3-Le mouvement brownien des organisations non communistes

Deux départements bourguignons, la Nièvre et l’Yonne, présentent la particularité de posséder un important mouvement Ceux de la Libération-Victoire. Le mot Victoire a remplacé en 1945 celui de Vengeance, désignant un mouvement ayant fusionné avec Ceux de la Libération pendant la clandestinité. Fortement implanté dans des régions comme le Sénonais, et bien qu’intégrant, au moins jusqu’à la fin de 1944 des militants socialistes, il est fortement marqué par la présence d’éléments issus du PSF, ce qui n’a en rien empêché certains d’être d’authentiques résistants.

Ce mouvement, qui a joué jusque début 1945 la carte de l’unité, se radicalise. Il tient plusieurs meetings en février-mars, avec la présence de MUTTER, membre du CNR. L’après-midi du dimanche 18 mars, c’est Sens qui fait l’objet d’une réunion publique. Le jour et l’heure choisis, le choix de confier la présidence du meeting au maire de Sens, Maxime COURTIS, socialiste, membre du comité départemental du FN et favorable au MURF, sont révélateurs de pratiques habituelles à cette époque. Le fait notamment de composer un “ bureau ” de la réunion ouvert à des adversaires politiques est commun à beaucoup de réunions politiques. La guerre froide a eu raison de cette pratique. Celle-ci n’était en rien signe de mollesse politique. L’agent des RG qui en rapporte le déroulement indique que MUTTER s’en est pris “ au monopole des fusillés que prétend exercer le PCF ”, qu’il a alors annoncé la fondation d’une association de Femmes françaises libres, pour faire pièce à l’UFF, qu’enfin il a proposé un programme politique basé sur le triptyque “ propreté-responsabilité-autorité ”. La rapport indique que le maire de Sens, nommé à la Libération, est qualifié d’ “ usurpateur ” et que “ étant socialiste, franc-maçon et dirigeant du FN (il) s’est senti de nombreuses fois visé par les allusions des orateurs ”. Dans la Nièvre, le mouvement tient meeting le 19 mars 1945 à Nevers 1 . Selon les mêmes mœurs politiques, on trouve à la tribune le maire socialiste de Nevers et le Dr ALCALAY, radical, président d’honneur et délégué à l’information du FN. Ce meeting est l’occasion de l’apparition de “ jeunesses françaises libres ”, concurrentes de l’UJRF, confirmant la volonté du mouvement de perturber le dispositif du PCF en cherchant à attirer les éléments les moins progressistes de ses organisations de femmes ou de jeunesse. Les différentes interventions, outre qu’elles rejettent l’hypothèse de listes communes aux élections municipales, sont centrées sur le soutien sans faille au général de GAULLE, sur les notions d’ordre, de liberté individuelle, de libéralisme, MUTTER reprenant sa trilogie de Sens.

La traduction politique de cette radicalisation des positions libérales sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique amènent CDL-V à envisager 2 de “ faire fusionner en son sein ” l’Alliance démocratique, le MRP, les radicaux, la Jeune République et l’ex-PSF. Si la proposition, quelque peu illusoire, est politiquement irréalisable, elle n’en est pas moins significative à la fois de la décantation politique qui s’opère avant même la fin de la guerre, mais aussi d’un ultime avatar de l’espoir des mouvements de dépasser la forme politique représentée par les partis. Cependant, les conséquences organisationnelles n’en sont pas immédiates. Pendant les mois qui suivent, dans la Nièvre, le mouvement reste dirigé par un bureau composé d’un radical-socialiste, un socialiste et un “ républicain de gauche ” 3 . C’est seulement le 19 juin, qu’informés de la décision du comité central du mouvement de se transformer en Parti de la Rénovation nationale doté d’un programme proche de l’ex-PSF que les dirigeants nivernais rompent, non pas pour rejoindre une autre organisation, mais pour fonder une “ éphémère fédération autonome départementale des “ Anciens de CDL-V ”. Le rapport précise que “ beaucoup de ses adhérents ” sont socialistes ou “ de tendance socialiste ”.

L’autre grand mouvement non communiste de l’Yonne, Libération-Nord est agité par de débats politiques et des affaires privées. Des conflits internes se focalisent autour de la personne de Gaston VEE. Ses adversaires au sein du mouvement utilisent sa vie personnelle pour l’affaiblir. Le vaudeville auxerrois 1 tourne autour de sa liaison, publiquement affichée, avec sa collaboratrice Madame SAVARD, dite “ Claude Bernard ”. Celle-ci s’est vue retirer dès le 24 janvier sa délégation au CDL au nom de la SFIO par le bureau fédéral de ce parti, ce qui en provoque sa démission ainsi que celle de VEE. Séparée de son mari depuis plusieurs années, elle fait l’objet d’un constat d’adultère, selon les pratiques de l’époque, pendant lequel elle prend à partie le commissaire de police chargé de l’opération. Poursuivie pour adultère, elle l’est alors aussi pour outrage à agent de la force publique, VEE l’étant pour complicité. Le rapport des RG n’est pas convaincu que les mises en cause internes de VEE au sein de Libération-Nord soient exclusivement liées à cette dimension personnelle. Elles masquent mal des désaccords politiques, activés par l’approche des élections : VEE est opposé à la présence du mouvement sur des listes uniques, alors que ses aversaires, “ dirigeants des différentes sections locales ”, “ se serviront de ce mouvement comme tremplin électoral et masque de leurs ambitions politiques ”.

Le mouvement est pendant un an “ tombé en sommeil ” 2 . Intégré à l’UDSR, il a pris part sous cette étiquette aux élections générales de l’automne 1945 et dès septembre 1945, son journal l’Yonne libre cesse de paraître. Le 13 juillet 1946 a lieu à Auxerre une “ réunion de reconstitution ”, ne réunissant qu’une vingtaine de personnes, avec notamment la présence de Jean CHAPELLE, qui fut le prestigieux commandant VERNEUIL, devenu attaché d’ambassade. La réunion débouche sur la décision d’orienter le mouvement “ vers un but social et amical ”. Cette formule signe une fin et ouvre une nouvelle histoire : fin de l’espoir formulé par Pierre DENAVE, nouvelle histoire de mouvements qui après l’échec de cet espoir, n’ont désormais plus prise sur le réel. Cet échec des espoirs de rénovation politique est marqué par le retour en force des partis, pour lesquels ce qui restait des mouvements ne constituait plus que des masses de manœuvre et des viviers d’adhérents et de militants.

Notes
1.

AD21 40M253.

2.

Idem Rapport des RG de l’Yonne du 9 mars 1945.

3.

Ibidem Note du 9 juin.

1.

AD21 40M253. Rapport du 24 mars 1945.

2.

Idem. Rapport du 19 juillet 1946.