2-4-Un secrétaire fédéral irrespectueux

Commence alors pour Henri PERNETTE une “ période euphorique ”. Très sollicité, il passe le plus clair de son temps à animer des réunions publiques où son goût de la confrontation et son talent oratoire trouvent un terrain agréable. Il est chargé de calmer les ardeurs de ceux qui croyaient naïvement que le grand soir était arrivé. Ainsi, à Joncy, il parvient à mettre fin à l’occupation du château par “ des gars ” mettant en pratique l’appropriation collective. Gît là probablement les raisons de sa nomination. Sa personnalité et son image en faisaient l’homme nécessaire à faire accepter, en particulier sur ces terres d’esprit frondeur et nourries de tradition anarcho-syndicaliste, les compromis conditionnés par la participation gouvernementale.

Deux incidents l’opposant à des dirigeants nationaux sont alors révélateurs du décalage qui existe entre son être profond et les logiques d’un appareil auquel il appartient.

Le Xe Congrès du PCF, tenu en juin 1945, auquel il participe au sein de la délégation de Saône-et-Loire, l’amène à manifester son détachement à l’égard des rituels figés du Parti. Quelques semaines plus tôt il avait reçu la visite d’un jeune responsable parisien, L., qui lui avait annoncé que la direction nationale l’avait désigné pour le remplacer. L’absence totale d’attachement aux fonctions et honneurs qui était au centre de son engagement politique lui avait permis de prendre la nouvelle en toute tranquillité. Or l’homme en question s’était révélé entre temps être un agent de la DGER infiltré dans l’appareil central du Parti. Ce ne fut cependant pas sans surprise qu’il s’entendit mettre en cause par Raymond GUYOT au cours d’un rapport où était mis en exergue le cas d’un secrétaire fédéral ayant failli être remplacé par un agent de la DGER. Vue l’espionnite qui régnait alors dans le PCF, la charge était de taille. Au mépris de tout usage, il se leva alors, interrompit l’orateur pour protester au titre que c’était à l’échelon national de contrôler ses cadres et non aux responsables fédéraux. La forme comme le fond de son intervention furent jugées insultantes pour le Parti et sa direction.

Lors de la venue de THOREZ à Montceau-les-Mines, siège de la direction fédérale, à l’occasion du congrès des mineurs, il se heurte sans détours à ce dernier. Abordant le sujet des Français prisonniers des Soviétiques, il n’hésite pas à dénoncer le sort atroce qui leur est imposé. A la colère non feinte de THOREZ, furieux de ce blasphème, il oppose sa conviction que toute armée est par nature portée à de tels comportements, quelle que soit sa couleur. Un propos de cette nature, au moment où l’Armée rouge bénéficiait, au-delà même de la stricte sphère d’influence communiste, d’un grand prestige, était insupportable pour THOREZ.

Sa position devenait alors intenable, d’autant plus que “ derrière lui, il y avait du monde qui poussait ”. La campagne électorale pour les élections législatives de l’automne 1945 fut l’ultime circonstance avant son départ. Ayant refusé de figurer en position éligible, le PCF pouvant légitimement espérer avoir deux élus, il était logique qu’il figure en troisième position, en tant que secrétaire fédéral, derrière WALDECK-ROCHET et François MERCIER, vieux cadre communiste d’avant-guerre. Or la direction fédérale imposa la candidature de Lucie AUBRAC, qu’il “ n’avait jamais vue ” et qui suscita chez les militants, “ beaucoup de réticences ”. Quelques mois plus tard, il donnait sa démission, se retirant sur la pointe des pieds, après avoir livré une autocritique où il n’engageait pas la confrontation. Une campagne en faveur de son exclusion fut arrêtée par WALDECK-ROCHET qui lui conserva son amitié, profitant de moment de détente communs passés dans une maison prêtée par un militant du village, BOUDOT. André PERNETTE se souvient de ces échanges où le futur secrétaire général “ calme, droit, intègre ”, opposait aux diatribes ou mises en garde de son ami un “ tu exagères un peu ” lourd d’approbation au moins partielle, signifiant qu’il n’était pas dupe des perversions des logiques d’appareil lorsque PERNETTE dénonçait les comportements courtisans, la servilité politique et l’arrivisme forcené. Comme en d’autre circonstances, sous son apparence de paysan un peu lourd, WALDECK-ROCHET manifestait sa capacité à garder des liens personnels forts, y compris avec des proscrits. L’affection étonnante que lui vouent encore beaucoup de gens dans la région s’explique probablement par cette capacité.

Le bref passage d’Henri PERNETTE à la direction fédérale de Saône-et-Loire confirme donc l’originalité d’une figure militante qui associe une fidélité absolue à l’idéal communiste à une dimension libertaire héritée. Il est aussi révélateur des difficultés de la direction nationale à trouver des cadres fédéraux à la fois conformistes et aptes à gérer politiquement le délicat passage du combat libérateur et de la Libération à la politique gestionnaire et électoraliste mise en pratique. A moins qu’il ait été sciemment utilisé pour permettre une transition en douceur entre les exaltations du combat clandestin et les contraintes de la pratique gouvernementale.