3-4-Militant, élu, au cœur des questions politiques de l’après Libération

Après une année scolaire 1945-1946 où il retrouve son enseignement, cette fois à Chalon-sur-Saône, principale ville du département, Rémy BOUTAVANT qui a rejoint dès mai 1945 le secrétariat fédéral dirigé par Henri PERNETTE et Arthur BERNIGAUD- LATRASSE se trouve placé comme candidat en position éligible sur la liste communiste aux élections législatives de novembre 1946. Non seulement cela lui arrive de façon totalement inattendue, mais la procédure suivie lui pose problème. En effet, le Bureau fédéral avait élaboré une liste de 7 noms, ratifiée par le Comité fédéral, mettant en position éligible WALDECK - ROCHET et François MERCIER, ancien ouvrier métallurgiste, membre du PCF depuis 1927, député en 1945, adjoint au maire du Creusot. Comme en 1945, Lucie AUBRAC occupait la troisième place, la suite de la liste étant constituée de “ bons militants ” 1 , BOUTAVENT occupant la dernière position. Or quelques jours après l’adoption de cette liste par le Comité fédéral, tombait la décision nationale : BOUTAVANT était placé en deuxième position, remplaçant François MERCIER réservé pour les élections au Conseil de la République qui suivaient immédiatement les législatives, en application de la nouvelle constitution. A cette procédure qui “ n’était guère démocratique ”, Rémy BOUTAVANT trouvait au moment où il écrivait ses mémoires une double explication : la proximité des “ temps de la clandestinité ” imposait des décisions prises au sommet et le fait que “ dans le Centralisme démocratique, le pas était donné au centralisme sur la démocratie ”. Le propos, tenu en 1992, n’aurait rien de très original dans la bouche d’un dirigeant communiste, s’il ne reproduisait pas des formulations similaires, tenues en des temps où le respect des décisions centrales ne souffraient pas la contestation. “ Abasourdi ” par la décision, Rémy BOUTAVANT s’y soumet cependant, mesurant “ la lourdeur des difficultés ” qui l’attendent, mais aussi ressentant une ‘“ satisfaction bien naturelle d’avoir été choisi par le Parti, parmi tous les militants du département, pour être le second de WALDECK ROCHET ”.’ L’expression est révélatrice, venant après les réserves concernant le centralisme, le centre étant malgré tout identifié au “ Parti ”.

La pratique de l’élu BOUTAVANT, au cours des douze années où il représenta le département au Palais Bourbon, comme le comportement public du militant, ne manifestent pas grande originalité par rapport aux modèles habituels. Cependant, par petites touches, il fait preuve d’une réelle indépendance d’esprit, certes dans le cadre d’une orthodoxie sans grande faille, et formule des problèmes concernant les rapports entre élus et cadres de l’appareils significatifs des difficultés du PCF à concilier son intégration au parlementarisme, sa fonction tribunicienne et son fonctionnement stalinien.

A une époque où les exclusives contre les opposants sont sans réserve, où la figure du traître reste un mode de délimitation politique, il garde des liens amicaux avec des hommes en marge du parti comme Henri PERNETTE ; il fera de même plus tard avec un exclu comme Camille VAILLOT. Ce comportement lui est d’ailleurs reproché par André FAIVRE secrétaire fédéral. Une fois encore il est notable que sur de telles questions, c’est WALDECK ROCHET qui couvre. A l’égard de ses adversaires politiques, il entretient de cordiales relations avec un homme comme le chanoine KIR, pourtant vaillant pourfendeur des “ moscoutaires ”, mais avec lequel il partage la même verve populaire. Le chanoine le convoyait d’ailleurs fréquemment de la gare de Lyon au Palais Bourbon dans la limousine avec chauffeur que l’évéché de Paris lui accordait, origine d’un bobard circulant en Saône-et-Loire à propos du député qui circulait en Cadillac à Paris alors qu’il n’affichait qu’une vieille 202 dans son département.

Il exprime à plusieurs reprises, dans les débats internes exclusivement, ses difficultés politiques d’élu national avec le secrétariat fédéral et plus particulièrement son premier secrétaire, André FAIVRE. Dans un texte quelque peu postérieur à notre étude 1 (annexe n°28) mais qui au-delà d’un incident ponctuel pose des problèmes hérités de longue date, il met en cause sans détour les permanents fédéraux. La redondance de la formule “ je n’admets pas ”, à propos de l’attitude de l’un de ceux-ci et la revendication d’une spécificité du travail parlementaire 2 , sont révélatrices du décalage entre les hommes de l’appareil et les élus, amenés par leurs activité à être immergés dans la réalité sociale. Ses réponses à la formulation agressive d’un secrétaire fédéral , “ je ne suis pas ton secrétaire ”, sur le mode “je ne suis pas ton chauffeur ” ou “ je ne suis pas ton facteur ”, au-delà de l’apparente médiocrité de la querelle, identifient la délicate délimitation, au sein du PCF, des modes politiques parlementaires et stalinien.

Ainsi, même si cela apparaît peu dans ses comportements publics, Rémy BOUTAVANT vit, exprime, incarne une figure politique originale, en partie décalée. Ses protestations contre la mise sous tutelle par le PCF d’organisations comme l’UFF 1 , ses propos privés contre les “ brochures à deux pattes ” à propos des dogmatiques, son trouble devant la ligne de son parti à l’égard de nombre d’anciens cadres résistants, ses dénonciations de l’ouvriérisme qui selon lui fait encore des ravages, renforcent et confirment cette dimension.

Il serait cependant vain et erroné d’en faire un oppositionnel. Sur l’histoire du PCF et tout particulièrement la période confuse allant du Pacte germano-soviétique au printemps 1941, il est d’une parfaite orthodoxie, comme en témoigne son hommage à son camarade Jean BERTHIER (annexe n°29). Ses protestations, si elles expriment de réelles questions politiques, s’efforcent toujours de rester au niveau des modes de mise en œuvre de la politique du PCF ; enfin la conclusion de ses mémoires manifeste, en novembre 1979, une pleine confiance pour l’avenir des idées auxquelles il a consacré une part majeure de sa vie.

Ces trois hommes, qui bien entendu se côtoyèrent, constituent chacun une figure originale du militant communiste, enraciné, surtout pour les deux premiers, en d’autres traditions politiques, dont leurs comportements ne les détachent pas complètement. Cette réalité manifeste à la fois une certaine diversité de ce que ses adversaires identifient comme “ le ” communiste, présupposé être la terne reproduction d’un modèle unique, mais aussi la difficulté ou le refus d’intégrer totalement cette diversité par le PCF. Vu sous une autre perspective, c’est aussi l’échec de ces hommes de peser sur les choix politiques de leur parti qui est révélé par leur histoire.

Notes
1.

Op. cit. p.222, parmi ces “ bons militants ”, on trouve Roger TRAMOY.

1.

Il en subsiste le brouillon joint en annexe et remis par son fils. Le contexte concerne la lutte pour le maintien de l’activité de la mine des schistes bitumineux des Télots, près d’Autun.

2.

La formule (p.2) “ c’était une obligation parlementaire à laquelle il m’était impossible d’échapper ” associée à l’idée que “ chaque responsabilité amène des conditions de travail différentes ” établit une distance entre l’élu et les autres militants.

1.

Analyse intégrée dans un rapport au CC du PCF, daté du 25 mars 1956 destiné à protester contre la lenteur de la mise en œuvre des perspectives nouvelles ouvertes par le XXe Congrès du PCUS. Que BOUTAVENT réagisse aussi rapidement au “ Rapport KROUCHTCHEV ” confirme sa gène à l’égard de la ligne précédente.