Pour celui qui fut dès son adolescence militant de l’antifascisme, qui suivit avec inquiétude les faiblesses des diplomaties française et anglaise, couplés aux brutales remises en cause des conquêtes de juin 1936, l’annonce de la signature du Pacte germano-soviétique est vécue difficilement, mais sans rupture. Ce dont il témoigne change significativement dans le temps. Alors qu’il écrit ses mémoires, au début des années 70 et bien qu’il soit depuis une dizaine d’années exclu du PCF, il reprend la thèse officielle, affirmant que ‘“ l’Union soviétique, contre qui le danger de guerre était, gagnait un répit dont elle allait profiter pour s’organiser contre ceux qui la menaçaient ”’ ‘ 1 ’. En 1995, alors qu’il avait réintégré “ le Parti ”, il témoignait d’une attitude beaucoup plus réservée, avançant qu’ “ on ne pouvait pas tout comprendre ”, qu’ “ il fallait rester fidèle ”. S’il est bien difficile de cerner ce que furent exactement les réactions du jeune militant, il apparaît que le proscrit de 1972 est plus orthodoxe que le réintégré de 1995. Nous sommes en la circonstance face à une attitude commune à de nombreux militants ou anciens militants communistes qui, bien qu’ayant eu maille à partir avec l’appareil du PCF, s’imposèrent longtemps une sorte de devoir de silence sur le Pacte germano-soviétique et ses avatars et qui, aujourd’hui, sont comme libérés d’un devoir de solidarité avec une politique dont ils furent cependant victimes. Trois circonstances opèrent probablement de conserve pour provoquer cette ouverture, la conscience de l’urgence de laisser une trace conforme à ce qui fut, l’effondrement du système soviétique, achevant une série de chocs ( en particulier le Printemps de Prague et l’arrivée de G.MARCHAIS à la direction du PCF), enfin nature de l’interlocution .
D’août 1939 au 22 septembre 1942, date de son ultime arrestation, il est immergé dans les aléas de la politique du PCF. De ses pérégrinations de soldat sans armes de la drôle de guerre, de démobilisé, de militant semi-clandestin du PCF et de l’OS ressortent des situations très révélatrices des difficultés engendrées par cette politique. Ainsi il témoigne du véritable effondrement militant du PCF. Lors de ses “ conscrits ”, fête célébrant les jeunes de 20 ans, à Saint-Vallier, il se souvient que près de la moitié étaient membres des JC ; ils ne sont qu’une poignée de militants pour se réunir au cours de l’été 1940, afin de définir une ligne d’action. Surgit alors un débat sur la proposition de demander aux autorités d’occupation l’autorisation de reparution du journal de la Fédération de Saône-et-Loire du PCF, L’Etincelle. Le secrétaire fédéral, Antoine EMORINE, y est favorable, contre l’avis d’Antoine TISSIER, ancien candidat aux élections législatives de 1936, avis soutenu par VAILLOT. C’est finalement la proposition du cadre fédéral qui l’emporte : la démarche fut exécutée, sans succès, mais non sans rappeler la situation identique à Paris, en faveur d’une reparution de L’Humanité, ce qui confirme que ces initiatives ne relevaient en rien de dérives personnelles mais de l’application d’une ligne politique nationale. Camille VAILLOT se souvient aussi de l’arrivée, à la fin de l’été, d’un texte de ligne politique dont “ les coups n’étaient pas dirigés contre les Allemands ” ; il s’agissait de ce dont l’historiographie communiste fit “ l’appel du 10 juillet ”, officiellement fondateur d’une résistance communiste anti-allemande et dont J.Y. BOURSIER a démontré qu’il s’insérait tout au contraire dans la logique du Pacte. Rien d’étonnant alors que pour Camille VAILLOT “ jusqu’en juin 1941, on ne disait trop rien des Allemands ” et qu’à plusieurs reprises, des militants communistes de Montceau-les-Mines furent arrêtés par la police vichyste ou allemande puis libérés par les occupants.
Camille VAILLOT, op. cit. p 66.