2- 4 - La quête pathétique d’une réintégration

S’ouvre alors pour Marcel ASMUS l’ultime période de sa vie, longue de 45 ans, pendant laquelle il n’aura de cesse que de récupérer une carte de membre du PCF qu’il estime avoir toujours méritée. C’est seulement en 1995, alors qu’il est totalement paralysé, parole comprise, depuis 1989, que les dirigeants fédéraux viendront lui apporter cette carte, au centre de gériatrie où il est soigné. Il décède en 1996. Selon sa volonté, sa carte de membre du PCF est jointe à sa dépouille.

Le dossier constitué par lui-même, avant l’hémorragie cérébrale qui l’immobilisa définitivement, est une suite de 8 demandes de réintégration (annexe n°25) qui s’étendent sur 33 ans, de 1946 à 1979, longue quête désespérée, quasiment obsessionnelle, d’un rétablissement dans une position de membre du PCF et d’une clarification des motifs d’une exclusion qu’il n’accepte pas. La destination de ces demandes couvre toute la hiérarchie du parti, depuis le secrétaire de cellule de son quartier, lors de sa deuxième demande, en septembre 1947, jusqu’au secrétaire général, THOREZ en 1949 et Georges MARCHAIS en 1979, en passant par la CCCP (Commission centrale de contrôle politique) ou le secrétariat national. A noter l’absence de sollicitation de la Fédération de Côte d’Or, source, selon ASMUS, de ses difficultés. En 1948, c’est par l’intermédiaire d’un membre du Comité national de l’ARAC, par ailleurs conseiller général de la Seine, qu’il tente d’obtenir des éclaircissements sur ce qu’il nomme pudiquement les “ griefs ” qui lui sont “ reprochés ”. Il ressort de la plupart de ces adresses au parti à la fois une absence totale de critique de la ligne politique suivie et une attaque contre ceux qu’il considère comme responsables de sa situation. Dans le rapport qu’il adresse au secrétariat national, à la suite de l’absence de réponse à une missive personnelle destinée à André MARTY, il effectue un véritable acte d’allégeance politique, affirmant sa “ confiance au Parti communiste français ” ainsi qu’en ses dirigeants “ Maurice, Jacques, André, Benoît, Marcel CACHIN ”. En septembre 1947, dans la lettre jointe à sa “ participation à la souscription nationale ” destinée à financer la campagne pour les élections législatives, il assure le secrétaire de la cellule de son quartier qu’il “ fait de (son) mieux ” pour faire comprendre “ les mots d’ordre de (son) parti aux patriotes ” avec lesquels il “ converse ”. Dans son adresse à Maurice THOREZ, en date du 14 mai 1949, il assure le secrétaire général, à propos de la politique du parti, qu’il n’a “ jamais cessé de l’approuver ”, qu’il se “ considère toujours comme communiste ”, ajoutant même qu’il “ essaie d’être un bon communiste ” avec son entourage familial et professionnel. Il insiste généralement sur son souhait de “ rester constamment à la base et de ne rien faire pour obtenir une responsabilité ”. Les mêmes convictions, la même volonté de s’identifier au PCF sont réitérées dans l’ultime et vaine demande, adressée celle-ci à Georges MARCHAIS le 31 novembre 1979, en préambule à un long rapport, répondant point par point aux motifs de son exclusion. Par contre, chacune de ces sollicitations s’accompagne d’une mise en cause de responsables ou de structures identifiés par lui comme étant l’origine de ses difficultés. Tout particulièrement dans les trois textes les plus développés, rapport de 1946 au Secrétariat national, lettre de 1949 à Maurice THOREZ et rapport adressé à Georges MARCHAIS en 1979, il identifie deux sources de ses ennuis. Au plan national, il s’en prend au “ parti pris ” du responsable national aux cadres, CHAUMEIL, identifiant “ ses façons de faire comme étant l’œuvre d’un partisan ou d’un inconscient ”. La mise en accusation des dirigeants de la fédération de Côte d’Or du PCF est plus brutale et vise manifestement à situer à ce niveau de la hiérarchie du parti l’origine de ses difficultés. Dans son rapport au Secrétariat national de 1946, il constate que cette direction fédérale est “ coupée des masses ” et est “ en train de traverser une crise sérieuse ”, donc que le redressement attendu à la suite de son départ non seulement ne s’est pas produit mais que bien au contraire les difficultés se sont aggravées. Non content de ce constat, il met nommément en cause trois dirigeants fédéraux, auxquels il reproche leurs manoeuvres pour l’empêcher de militer à l’ARAC, à l’association des anciens FTPF ou de revenir au parti. C’est sans le moindre détour qu’il estime ‘“ qu’il serait de la grande urgence de mettre le bureau fédéral du Parti, conformément aux statuts, dans la main d’ouvriers et de paysans authentiques qui, eux, auraient au moins l’avantage sur certains dirigeants actuels, d’avoir la confiance des masses et de connaître leurs désirs ”’. Pour appuyer le propos, il ressort une citation de THOREZ, vieille de quinze ans, donc contemporaine d’une période où l’ouvriérisme régnait au PCF, demandant “ que les mannequins s’en aillent et que les bouches s’ouvrent ”. La lettre à THOREZ, “ envoyée à la Chambre des députés ”, probablement avec l’espoir d’éviter un détournement par un échelon intermédiaire, reprend sa remise en cause de deux dirigeants fédéraux, faisant référence à leur volonté de l’isoler. Dans son ultime démarche, adressée à Georges MARCHAIS, il reprend en détail les circonstances mises en cause lors de son exclusion. Ceci l’amène non seulement à détailler et élargir les accusations venues de cadres fédéraux qui se seraient ligués contre lui, mais aussi à durcir les accusations comme le vocabulaire, avec la redondance du vocable “ canailles ” désignant ceux qui, au prix de ce qu’il estime être un travestissement des faits, ont obtenu son éloignement puis son exclusion. L’ensemble de ces démarches, le temps d’une génération qu’elles recouvrent, leur contenu constituent un phénomène singulier. Tout particulièrement le contraste brutal entre une manifestation constante de soumission à la ligne développée par le parti, sans la moindre référence à ses hésitations ou aux problèmes soulevés par les crises ouvertes par des situations comme l’écrasement du soulèvement hongrois de 1956, et la redondance de la mise en cause des instances fédérales ont dû poser bien des problèmes aux destinataires de ces missives. De fait, les dirigeants nationaux sont intimés par ASMUS de choisir entre lui et la direction fédérale de Côte d’Or. Une telle injonction était évidemment inacceptable alors que les proclamations de fidélité étaient si insistantes qu’elles étaient embarrassantes. Cet embarras est souligné par les réactions aux adresses de l’exclu. La plus favorable vient de GUERIN, secrétaire de cellule auquel ASMUS a adressé sa contribution à la campagne électorale de septembre-octobre 1946 tout en sollicitant sa réintégration. Que ce secrétaire qualifie de “ regrettable incident ” l’exclusion d’ASMUS semble indiquer qu’il n’accorde pas grand crédit aux lourdes accusations portées à son égard. La seule absence de réponse concerne André MARTY en 1946 ; pour les six autres tentatives, il y eut toujours un écho. Ces réponses consistent généralement en un sec accusé de réception, le plus souvent accompagné d’une convocation au siège fédéral pour être entendu par un membre du comité central. Lorsqu’elles émanent, en 1963 et 1964, de Gaston PLISSONNIER, secrétaire du comité central, pourtant originaire de Saône-et-Loire, la formulation est strictement administrative, l’utilisation d’un modèle de lettre, le voussoiement et le terme de “ Monsieur ASMUS ” tendant à renvoyer ce dernier à distance politique. Il en est de même pour les missives d’origine fédérale. Par contre en 1952, à deux reprises, en réponse à sa lettre au comité central du 3 janvier, J. NENNING le fait bénéficier d’un “ camarade ”, en préambule à un texte qui cependant utilise un “ vous ” distant. C’est finalement Maurice THOREZ qui dans sa brève lettre du 27 mai 1949, s’adresse à lui comme “ camarade ” et avec le tutoiement habituel, l’assurant qu’il n’est pas considéré comme un “ ennemi ” et que la direction n’a pas l’intention de l’ “ éloigner du mouvement ouvrier ”. La précision qu’il aura “ l’occasion dans quelques jours de communiquer cet avis à (nos) camarades de la Côte d’Or ” comme le ton de la lettre établissent une certaine distance avec l’hostilité qu’ASMUS affronte quasiment quotidiennement à Dijon et avec la sécheresse administrative des autres réponses. S’il est difficile de conclure à une quelconque signification politique de cela, il reste que ce fut, en 33 ans le seul écho tant soit peu ouvert que Marcel ASMUS reçut à ses appels désespérés.

Il fallut encore 15 ans, après sa dernière tentative, après 7 ans d’immobilité absolue pour qu’il obtienne enfin cette carte du parti qu’il attendait depuis presque un demi siècle. Dès lors, et tout particulièrement après son décès, celle qui fut d’abord sa compagne puis son épouse, Paulette, veuve à 20 ans d’un mari fusillé par les Allemands en novembre 1943, engagée depuis 1944 à ses côtés, s’est instaurée, selon ses propres termes comme “ gardienne de sa mémoire ”. Restée viscéralement attachée à une famille de pensée, à un parti dont elle eut pourtant à souffrir, Paulette ASMUS consacre désormais une partie importante de son temps à porter les convictions de celui avec qui elle vécut en osmose politique totale, partageant ses combats comme ses difficultés. C’est ainsi qu’en 1995, lorsque la fédération de Côte-d’Or du PCF voulut réaliser une brochure sur ses militants ayant joué un rôle dans la Résistance, elle fut sollicitée pour y participer. Son acceptation fut liée à l’exigence d’avoir la haute main sur la fiche consacrée à son mari, ce qui fut fait, en se limitant cependant à la période précédant son exclusion. Il reste qu’elle ne peut sans amertume repenser au très long ostracisme que le couple ASMUS a subi et qu’elle accepte mal que courre encore, parmi les survivants de la période de la guerre comme chez des militants plus jeunes, l’idée que Marcel ASMUS était largement responsable de la situation qui lui fut faite et qu’il n’y a pas motif à revenir sur tout cela.