Les deux familles de Louis et Sacha WALCZACK sont originaires de la partie de Pologne sous domination allemande jusqu’au premier conflit mondial, de Posnanie pour le premier, de la région de Gdansk pour la mère de son épouse. Chacune des deux familles a eu des hommes mobilisés dans l’armée allemande en 1914 (annexe n°30), le père de Louis comme territorial étant donné son âge, mais ses oncles comme combattants, y compris sur le front français. Le témoignage de Louis WALCZACK 1 , confirmé par le document joint en annexe et par le fait que l’un de ses oncles a été ordonnance d’un général allemand, avance que les Polonais incorporés dans l’armée de GUILLAUME II ne subissaient aucune discrimination due à leur nationalité. L’attribution de la croix de fer à cet oncle renforce cette affirmation.
Les parents de Louis, arrivés à Montceau-les-Mines en 1920, appartiennent aux premiers contingents de mineurs polonais venus combler les effectifs diminués par la guerre, dotés d’un contrat de travail de 10 ans. Louis insiste d’ailleurs, non sans une certaine véhémence, sur le fait que, contrairement à ce que certains historiens laissent entendre selon lui, ces familles ne sont pas arrivées en “ miséreux, avec leur baluchon ”. En effet, en une première étape, au début du siècle, ils avaient migré dans les mines de Westphalie où ils avaient acquis leur qualification de mineurs. Lorsqu’ils arrivent en France en 1920, venus d’Essen et Bochum, ils disposent d’un contrat en bonne et due forme avec la Compagnie des Mines qui a organisé ce qui est un véritable déménagement collectif, avec wagons pour les meubles et wagons de voyageurs. Louis est d’ailleurs fier de montrer comme trace matérielle de cette histoire une monumentale armoire ainsi qu’une balance de ménage au riche décor émaillé, en parfait état de fonctionnement, acquises en Westphalie par ses parents et transportées jusqu’en Saône-et-Loire en 1920. La compagnie n’a pas négligé d’appointer les prêtres de la communauté, ce que Louis analyse comme une application pertinente d’un précepte bismarckien mettant en balance l’efficacité de l’encadrement du peuple par la religion et par la police. Louis naît deux années plus tard, en 1922, dernier enfant d’une famille dont les quatre aînés sont nés en Allemagne. Il lui reste de cette histoire le fait de parler les trois langues. Chez ses parents on parle polonais et allemand. En effet, au cours de leur enfance, ses parents sont allés à l’école allemande et il se souvient des récits de sa mère de l’amende que sa grand-mère dut acquitter parce que la fillette avait parlé polonais à l’école. Louis fait à ce propos un parallèle avec Le cheval d’orgueil de Pierre Jakez HELIAS et les méthodes de lutte contre le breton.
Son épouse Sacha est elle aussi née en France, en 1931, de parents arrivés parmi les premiers immigrés polonais. Le projet familial de ses parents diffère de celui des WALCZACK ; leur but est de “ gagner de l’argent puis repartir au pays ”. D’ailleurs, au contraire de ceux des parents de son mari, le père et la mère de Sacha ont gardé des liens étroits avec la famille restée en Pologne, si bien qu’en 1938 la mère et la fille séjournent plusieurs mois au pays, avant le retour, perçu alors comme définitif, de toute la famille, en 1947.
Commence alors pour les deux familles l’histoire de la mine et de la communauté polonaise de Montceau-les-Mines, Saint-Vallier, Sanvignes, Blanzy. Les conditions de vie dans les cités construites pour les Polonais, près des puits de mine, aux Gautherets, à Darcy amènent Louis WALCZACK à s’élever contre un double manque de discernement : celui de ceux qui, séduits par l’apparence extérieure plutôt flatteuse des maisonnettes négligent l’absence d’eau, le chauffage insuffisant ; celui symétrique de ceux qui imputent le manque d’hygiène, non à l’insuffisance des bornes fontaines et des toilettes extérieures (1 pour 10 familles), mais à un comportement inné des habitants. De même qu’il tient à ce que soit établie la situation initiale des premiers mineurs polonais arrivés, il fait état du déclassement que subit son père, chef de poste dans les mines de Westphalie, embauché comme manœuvre, tout juste promu mineur par la suite, par la Compagnie des Mines de Blanzy. Il décrit avec colère le sort terrible de certains de ces hommes, le temps de la retraite étant venu pour les plus âgés. Chassés d’un logement lié à l’emploi, réduits à la misère par une retraite minuscule de 30F par mois, ces hommes sont souvent livrés à la déchéance. Louis se souvient, enfant, en avoir vus, chassant les chiens du voisinage pour les manger avec quelques pommes de terre, le tout arrosé jusqu’à l’ivresse par de l’alcool à brûler, bon marché mais aux effets dévastateurs. A ces difficultés de la vie quotidienne, à la dureté du métier de mineur s’ajoute, en particulier pour les parents WALCZACK,une insertion délicate. Proches du PCF, liés au PC polonais jusqu’à sa dissolution par STALINE en 1938, repliés alors dans la seule CGTU, ils sont mal considérés par une majorité de compatriotes, soumis à la forte pression d’un clergé polonais particulièrement traditionaliste. Il y a là, un facteur majeur de rapprochement avec leurs camarades de travail français. En ce domaine, ils anticipent ce que réalisa puissamment le fait résistant, l’intégration massive des Polonais dans le peuple du bassin minier. La sœur de Louis est la première jeune polonaise, et la seule avant la guerre, qui ait épousé un français, Marceau THOMAS, militant du PCF.
En 1939, Louis n’est pas mobilisé, n’ayant pas encore atteint ses 18 ans, contrairement à ses frères. Sur ce point aussi, il tient à rectifier vigoureusement la thèse traditionnelle de l’engagement volontaire des Polonais de France. Il affirme que c’est sur consigne du consulat, relayé par le syndicat des mineurs, que les Polonais du bassin minier ont été pratiquement obligés de s’engager. Ses deux frères, ainsi mobilisés, furent prisonniers et selon Louis, alors traités comme des soldats français.
Entretiens, 18 mars 1998, 4 juin 1998, 28 octobre 1998, 9 mai 1999.