Par ses comportements comme par ses propos, Camille VAILLOT s’inscrit pleinement dans la filiation des hommes de métier, issus des temps proto-industriels. Son engagement dans l’aventure de la mécanisation, son discours sur la beauté d’un taille bien menée, l’énergie, le temps qu’il consacra, celui de la retraite comme celui de la fermeture des puits étant venus, à la mise en place d’un musée de la mine, sont autant d’éléments constitutifs de l’homme attaché à “ la belle ouvrage ”. Aimé BAR, alors apprenti mineur, se souvient de l’exigence, en jury de CAP de mineur, de celui qui avait été le camarade de combat de son père et l’un de ses rares soutiens lorsqu’il dut affronter la justice. Son histoire familiale, comme l’histoire d’un pays sans la moindre tradition industrielle avant la mine, éloigné des villes importantes du département, le rattachent aussi à la tradition des ouvriers-paysans, ici mineurs-paysans, que l’on retrouve partout où l’industrie et la ville sont nées de la présence du charbon ou du minerai de fer, comme au Creusot ou à la Grande-Combe.
Sa vie est jalonnée par cette dualité. Enfant, il participe à l’élevage de “ quelques lapins, quelques poules, et d’un cochon… ” 1 . Commis de ferme à onze ans, il découvre avec tendresse le travail avec les bœufs, la vie en harmonie avec le rythme des saisons. Père de famille ne pouvant avec sa seule paie de mineur subvenir aux études supérieures de ses enfants, c’est dans l’exploitation d’une petite ferme qu’il trouve le nécessaire revenu d’appoint. Le troisième élément constitutif de l’homme et du militant est l’enracinement dans une tradition militante remontant au XIXe siècle. Deux hommes constituent cet enracinement. Son père, socialiste d’avant la première guerre mondiale, fervent partisan de JAURES - comme tant d’autres, il a vécu avec émerveillement la venue du “ grand JAURES ” à Montceau, en 1912-, a choisi, sur la base du bilan qu’il tire de la guerre, de suivre la majorité des délégués du Congrès de Tours. Modèle pour son fils de l’“ honnête ouvrier ”, il lui sert de mentor, l’associant à ses engagements contre la guerre du Rif, contre les fascismes. Il est donc l’élément de suture entre l’humanisme jauressien et l’engagement révolutionnaire et communiste. Avec le grand-père maternel LORIOT, c’est l’épopée des grandes grèves et de la lutte dure qui survit. Avec lui, resurgissent les grandes grèves de 1899 (23 jours) et de 1901 (109 jours, du 21 janvier au 10 mai) avec la violence des affrontements opposant “ Rouges ” et “ Jaunes ” mais aussi avec ses chaînes de solidarité, y compris avec le monde des campagnes environnantes. Revit aussi l’histoire de “ La Bande noire ”. Il s’agissait d’une organisation anarchisante, activiste, née à la fin du XIXe siècle d’une volonté de rupture avec les politiques réformistes des syndicats et du socialisme. Son action, essentiellement constituée de coups de main contre des lieux symboliques de leur pouvoir, visait à terroriser les bourgeois et les gens d’Eglise. S’il convient aujourd’hui qu’“ ils y allaient un peu fort ”, Camille VAILLOT ne cache pas son attachement pour ces gens, chez qui il retrouve son sens de la révolte et sa volonté de toujours s’engager.
Nous sommes là fort éloignés de la figure classique du militant ouvrier communiste, tout d’une pièce. “ Dus ” VAILLOT est en fait à la conjonction de deux traditions politiques, le jauressisme réformiste et la lutte dure, frontale mais sans perspective qui marquèrent l’incapacité du mouvement ouvrier français, en particulier sa forme anarcho-syndicaliste, à formuler une politique d’émancipation au début du XXe siècle. Le grand-père LORIOT incarne cette double filiation puisque, ancien de la “ Bande noire ”, il rejoint la SFIO et malgré le ralliement de cette dernière à l’Union sacrée en 1914, choisit d’y rester après la scission du Congrès de Tours. Un lien vivant avec le fait résistant est incarné par la grand-mère LORIOT qui, à 75 ans et habitant près de la ligne de démarcation profite de ses allées et venues pour chercher de l’herbe pour ses lapins et passer des messages cachés en un lieu où dit-elle “ chez une vieille comme moi, ils ne vont pas y chercher là ! ”, mais aussi par le “ père ” AUBLANC, arrêté en juin 1942 à son domicile, fusillé le 25 septembre 1942 après avoir été, quarante ans plus tôt, de ceux qui semaient la terreur dans le bassin minier. Tout ceci constitue une figure militante peu conforme à celle des militants ouvriers communistes engagés au cours de la séquence politique “ classe contre classe ”. “ Dus ” VAILLOT incarne cette double dimension d’homme de métier et de combattant n’hésitant pas, non sans une certaine délectation, à “ aller au charbon ” contre les adversaires. En cela, il se rattache à la tradition anarcho-syndicaliste née précisément chez les ouvriers qualifiés de la fin du XIXe siècle, dont la Charte d’Amiens fut le manifeste et la guerre mondiale la pierre d’achoppement. Très vivace chez les mineurs, encore perceptible aujourd’hui chez beaucoup d’anciens, elle s’avéra incapable de donner consistance à ses affirmations pacifistes en 1914, éclata face au bilan du conflit comme aux questions soulevées par la Révolution russe. “ Dus ” appartient à la branche qui trouva dans le jeune parti communiste le cadre organisationnel et politique le plus proche de sa conception des choses, mais n’étant complètement en phase avec la politique du PCF qu’en des moments bien spécifiques. S’il vit intensément la période du “ retroussons les manches ”, c’est parce que l’homme de métier put y développer son goût du beau travail, y conforter sa conviction que modernisation technique, productivité et amélioration du sort des mineurs, en particulier sur le plan de la sécurité vont de pair. S’il s’engagea fortement sinon brutalement dans les grèves jusqu’auboutistes de 1948, c’est qu’il y retrouvait la sève des grands affrontements de classe, de la confrontation, y compris physique, avec les forces de l’ordre. Mais lorsque le temps de la reprise du travail fut venu et que les consignes du PCF étaient selon lui “ aux limites du sabotage de la production ”, c’est l’homme de métier qui se cabre et dénonce avec sa vigueur habituelle ce qu’il n’admet pas.
Ce n’est donc en rien un militant orthodoxe, encore moins un homme facile, mais il manifeste néanmoins un comportement plutôt discipliné, après avoir formulé ses désaccords. Ceux-ci, par leur contenu comme par la vigueur de leur formulation suffirent à le rendre insupportable et expliquent son exclusion, au début des années 60. En deux situations particulières, il manifeste vertement ses désaccords. En 1951, de retour d’un voyage en URSS, il s’indigne des privilèges dont bénéficient les mineurs de la ville de Stalino, montrée en exemple, par rapports aux ouvriers de Moscou. Aux temps où son parti vote les pouvoirs spéciaux aux gouvernement Guy MOLLET sur la question algérienne, il s’interroge sur cette politique et comprend avant bien d’autres, aidé en cela par un fils envoyé faire la guerre là-bas, que le FLN est “ un puissant mouvement de libération nationale ” 1 .
Camille VAILLOT, op. cit. p. 18.
Camille VAILLOT, op. cit. p. 243.