1-8-Une mémoire en travail

Depuis le milieu des années 70 jusqu’en 1998, Camille VAILLOT a réintégré le PCF, après une dizaine d’années d’exclusion. Le fait peut surprendre, le moment correspondant à la période de la mise en place du dispositif qui devait mener à l’Elysée un personnage à l’égard duquel il professe une vigoureuse hostilité, affirmant que le jour où son “ vieux copain ” Charles TERRENOIRE fut fusillé par les Allemands, celui-ci paradait à Vichy. Cela tient au fait que pour celui dont tout le tissu social, tous les réseaux de relations étaient connectés au PCF, à ses militants, à ses organisations, en être coupé était difficilement supportable. Il ne cache d’ailleurs pas qu’il fut alors tenté de se supprimer.

Cela ne va pas cependant sans un fort désenchantement. Tenant ferme sur sa critique de la politique du PCF de 1939 à 1941, sur son alignement sur la politique soviétique, il n’en est pas moins très désabusé devant l’affaiblissement actuel en particulier sur le plan militant, constatant qu’entre sa génération et celle de ses enfants, il y a coupure brutale, aucun des enfants des principaux cadres communistes de la Résistance du bassin minier étant encore membres du PCF. Les questions qui l’amènent à s’engager sont toutes fortement connectées à ce qu’il fut. Au cours des années 80, il consacra beaucoup de temps à la mise en place d’un musée de la mine, à Blanzy, critiqué en cela par la CGT et le PCF qui voyaient dans l’affaire une main patronale, les Houillères ayant vendu les machines au prix de la ferraille à la structure qui avait préfiguré le musée et dont Camille VAILLOT était président. En cette fin de siècle, il déploya une partie de son énergie militante à mobiliser son parti et les gens de Montceau aux côtés des démocrates algériens. Enfin, au sein de l’ANACR, dont il est porte-drapeau et président du Comité de Montceau-les-Mines, il tient à porter haut l’idéal résistant, mais sans rien cacher de ce qui le fragilisa. C’est manifestement sans le moindre état d’âme qu’il n’a pas repris sa carte du PCF cette année 1999. Même si cela n’ébranlera pas l’édifice du PCF à Montceau, cela marque clairement la fin d’une aventure, d’une volonté et d’un engagement sans le moindre soupçon d’arrivisme, de calcul ou de recherche d’intérêt.

Sur toute ces questions, il est une mémoire active d’une histoire quasi séculaire. Deux temps forts marquent ce travail. Au début des années 70, récemment retraité de la mine, mais ayant encore des enfants à charge, il travaille comme gardien de nuit dans une usine. Il consacre alors son temps à écrire son histoire, l’histoire de son temps. Ce texte, dactylographié à plusieurs exemplaires fonctionna un peu comme les samidzat, circula sous le manteau. Le PCF se garda bien de le publier, tant les propos tenus sur des questions sensibles comme la séquence juin 1940-juin 1941, les livraisons de charbon soviétique à l’Espagne franquiste en pleine grève des mineurs asturiens, ou au Chili de Pinochet étaient jugés inacceptables par le “ groupe MARCHAIS ”. Lorsque ces mémoires furent enfin publiés en 1997, dans une maison d’édition sans le moindre lien avec le PCF, il s’avéra qu’un nombre non négligeable de gens les avaient lus et que beaucoup en connaissaient l’existence. La préparation de cette édition fut pour lui un autre temps majeur de travail de mémoire. Celle-ci n’est ni une simple reconstitution des faits, ni la célébration d’une image idéalisée du passé, servant à la pieuse édification civique des générations suivantes. Elle est, au-delà de l’établissement des faits et circonstances, réflexion, pensée sur leur sens, mise en perspective par rapport aux enjeux de temps nouveaux. En cela, ces deux temps du travail de mémoire chez Camille VAILLOT sont riches d’enseignement. En 1996-1997, alors qu’il est réintégré au PCF, il manifeste une bien plus grande distance politique par rapport à son passé de militant communiste qu’en 1972-1974, alors qu’il était exclu et qu’après un bref compagnonnage avec une des mouvances pro-chinoises, il était sans contact politique. Par ailleurs, alors qu’il était resté silencieux sur les circonstances de son exclusion, sur ses difficultés des années suivantes, il peut désormais les intégrer à son histoire, sans rancœur, mais sans oubli. Entre les deux moments disparaissent propos convenus et prudents. La fin de la guerre froide, l’effondrement du système soviétique et de ses référents idéologiques ont opéré comme des libérateurs .

L’écho, au sein de la population locale, de la publication de ses mémoires est lui aussi instructif sur les mécanismes de la mémoire et la façon dont l’appréhendent nombre de ceux que l’on appelle généralement les “ oubliés de l’histoire ”, le terme “ effacés ” convenant cependant beaucoup mieux. Deux séances de dédicace eurent lieu le jour du marché de Montceau-les-Mines, au café des mineurs. Celui-ci est tenu par un ancien mineur, jeune FTP de la Résistance, Roger JOLY, tout près de la Maison des mineurs où vint Jaurès en 1912. Les deux séances virent surgir tout un monde d’anciens de moments dont Camille VAILLOT fut acteur et témoin, du Front populaire aux années 60, en passant par la guerre. Pour reprendre l’image de Charles TILLON, de minuscules billes de mercure se reconstituaient en un nouvel ensemble. Exclus, proscrits, marginalisés côtoyaient alors dirigeants locaux, anciens cadres de la mine ainsi que le jeune député-maire socialiste actuel Didier MATHUS ou l’ancien maire RPR. Et de resurgir des confrontations dans l’état où elles avaient été laissées, et de voir des “ silencieux ” soudain retrouver une parole longtemps enfouie. Des conversations nouées en ces occasions ressortent deux aspects irremplaçables qu’aucune archive écrite ne pourra jamais permettre de saisir, le sentiment pour la plupart de ces gens que c’était leur histoire qui à travers le parcours du “ DUS ”, était enfin dite, donc légitimée, une histoire qui avait été négligée jusque là, et que le personnage de Camille VAILLOT en était l’expression, qu’ils se reconnaissaient à travers lui. L’un d’eux me dit, les larmes aux yeux :“ il est notre trace, et elle est dite ”.

Par les situations qu’il a traversées, par la figure militante et politique qu’il constitue, par la nature de ses engagements par le travail de mémoire qu’il effectua et effectue encore, Camille VAILLOT est donc un personnage révélateur du refus ou de l’incapacité de l’appareil du PCF d’intégrer à sa démarche politique de l’après-guerre ce dont des hommes comme lui étaient porteurs.