Là gît probablement une partie de l’explication de sa brutale mutation, intervenant le 15 décembre 1946, pour un poste de conseiller au tribunal administratif d’Alsace et de Lorraine, à Strasbourg. C’est pour lui un triple déchirement : avec une fonction à laquelle il s’était attaché ; avec une région où il a noué des liens d’amitié, des attaches, où il a vécu les plaisirs de la chasse à la bécasse et de la pêche à la truite ; avec enfin l’espoir de retrouver sa classe, après son passage dans l’administration préfectorale. Trois de ceux qui le connurent bien convergent pour dire l’ampleur de ce déchirement : René PACAUT 1 , Nicole TRINQUE 2 , qualifiée par Auguste VISTEL-ALBAN d’ “ ange de l’agonie ” (annexe n°11) parce qu’elle fut celle qui accompagna les derniers moments, très difficiles, de celui qui s’était juré de ne pas mourir d’un cancer et qui pourtant fut vaincu par cette maladie dont il avait pu voir les ravages chez son épouse, soignée pendant de longues années ; et Jean CLERC. Jeune institutrice, amie d’un neveu de VINCENT foudroyé en pleine jeunesse par un accident cardiaque, Nicole TRINQUE avait noué avec le vieil homme des liens d’affection filiaux. Il en avait fait la confidente des souvenirs et regrets de celui qui s’était toujours refusé de s’épancher sur ses difficultés passées. Jean CLERC enfin, lui aussi instituteur, ancien maquisard puis engagé au 2e BCP, unité de la Première Armée constituée de résistants bressans et secrétaire de l’Amicale du bataillon, avait donc longtemps côtoyé Henri VINCENT. Tous trois convergent sur l’évaluation de la façon dont il vécut son séjour à Strasbourg. Les termes d’exil, de galère, de sentiment d’être là où il n’a ni l’envie d’être ni la compétence d’agir, lui qui n’avait pas fait de droit, reviennent au détour des entretiens. Le retour en Bresse en novembre 1947 le confirme dans le sentiment qu’ “ on lui en veut ”. Ayant demandé sa réintégration dans l’enseignement primaire rural, il est affecté à un CET industriel de Louhans. Enfin plusieurs mois plus tard, à défaut de “ son ” école de Montcony où aucun poste n’est disponible, c’est à Varennes-Saint-Sauveur, au sud de Louhans qu’il retrouve la vie telle qu’il la voulait : une école rurale, les vacances d’été sous la tente, au bord des gorges du Verdon, la chasse et la pêche. Même si alors “ il revit ”, il garde une profonde amertume à propos de l’épisode strasbourgeois. Tous les proches survivants témoignent que quelque chose fut définitivement brisé chez lui.
Entretien cité.
Entretien 6 mai 1998.