Dès novembre 1945, Marcel ASMUS est écarté de ses responsabilités fédérales avec consigne de quitter la région pour pouvoir rester militant de base du PCF. A plusieurs reprises, lors de ses multiples demandes de réintégration, il indique que ce fut Léon MAUVAIS qui lui demanda de quitter responsabilités et région, suite à une campagne de diffamation menée par la droite et la SFIO, utilisant une photographie où il apparaît, en 1942, aux côtés de soldats allemands Son nom disparaît des candidats au secrétariat fédéral au congrès de novembre, et selon une note des RG 1 , son cas est abordé publiquement lors d’une réunion tenue salle de l’Eldorado le 22 novembre. MORTUREUX, membre du Comité fédéral, salue l’activité de ASMUS-DUPRE “ dans la clandestinité ”, puis déplore que, mis à la tête de la fédération, “il ne s’est pas révélé le chef qu’il était dans la clandestinité ”, que par “ une politique trop personnelle ”, il “ n’a pas suffisamment éclairé les militants du Parti… ” et qu’enfin, “ il a démissionné de ses fonctions ”. Paulette ASMUS conteste vigoureusement cette dernière affirmation, assurant qu’il avait été mis en demeure de quitter ses fonctions comme sa région.
Commence alors pour le couple ASMUS une nouvelle et brève séquence de leur vie militante. Installés à Paris, ils sont autorisés de militer à la base dans une cellule du 3e arrondissement dont les membres sont, d’après Paulette ASMUS, ravis de bénéficier de la longue expérience politique de deux militants habitués à tenir meeting comme à rédiger des tracts. Cet épisode est de courte durée : séparé de sa première femme, Marcel ASMUS obtient la garde de l’enfant à la suite de la procédure de divorce ; de plus, sa nouvelle compagne, Paulette est réintégrée en 1946 au poste administratif qu’elle occupait à la Manufacture des Tabacs de Dijon, après un congé accordé à la Libération. Le couple décide donc de revenir à Dijon. Commence alors une série d’échanges épistolaires et de convocations (annexe n°22) avec les structures administratives du PCF qui se terminent par l’exclusion de Marcel ASMUS, sa compagne refusant de reprendre sa carte par solidarité. De cet échange, au-delà des rendez-vous manqués, il ressort la volonté d’ASMUS d’être en règle avec son parti et sa conviction que les mois passés à Paris suffisent à effacer les difficultés ayant motivé son éviction de 1945. Tel n’est pas l’avis des dirigeants fédéraux. Revenu le 31 août à Dijon, il contacte la fédération du PCF, où il se fait dire qu’il se fera exclure s’il persiste dans son intention de retour. Paulette ASMUS témoigne aujourd’hui de son désarroi, de son incompréhension face à ses anciens compagnons de combat, lui qui “ n’a pas le sentiment d’avoir démérité ”. Pour des gens pour qui le PCF était “ plus qu’une famille ”, “ être chassé, c’est un déchirement épouvantable ”. Paulette ASMUS se souvient “ avoir vu (son) mari pleurer ” de désespoir. Par une série d’exclusions en cascade, Marcel ASMUS est alors rejeté des organisations contrôlées par le PCF, l’Amicale des anciens FFI-FTPF (future ANACR), laCGT, France-URSS. Seule l’ARAC l’accueille ; il y exerce même des responsabilités fédérales avant d’en être écarté sous des reproches grotesques touchant à sa vie privée. Ceux qui le considèrent dès lors comme un pestiféré vont jusqu’à empêcher son embauche dans une entreprise dijonnaise, en faisant pression sur le chef d’entreprise.
Il parvient à obtenir la notification d’exclusion telle que la secrétaire fédérale Juliette DUBOIS l’avait transmise aux instances nationales (voir annexe n°23). La caractéristique majeure de ces quatre motifs d’exclusion est qu’ils portent sur l’ensemble de la période 1943-1946, chacun concernant l’une des séquences qui se sont succédées. Le premier concerne un épisode datant de novembre-décembre 1943 : ASMUS- DUPRE intervient à deux reprises auprès des cheminots du dépôt de Dijon-Perrigny. Le 11 novembre, répondant à l’appel du chef de la France libre de marquer le 25e anniversaire de l’armistice franco-allemand de Rethondes, Asmus s’introduit, “ en bleu de travail ”, dans le dépôt et prend la parole pour appeler les mécaniciens à actionner à 11 heures les sifflets de leur locomotive puis à arrêter le travail de 11 à 12 heures, enfin de se rendre pour 12 heures place d’Armes (place faisant face au Palais des Ducs de Bourgogne, devenue depuis septembre 1944 la Place de la Libération) pour y entamer une manifestation. Commencée à quelques-uns, cette manifestation parcourant la rue de la Liberté se termine à “ plusieurs centaines ”. Il se révélera plus tard qu’en fait elle avait convergé avec une manifestation appelée par les gaullistes.
La seconde circonstance concerne une grève visant à obtenir la grâce de 7 cheminots résistants condamnés à mort par la justice de Vichy le 31 août 1943. Ce mouvement, soutenu par plusieurs dépôts du Nord-Est, marqué par grève, manifestation, délégation auprès de Laval, finit par déboucher sur une grâce de Pétain. Les condamnés, remis aux allemands furent cependant exécutés à Stuttgart le 18 avril. Malgré ce drame final, le mouvement a montré la capacité des organisations résistantes de mobiliser des fractions significatives de la population. La notification d’exclusion conteste le rôle dirigeant de Marcel ASMUS dans cette action, tant au niveau de “ l’initiative ” que de “ l’honneur ”. ASMUS étant alors le “ politique ” du triangle de direction du PCF de Côte d’Or, il semble difficile de concevoir qu’il ait pu être en dehors de la direction d’un tel mouvement où le PCF et ses organisations sont en position dirigeante. Claude GUYOT, président du CDL clandestin, constitué au lendemain de la manifestation du 11 novembre, dont nous avons pu constater déjà la violente agressivité à l’égard de Marcel ASMUS, ne s’y trompe d’ailleurs pas. Dans son Histoire du CDL , il lui reproche vertement ses interventions à Perrigny, qualifiées “ de manifestations aussi tapageuses que vaines et dangereuses pour leurs participants ” (alors que le souci minutieux de la sécurité mis en œuvre par ASMUS et ses camarades a permis d’éviter toute répression à l’égard des manifestants comme de leurs dirigeants). Fielleux, il se demande : ‘“ comment ASMUS parvint-il deux fois à organiser des manifestations de cette importance sans être inquiété personnellement ? ”’. Le premier motif relève donc d’une reconstruction d’autant plus dérisoire qu’il n’apparaît jamais que Marcel ASMUS ait eu une quelconque propension à tirer gloire d’actes relevant d’un devoir qu’il s’assignait. Le second motif accuse ASMUS de tromperie à l’égard du PCF sur ses activités au sein des FTPF comme sur la fédération de Côte d’Or qu’il dirigeait. Là encore l’accusation, vigoureusement repoussée par ASMUS dans sa lettre à André MARTY, semble bien peu crédible. Dans la première situation concernant l’épisode dramatique de la libération d’Autun, il ne faisait que transmettre les ordres de l’Etat-Major départemental et de son chef, le Colonel LE DON (annexe n°24) et dans la seconde, le contenu de l’interrogatoire analysé ci-dessus, comme le caractère centralisé et hiérarchisé du parti et son fonctionnement collectif excluent la possibilité pour cadre intermédiaire de mentir sur ses activités et les résultats obtenus.
Le troisième motif fait ressortir une affaire dont il avait pourtant été dit publiquement (notamment lors de la réunion publique de l’Eldorado) que le PCF n’en ferait jamais un argument contre ASMUS. Il s’agit d’une photographie de ce dernier prise en 1942 en compagnie de deux soldats de la Wehrmacht. Alors non clandestin, militant à la Fédération de Haute-Marne du PCF, il avait comme couverture la gestion d’une “ succursale d’alimentation (Comptoirs français), à Thieblemont dans la Marne ”. Les autorités occupantes lui avait imposé de loger des chevaux dans des bâtiments annexes et deux gardes-écuries dans l’appartement. C’est en présence de ces deux hommes que son neveu, amateur de photographie, l’avait couché sur la pellicule à leur côté, sans y voir quel que mal que ce soit. Trouvée lors d’une perquisition suivant sa plongée dans la clandestinité, cette photographie faisait partie de son dossier de justice, dont elle ressortit pour être utilisée contre lui lors des élections de 1945. Sous la plume de Claude GUYOT, ces deux garçons d’écurie deviennent “ sous-officiers de Gestapo ” et ASMUS suspecté de bien étranges connivences.
Que l’appareil local du PCF reprenne une campagne de calomnie organisée par la SFIO et la droite en 1945, qu’il avait lui-même condamnée, et ce un an tout au plus après les faits, est significatif du renversement de situation qui s’est produit. Aujourd’hui, Paulette ASMUS estime que le seul tort de son compagnon fut de choisir le silence face à la campagne de calomnie et que celle-ci, bien au-delà de sa propre personne, visait l’idéal qu’il défendait et le parti dont il était cadre. Quant au dernier motif d’exclusion, il cherche manifestement à noircir définitivement un homme à abattre. Si constance il y eut, les récits de sa vie militante parisienne par son épouse comme ses demandes de réintégration (annexe n°25) en témoignent, c’est bien dans la volonté de ne pas renâcler devant les brimades, de montrer par la modestie comme par l’efficacité d’un travail de militant de base que sa seule préoccupation était de servir et non de “ gêner ” le parti. Une telle accumulation ne pouvait que susciter chez lui une douloureuse incompréhension, un déchirement et une coupure sociale puisqu’il est désormais rejeté par ce qu’il considérait, à l’instar de tant de communistes, comme sa famille.
AD21 40M134.