II-LES PARTIS REPRENNENT LE CONTROLE DE LA VIE POLITIQUE

La SFIO, du fait de sa quasi disparition en 1940 comme de circonstances locales ou personnelles, a des militants engagés dans la totalité des mouvements issus de la Résistance, comme dans les comités de Libération.

Dans l’Yonne, elle ne rechigne pas à se livrer à diverses manœuvres pour assurer son rétablissement comme force de gauche décisive. Dans leur rapport 1 du 3 novembre 1944, les RG de l’Yonne informent le préfet d’une forte activité de la SFIO, en particulier dans l’Avallonais, et d’une “ lutte sournoise ” entre le PCF et les autres forces au sein des comités de Libération. Dans le même temps, la SFIO transfère nombre de ses militants du FN à Libé-Nord. Cette politique n’est pas sans susciter des difficultés internes, puisque plusieurs militants connus dont André CORNILLON passent au PCF, officialisant d’ailleurs des liens noués au sein du FN. Non seulement cela confirme que pour ce parti les mouvements sont réduits à une fonction de vivier d’adhérents, d’instrument d’élargissement de l’influence politique et de légitimation résistante, mais cela manifeste aussi un repli organisationnel fort éloigné des proclamations unitaires. Face à ces manœuvres, le PCF ne se contente pas de faire grand cas des transfuges de la SFIO. Il n’hésite pas, en plus d’un contrôle de plus en plus ferme des organisations périphériques, à adopter des accommodements tactiques surprenants. En plus d’alliances douteuses au niveau municipal, il ne rechigne pas, selon le rapport des RG de l’Yonne du 18 octobre 1944, à “ ménager les hommes de FLANDIN ” dans l’Avallonais pour rompre le bloc anticommuniste en voie de gestation. Tout cela rappelle les pires moments de l’histoire de l’avant-guerre et rompt totalement avec les espoirs de rénovation, tant l’emportent les manœuvres d’appareils.

En Saône-et-Loire, l’appareil de la SFIO reconstitué dans la clandestinité, en particulier par Louis ESCANDE, arrivé à Mâcon depuis son Ariège natale en 1936, secrétaire fédéral des JS et secrétaire de la section socialiste de Mâcon en 1939, est confronté en 1944 au bilan du “ paulfaurisme ” et de son soutien à PETAIN. Il veille à prendre le contrôle des structures de transition à la Libération.

La rupture avec les socialistes ralliés, par pacifisme, à la politique de trahison de Vichy n’est pas aussi simple que les chroniques de l’époque semblent indiquer. Les lignes de fracture de la période de guerre ne recoupent pas celles d’avant 1939. Durant les années 30, le socialisme en Saône-et-Loire est dominé par les figures de Paul FAURE, député-maire du Creusot, secrétaire national, de Georges NOUELLE, maire de Chalon et Théo BRETIN, député-maire de Chagny. Ces hommes se situent dans la tradition d’un “ socialisme pacifique et humain ” 2 , directement hérité de JAURES, fort réticent à l’égard du PCF. Or ces hommes ont soit voté les pleins pouvoirs à Pétain pour les parlementaires, soit conservé la mairie de Chalon jusqu’en mai 1944 pour Georges NOUELLE eurent jusqu’en 1939 le plein appui de la part du jeune responsable qu’est ESCANDE, ébloui par “ l’orateur de génie ” 1 qu’est Paul FAURE et radicalement opposé aux “ marxistes révolutionnaires  partisans de l’alliance avec les communistes ” à l’instar de celui qu’il retrouva dans la Résistance, Fernand MAZUEZ. Celui-ci fait alors partie des opposants de la Bataille socialiste. La guerre, l’occupation, le vichysme ont créé de nouveaux dispositifs politiques et pour les socialistes issus de la clandestinité se pose le problème des élus ayant trahi, notamment les cinq députés. C’est une réunion de “ l’ensemble des socialistes du département ” à la mairie de Chalon-sur-Saône 2 qui aborde la question. Les mémoires de Louis ESCANDE comme les échos de presse du lendemain font état d’une séance houleuse. Face au refus des élus de 1936 de remettre en cause leur vote de juillet 1940, les rénovateurs quittent la salle, et dans une salle voisine refondent la fédération de Saône-et-Loire de la SFIO, avec Louis ESCANDE comme secrétaire fédéral. La question n’en est pas pour autant réglée : les exclus, par ailleurs déclarés inéligibles par la Chambre civique, se prétendant les héritiers légitimes de ce qu’ils appellent le “ PS-SFIO-vieux parti ” face à la “ SFIO rénovée ”, parfois appelée “ SFIO épurée ”. Les premiers mois de 1945 voient les uns et les autres mener campagne, en particulier en terre chalonnaise pour tenter de s’imposer. Les partisans de NOUELLE axent leur campagne sur l’idée qu’il s’agit en fait d’une opération permettant à des “ jeunes ” d’occuper les places de la génération précédente. L’affaire culmine le 15 avril 3 lors d’un grand meeting chalonnais, présidé par celui qui symbolise l’engagement résistant précoce des socialistes, Daniel MAYER. Georges NOUELLE tente d’y prendre la parole pour se justifier de son maintien à la mairie de Chalon-sur-Saône pendant la guerre, ce qui l’amena à dénoncer publiquement l’action résistante. Il lui est tout particulièrement reproché un “ Appel à la population chalonnaise ” publié par le CSL dans son édition du 23-24 décembre 1942, aux côtés d’un avis de la Kreiskommandantur de Chalon, au sujet d’un “ attentat terroriste ”. NOUELLE y qualifiait l’acte de “ crime odieux ”, l’auteur de “ misérable ”, de “ lâche ” et de “ criminel ”, assurait les “ victimes ” et les “ hautes autorités de l’armée d’occupation ” de ses “ regrets attristés ”, enfin appelait la population chalonnaise à la fourniture de “ renseignements ”, “d’indices ” pour arrêter les “ assassins ”. Cela allait bien au-delà de ce que NOUELLE présentait après coup comme le souci de protéger la population des conséquences de l’occupation pour justifier son maintien à la tête de la municipalité.  Signe de l’extrême gravité des antagonismes, et contrairement aux habitudes d’une époque où l’intervention d’adversaires politiques était de pratique fréquente dans les meetings, il est interdit de parole et, ulcéré par cette rebuffade, quitte la salle, publie une lettre ouverte à MAYER et fonde un parti socialiste démocratique. Celui-ci fut sans grand avenir, mais le contexte de la guerre froide le rendra à nouveau fréquentable, ce qui permettra à NOUELLE, lors d’élections municipales partielles en 1952, de retrouver son fauteuil de maire, avec le soutien de la SFIO et du RPF. Désormais, la fédération de Saône-et-Loire est fermement aux mains des rénovateurs. L’obstination des paulfauristes à défendre leurs choix passés permet à la nouvelle direction de se parer des atours de la pureté résistante. Le cas du maire de Chalon-sur-Saône désigné à la Libération, Maurice SATONNET, qui présidait la réunion du 5 décembre, permet de s’interroger sur ce qu’il serait advenu si les élus mis en cause avaient fait preuve de plus de souplesse tactique. Ce dernier fait en effet partie de l’équipe municipale de Georges NOUELLE des débuts de l’occupation (Chalon est en Zone-Nord) jusqu’à sa démission le 20 janvier 1943. Celui dont le sous-préfet de Chalon indique 1 au préfet le 3 novembre 1942 qu’il “ passait (avant la guerre) pour être de la fraction modérée du parti socialiste ”, démissionne parce que son mandat de conseiller général, obtenu en 1935 “ n’a pas été transformé en mandat de conseiller national ”, ce dont il conclut qu’il n’a “ pas la confiance du gouvernement ” 2 . Ce geste politique peut difficilement passer pour un acte de résistance de la part de SATONNET. Le dépit ressenti concerne exclusivement l’obtention d’une fonction au sein de l’Etat vichyste. Cet héritage ne l’empêche pas d’être désigné comme maire de Chalon-sur-Saône en septembre 1944, fonction qu’il assura jusqu’en 1952, avant de restituer le fauteuil de maire à Georges NOUELLE. Cette situation permet à certains d’avancer, soit par naïveté, soit par rouerie, que les socialistes ont détenu la mairie de Chalon de 1926 à 1983, avant de la céder à Dominique PERBEN.

Tout en menant cette opération de remise en ordre interne, les socialistes de Saône-et-Loire s’assurent du contrôle des structures ou fonctions issues de la Libération, préparées dès le début de 1944. C’est dans ce contexte que s’explique l’arrivée dans le département de Lucien DREVON, chef du bureau des pneumatiques à la préfecture du Jura jusqu’à sa révocation le 12 février 1944 3 . Il se met “ à la disposition totale du chef régional des MUR à Lyon ” et celui-ci en fait le nouveau chef départemental des MUR. Cette nomination est décidée au cours d’une réunion à Villefranche-sur-Saône du tout nouveau Comité régional des MUR mis en place à Lyon et dirigé par ALBAN-VISTEL, à la suite du refus d’assumer la charge de la part de VINCENT-VIC. Ayant pris comme pseudonyme le nom de la ville où il fut nommé, il Lucien DREVON préside en juin le CDL clandestin qui le désigne comme préfet en septembre ? malgré une autre nomination par le CFLN ? et il est finalement installé officiellement le 11 février 1945. Ce parcours n’est pas sans soulever, au moment des faits comme aujourd’hui, quelque interrogation. De façon allusive dans ses mémoires, en répétant à deux reprises la formule ‘“ la présence à nos côtés du préfet DREVON était une garantie ”’ ‘ 1 ’, en précisant que DREVON est socialiste, de façon plus explicite lors de l’entretien, Louis ESCANDE avance que DREVON fait partie du dispositif de la SFIO mis en place dans la clandestinité pour s’assurer des places décisives dans l’appareil d’Etat en reconstitution. Il en est de même pour le CDL. Si à la Libération la présidence ne peut être enlevée à BERTHEAUD, esprit indépendant mais sans appuis organisationnels, la nomination de Louis ESCANDE, officiellement pour représenter la ville préfectorale dont il est premier adjoint, vise à “ représenter la SFIO au CDL afin d’équilibrer les forces de gauche tenues par le PC ”. Les rapports établis avec les sous-préfets VINCENT et ROCHAT confirment cette volonté de contrôle déjà observée en Côte-d’Or.

On peut donc constater qu’en un an au plus, les appareils ont repris la maîtrise des processus politiques, qui leur échappaient en partie au profit des mouvements dans la dynamique du processus libérateur. Aux côtés des structures représentatives ou d’autorité une autre instance de pouvoir, la presse fut l’enjeu de sévères manœuvres pour son contrôle, et là encore, les mouvements en firent les frais.

Notes
1.

AD21 40M253.

2.

Louis ESCANDE, Images de ma vie, ombres et lumières d’un engagement, Mâcon 1994, p57.

1.

Louis ESCANDE op. cit. p68.

2.

Idem p.247.

3.

CSL 16 avril 1945.

1.

AD71 773W17.

2.

Idem. Lettre de SATONNET au préfet 20 janvier 1943.

3.

Louis ESCANDE op. cit. p.209.

1.

Louis ESCANDE op. cit. p. 221.222.