de ceux-ci, il emploie la métaphore féodale du “ roi et de ses vassaux ” 2 . Par là, il établit que son autorité sur ses maquis ne tenait que parce qu’il était capable de les fournir en armes, argent, ravitaillement. Cela n’allait pas de soi, compte tenu de l’ampleur des problèmes du pays et de l’importance des effectifs “ montés ” au maquis après le débarquement. C’est d’ailleurs un des points qui le virent s’affronter à plusieurs reprises avec TIBURCE et MICHEL du SOE qui considéraient le produit des parachutages comme leur appartenant et leur répartition comme un moyen de choisir entre bons maquis et maquis douteux, FTP en particulier, le critère de distinction étant le degré de soumission à la stratégie des Britanniques. A cette forme d’ostracisme, GUILLAUME oppose sa détermination à répartir le matériel en fonction de la capacité opérationnelle des maquis et non de leur appartenance. Ce lien matériel correspond à une conception souple des relations entre chefs de maquis et état-major départemental. Il met ainsi en pratique ce qu’il identifie comme un élément de force et d’efficacité dans les structures de l’AS et des MUR, alliant forte structuration pyramidale et mise en pratique souple offrant à chaque échelon une certaine sécurité protectrice, tout en lui laissant une marge d’autonomie. Moins rigide que celle des FTP, cette conception de l’organisation permettait au mieux, selon lui, de limiter les dégâts en cas de chutes sans pour autant stériliser la liberté d’initiative de chacun. Cette liberté devient presque totale pour les groupes francs dont la cohésion interne comme les relations avec leur chef sont exclusivement basées sur des lien personnels de confiance, de respect et de fidélité 1 . La métaphore féodale prend là la totalité de sa signification. L’ancienneté de GUILLAUME au maquis, son implication personnelle dans les combats, son autorité naturelle y contribuent fortement, qualités décisives au yeux des hommes de ces groupes.

Notes
1.

Entretien 6 février 1995.

1.

Claude ROCHAT, op. cit. p. 148.

2.

Claude ROCHAT, entretiens 6 février et 27 mai 1995.

1.

Claude ROCHAT, op. cit. p.220.