1-3-Une libération à l’origine des difficultés de TISSIER

Alors que son compagnon de déportation Titus BARTOLI fait partie des fusillés du 22 octobre 1941, Antoine TISSIER bénéficie en mars 1942 d’une libération conditionnelle de 3 mois, officiellement pour raisons médicales (annexes n°15 et 16). Les circonstances de cette libération, les conséquences en chaîne pour celui qui en a bénéficié, les questions globales qu’elles soulèvent en font une affaire lourde de signification politique.

Selon le témoignage de son fils, recoupé dans ses grandes lignes par ceux de Camille VAILLOT et Aimé BAR 1 , cette libération est d’abord due aux démarches de son épouse. Elle n’hésita pas à frapper à plusieurs portes, dont celle de la Compagnie des Mines de Blanzy, employeur de son mari, qui lui opposa alors un refus absolu. L’une des personnalités contactées, directeur à l’énergie industrielle de Montceau-les-Mines, “ clairement anti-vichyste ”, lui conseilla de s’adresser à Marius MATHUS. Ce dernier, délégué mineur, proche avant la guerre de la SFIO et de son courant paulfauriste avait suivi la ligne de René BELIN passé de la fraction réformiste de la CGT aux cabinets ministériels de Vichy, en acceptant de devenir le dirigeant du syndicat officiel des mineurs du bassin de Blanzy-Montceau. MATHUS accepta d’intervenir en faveur de son ancien camarade de mine et de syndicat, à la seule condition qu’il lui adresse une lettre où il approuverait la politique de “ réconciliation française ” de Vichy, ce qu’il fit (annexe n°17).

Libéré en mars 1942 pour trois mois, sous condition, il revient à Montceau-les-Mines et ouvre une petite épicerie “ aux Georgets ”. Sa situation n’a rien de celle d’un rallié au régime. Il doit hebdomadairement aller se signaler à la police et plusieurs de ses voisins, de son domicile comme de son magasin, sont chargés de le surveiller et de rendre compte de ses aller et venues, de ses contacts. La découverte de cette situation lui fut assurée par la démarche du tenancier d’un bar, H. BADET et de l’horloger-bijoutier JUILLET qui le prévinrent de la tâche que les policiers leur avaient confiée. Ses tentatives de reprise de contact avec ses anciens camarades de parti suscitent un débat entre ceux qui le considèrent comme un traître, confortés dans leur conviction par les passages de TISSIER au commissariat et quelques militants notoires comme Marceau THOMAS, beau-frère de Louis WALCZAK ou Camille VAILLOT qui voient dans l’absence de chutes à la suite de sa libération la preuve qu’il n’a pas rallié le camp adverse. Il n’empêche qu’aux yeux de l’appareil du PCF, il est un traître. Son fils se souvient d’ailleurs d’un incident fort troublant, survenu à l’automne 1942. Il s’agit de l’intrusion au domicile familial, en début de nuit, de deux inconnus. Roger TISSIER se souvient de leur surprise, d’abord de se voir ouvrir la porte sans la moindre réticence par l’épouse de TISSIER, puis de le voir, enfant de 13 ans, se trouver par hasard, devant son père. Leurs explications confuses - ils prétendaient rechercher de quoi réparer un vélo -, alors que TISSIER était épicier et que son magasin était dans un autre quartier et une seconde tentative quelques minutes plus tard, se heurtant cette fois à une porte close, convainquent TISSIER qu’il s’agit là d’une expédition destinée à l’exécuter, comme il en fut pour de nombreux communistes identifiés comme “ traîtres au Parti ”. Son nom apparaît d’ailleurs dans la Liste noire des espions, traîtres, renégats, suspects et agents de la Gestapo exclus du Parti communiste datée de janvier 1943 (annexe n°18). Il décide alors de se mettre à l’abri et pendant plusieurs mois se cache dans une ferme de cousins éloignés. C’est dans cette situation qu’il est contacté par un autre paria, pourchassé par les polices française et allemande, ancien mineur communiste lui aussi, Antoine BAR-LE BARBU qui a pris le maquis depuis le printemps, à la suite d’une expédition au cours de laquelle son épouse a été arrêtée puis déportée à Ravensbruk et son fils Aimé, âgé de 12 ans, mis en pension à l’Hospice Sainte-Marie de Chalon-sur-Saône. BAR lui propose un marché simple, “ Viens avec moi, sinon ils vont te descendre ”.

Notes
1.

Fils d’Antoine BAR-Le Barbu, mineur, lieutenant FTP. Voir infra partie IV.