2-L’échec de la fusion FN-MLN mène à une grande confusion

L’histoire de cet épisode est très bien connue à l’échelle nationale. Il y avait une totale discordance entre le rêve de militants de reconstituer dans le champ politique l’unité qu’ils avaient pratiquée ou cru pratiquer dans la Résistance et les différences entre un Front national étroitement contrôlé par le PCF, ayant recruté sans trop regarder après la Libération, et un MLN issu de la fusion de mouvements fort différents, allant du christianisme social à la social démocratie, avec comme dans l’Yonne et la Nièvre des résurgences du PSF à travers le mouvement Ceux de la Libération-Victoire. Il fait de surcroît l’objet de manœuvres de la part de la SFIO. Le refus de la fusion par une majorité du MLN, le 26 janvier 1945, lors de son premier congrès, ouvre une crise des mouvements qui va mener à leur fin. Cette crise se manifeste en Bourgogne par une série d’initiatives politiques où la confusion l’emporte.

Des quatre départements, seule la Saône-et-Loire voit une majorité se dégager au sein du MLN en faveur de la fusion avec le FN, sous l’impulsion du président du CDL BERTHEAUD. Malgré l’échec national de ce projet, les structures locales de ces deux mouvements continuent d’entretenir quelques mois l’illusion d’une unité possible. Un rapport du 21 mars 1945 1 d’un inspecteur de police au commissaire des Renseignements généraux de Chalon-sur-Saône fait état d’une réunion d’un comité de coordination FN-MLN qui “ fonctionne depuis début mars ”. Alors que le fonctionnaire de police n’observe “ aucune preuve tangible d’activité en ce qui concerne la fusion ”, un communiqué de presse signale un accord sur le principe de listes communes aux élections municipales. Cette connexion à la conjoncture électorale est confirmée par le communiqué annonçant un meeting commun à Montceau-les-Mines 2 pour le 20 mars, sous la présidence de Fernand MAZUEZ. Le but annoncé est de ‘“ créer une atmosphère favorable à la constitution de listes uniques… ”’. Cette collaboration débouche, selon un rapport adressé aux Services régionaux des Renseignements généraux le 22 mars, sur une “ Charte de l’unité ”. Bien que “ portés vers l’unité par un courant populaire irrésistible ”, les deux mouvements constatent qu’ “ en l’état actuel des choses, la fusion est irréalisable ” et que “ les campagnes demeurent stériles parce que les citoyens et citoyennes sollicités hésitent entre deux associations rivales animées par un programme identique ”. La contradiction entre la dimension “ irrésistible ” du “ courant populaire ” et les hésitations des “ citoyens et citoyennes ” identifie ici la dimension quelque peu surréaliste du discours.

La réponse trouvée à ce délicat problème est que les nouveaux adhérents pourront s’inscrire à un FLN fusionnant les deux mouvements, alors que les anciens adhérents resteront dans leurs organisations respectives “ de façon à y travailler dans le sens de l’unité ”. Le rapport note que dans certaines communes, comme Digoin, Chauffailles, Cluny, Salornay-sur-Guye, la fusion a eu lieu, avec naissance de sections du FLN. Ces initiatives ne font pas l’unanimité au sein du MLN puisque le 28 août les RG 1 signalent au préfet que la section MLN de Chalon-sur-Saône s’est désolidarisée de ces initiatives et rompt avec la comité départemental. La bizarrerie organisationnelle qu’est le FLN n’a pas grande pérennité puisque qu’en août 1945 la majorité du MLN du département se transforme en MURF, rompant ainsi avec ceux qui fondent l’UDSR. Tout cela est fort confus et si la référence maintenant rituelle au programme du CNR peut servir de paravent glorieux, si l’approche d’élections municipales permet de donner à l’unité quelque forme concrète, les hésitations organisationnelles, les embarras des formulations ne peuvent que susciter beaucoup de scepticisme au sein du “ courant populaire ”.

Dans les autres départements, les rapports de force différents sont plus conformes à la réalité nationale. La mouvance socialiste contrôle plus fermement le MLN. Pour sa part le FN peut y maintenir un semblant d’ouverture grâce à des personnalités isolées comme le docteur KUHN, maire radical-socialiste de Vitteaux en Côte-d’Or. La coupure officialisée par le vote du 26 janvier met d’ailleurs plusieurs mois à produire ses effets. C’est ainsi que le 23 avril, se tient encore à Auxerre 2 un meeting du FN avec la participation de Jacques DEBU-BRIDEL aux côtés de CUINAT, dirigeant local communiste du FN. Les soubresauts internes sont mis sous le boisseau, le meeting est centré sur le thème de l’épuration, mettant en avant l’ancien commissaire GREGOIRE, l’ancien préfet BOURGEOIS et l’ancien sous-préfet de Sens LEURET. A Nevers, la section du FN qui a pour président d’honneur le docteur ALCALAY, est dirigée par Claude BOULE, tous deux radicaux et dotée d’un vice-président ancien Croix de feu. Le bureau départemental est présidé par un membre de Ceux de la Libération-Victoire, le trésorier et les trois membres sont classés “ républicains modérés ”. Seul le secrétariat est détenu par un membre du PCF. Ce dispositif entre en crise 3 en juillet 1945, à la suite de démission du rédacteur en chef du quotidien du FN, Le Patriote, Charles EXBRAYAT et de la “ quasi démission ” d’ALCALAY, irrité par “ l’activisme du PCF ”.

Ce dernier semble d’ailleurs quelque peu embarrassé avec ces deux organisations périphériques que sont le FN, qui perd ainsi au cours de l’année 1945 une bonne partie de ses cautions “ modérées ” et le MURF, ultime réceptacle de compagnons de route issus du MLN.

Dans sa note du 15 février 1945, le service des Renseignements généraux de l’Yonne informe le service régional que le FN a rejeté “ à l’unanimité ” la fusion avec le MURF, voulant “ garder sa raison de vivre ”. Depuis, il “ a repris une certaine activité ” alors que “ le MURF est maintenant délaissé ”. Le conseil du FN a établi une distinction entre ce dernier qui “ a existé dans la clandestinité ” et le MURF “ qui lui est une union de citoyens d’opinion résistante, pris dans tous les partis politiques ”, liberté étant laissée aux membres du FN de pratiquer la double appartenance. Si ces formulations valorisent l’un par sa légitimité résistante alors que l’autre relève de “ l’opinion ”, elles n’avancent rien sur la place de chacun dans le dispositif politique du PCF. Le MURF n’est réellement constitué 1 que le 7 septembre 1945. A partir de ce moment, “ le FN perd de sa vitalité et cède la place au nouvel organisme ”. Après les élections, ces organisations cesseront pratiquement d’exister ainsi que le constate Robert LOFFROY pour l’Yonne.

Notes
1.

AD21 40M251.

2.

Idem.

1.

AD21 40M247.

2.

AD21 40M251.

3.

Idem.

1.

AD21 40M251.