L’itinéraire de Marcel ASMUS, par les responsabilités qu’il assuma, par les situations qu’il affronta, par les difficultés qu’il rencontra, met en lumière toute une série de questions , dont certaines restent d’ailleurs à élucider, touchant à des aspects importants de la Résistance comme de la période suivant la Libération.
A deux reprises, en 1943 avec Claudine CADOUX, en 1945 avec Juliette DUBOIS, il entre en conflit avec la responsable départementale de l’UFF. Au-delà des questions de personnes, secondaires selon Paulette ASMUS, ces conflits concernent la nature des rapports entre le premier secrétaire de la fédération du PCF et les dirigeants des organisations placées sous son contrôle. Manifestement, ASMUS exige que ce contrôle soit absolu et que lesdites dirigeantes rendent compte de leur travail à la direction politique. La même réalité se retrouve dans ses rapports délicats avec Maxime COUHIER, membre du PCF depuis sa fondation, instituteur honoraire, déporté, choisi par Claude GUYOT pour figurer au sein du CDL de Côte d’Or au titre de “ personnalité ”. Celui que le président socialiste du CDL décrit comme “ l’intellectuel, le sensible…la grande figure du “ parti des masses”… ”, se voir reprocher par ASMUS, dans un écrit de 1988 1 , de n’avoir ‘“ jamais répondu aux convocations du Bureau fédéral pour venir s’expliquer devant les responsables du Parti sur le rôle qu’il jouait au sein du CDL… ”’. Ce point de vue est confirmé par Claude GUYOT qui lui se réjouit de la situation en écrivant : ‘“ Nous n’étions pas sûrs que son parti était d’accord sur ce choix fait par nous, mais comme celui-ci devait être pas mal disloqué en Côte d’Or à la Libération, il n’éleva aucune protestation contre ce manquement à la règle d’or qui veut que tout représentant du Parti soit désigné par le Parti et par lui seul ”’ ‘ 2 ’. Abordant cette question des relations distendues entre l’appareil départemental et une figure communiste notoire, membre du CDL sans représenter son parti, Paulette ASMUS fait un parallèle avec les “ colonels ” de la Résistance qui rechignaient à “ rendre compte ” aux commissaires politiques, référence aux rapports parfois délicats entre chefs de maquis FTPF et commissaire politique de passage. Dans ces trois situations, ASMUS se manifeste comme parfaitement orthodoxe, appliquant la conception officielle 0des relations parti/organisations de masse.
Dans son violent conflit avec Claude GUYOT, auquel il a déjà été fait référence, intervient, à propos des circonstances de la fin 1943, la question fréquemment rencontrée du choix entre attentisme et activisme. N’ayant de cesse de préparer la délicate phase de transition politique suivant le départ de l’occupant, préoccupé au plus haut point par l’importance prise par le PCF dans différentes structures, fixé sur l’objectif de voir son parti contrôler les structures provisoires, le dirigeant socialiste rechigne à lancer des forces importantes dans l’action ouverte. En résulte une condamnation virulente des initiatives de novembre 1943, pourtant parfaitement homogènes avec l’objectif d’affaiblir l’occupant en ressuscitant une capacité de mobilisation politique. Là encore, par ses initiatives, comme membre du triangle politique, comme par son implication personnelle dans l’action, ASMUS fait figure de militant et de dirigeant capable. Le satisfecit décerné par MORTUREUX en novembre 1945, alors qu’en réalité les attaques menées contre lui concernent aussi cette période, confirment l’impossibilité de contester publiquement une réalité que chacun a pu mesurer.
Aux temps de la Libération, Marcel ASMUS, se trouve au cœur d’une situation tragique par ses conséquences humaines, avec plusieurs dizaines de maquisards abattus, difficile et complexe aujourd’hui encore par ses tenants et aboutissants : la “ grosse affaire d’Autun ” selon l’expression du général de LATTRE de TASSIGNY. Il s’agit de l’engagement de maquis de l’Autunois pour arracher à l’occupant la dernière ville non libérée de Saône-et-Loire, le 8 septembre. Les autres villes du département ont été libérées, soit par le départ d’un occupant fuyant devant la remontée rapide des troupes de l’armée B et des unités américaines débarquées le 15 août, largement aidée par le harcèlement exercé sur ses axes de repli par les maquis ; soit dans le cas de Chalon-sur-Saône après de sévères combats, se soldant par des pertes légères grâce à la bonne coordination des troupes régulières avec les maquis du Val de Saône ; soit dans le cas de Tournus, par la seule action du maquis. Il n’en fut pas de même pour Autun. Cette sous-préfecture, ayant au temps de l’occupation tenu rang de préfecture pour la partie du département relevant de la zone Nord, avec la particularité d’avoir pendant plusieurs mois un préfet milicien, occupe une position géostratégique décisive pour les troupes allemandes en repli depuis le Sud-Ouest. Elle occupe le dernier axe sud-ouest/nord-est pour des troupes tentant d’échapper à la tenaille en train de se refermer entre les troupes venues de Normandie et celles arrivant du sud, afin de gagner Dijon puis des lignes de défense en Franche-Comté et Alsace dont les FFI intégrés à l’armée pourront vérifier la solidité lors des batailles de fin 1944-début 1945.
De ce fait, la ville voit défiler en un flot quasi continu les troupes du Kampfgruppe TAGLISHBECK, composé d’unités hétéroclites fortes d’environ 10 000 hommes (Allemands, Indiens déserteurs de l’armée anglaise, Russes de l’armée Vlassov…) encore largement opérationnelles, suivies de la colonne blindée BAUER (4 000 hommes) et enfin la colonne ELSTER dont les 20 000 hommes se rendirent dans des circonstances bien connues avant d’avoir atteint le Morvan. A leurs trousses arrivent des unités de l’armée B, servant de flanc-garde occidental aux gros des forces suivant la vallée de la Saône et le groupement SCHNEIDER constitué de FFI du Sud-Ouest. Les hauteurs qui dominent la bassin tectonique où se niche la ville sont tenues par plusieurs milliers de maquisards, principalement ceux du régiment FTP Valmy, avec à sa tête le commandant Louis BOUSSIN-CHARLOT, fort de quatre compagnies, constitué principalement de mineurs de Montceau-les-Mines et de métallurgistes du Creusot, montés au maquis dans l’enthousiasme de l’été 1944 et venant renforcer ceux qui depuis plusieurs années préparent la libération. C’est donc une configuration à la fois difficile, avec des troupes ennemies nombreuses, mobiles et aux abois, et favorable par l’appoint escompté des unités de l’armée régulière et des FFI arrivant du sud qui s’offre aux maquis de l’Autunois désireux de libérer la dernière ville occupée du département. Or le 8 septembre, c’est seuls, avant l’arrivée des appuis escomptés, que les FFI locaux descendent vers la ville. Un redoutable piège les attend, qui se solde par 47 tués pour le seul régiment Valmy, dont 27 prisonniers exécutés, près de 100 morts au total si l’on inclut les affrontements victorieux du lendemain. D’emblée, de l’ampleur de ces pertes naquit un débat complexe sur les responsabilités de ce qui fut, au moins dans sa phase initiale, un échec. Ce n’est pas le propos de faire état ici des termes de ce débat qui n’est toujours pas totalement achevé. Par contre, Marcel ASMUS se trouva au cœur de la polémique, accusé d’avoir imprudemment donné l’ordre d’attaque, ensuite d’avoir saboté les unités FTP du Valmy en laissant 95% de ses membres rejoindre leur foyer, d’avoir volé une automobile et de l’argent, enfin d’avoir abandonné son poste à la suite de la bataille d’Autun. Si l’ordre de mission signé du commandant LECOEUR, adjoint militaire du colonel LEDON (annexe n°24) fut bien transmis à CHARLOT- BOUSSIN par ASMUS, celui-ci n’en était pas comptable, assurant ici la liaison entre l’EM FTP et le commandant du régiment Valmy. Ce texte est d’ailleurs tout sauf l’ordre de se lancer inconsidérément à l’aventure. Quant aux autres accusations, ASMUS put facilement les anéantir (annexe n°26).
Il n’empêche, tout cela contribue à brouiller à la fois le débat sur la bataille d’Autun et le bilan du passage d’un cadre politique dans un département dont il ne connaît rien, au cœur des débats confus de l’été 1944 autour de l’organisation de l’EM départemental FFI, des rapports entre FTP-Zone sud et FTP-Zone nord.
Enfin, une fois revenu à Dijon, reprenant ses fonctions de 1er secrétaire fédéral, il se retrouve au cœur des batailles d’appareil qui se livrent au sein du PCF. Le témoignage de Paulette ASMUS, confirmé au moins dans sa plausibilité par d’autres situations 1 , permet de penser que la double caractéristique d’être venu d’ailleurs, de ne pas être du pays et de ne pas avoir été membre de l’appareil fédéral avant la guerre ont joué défavorablement pour Marcel ASMUS.
Ces considérations permettent d’éclaircir quelque peu le cas ASMUS et d’avancer des hypothèses sur les causes profondes de son éviction. Le contenu de la discussion avec THOREZ et MARTY montre qu’il s’agit pour les dirigeants nationaux de faire ressortir l’échec électoral de l’automne 1945 et d’en faire payer le prix à celui qui dirige la fédération de Côte-d’Or. De plus, ASMUS s’est trouvé, du fait de ses fonctions comme de sa conception de l’engagement politique, au centre d’affaires (MARSAC, bataille d’Autun) qui en font un personnage ne correspondant pas à l’image que le Parti veut donner, d’autant plus qu’il manifeste un caractère fort, entier. Dans ses écrits, il ne répugne pas à désigner tel ou tel pour expliquer ses problèmes. De telles attitudes, lorsqu’elles mettaient en cause des dirigeants relevaient du crime de lèse-majesté. Peu importe alors qu’il soit d’une parfaite orthodoxie, qu’il proclame son attachement à son parti ; il doit partir, à la suite de ce qui apparaît, pour paraphraser Charles TILLON, comme “ un procès de Moscou à Dijon ”.
Marcel ASMUS, archives privées.
Claude GUYOT, op. cit.
C’est entre autres l’analyse que font les enfants de Jean RITOUX-LEDON, fondateur des maquis de l’Ain, envoyé en Saône-et-Loire en mai 1944, pour expliquer son exclusion du PCF en décembre 1944.