4-Serviteurs d’un “ Etat policier ”

Les témoignages de Louis et Sacha convergent pour dire que dès leur arrivée, ils sont “ pris en main ” par les autorités de l’Etat et du Parti communiste, estimant que c’était le cas de tous les Polonais de France volontaires pour le retour. Ils se retrouvent là où ils travaillent, à Geiwice, en Haute-Silésie, et se marient en 1948, donnant naissance à trois enfants. Elle est secrétaire-bibliothécaire d’un magasin de munitions de la police ; lui, après un stage à l’école de la police, est chargé de la surveillance des “ curés, médecins, instituteurs ”. Selon sa formule d’aujourd’hui, il est “ dans l’Etat policier ”, astreint à d’obscures besognes de surveillance, dont la médiocrité des situations concernées était inversement proportionnelle au temps qu’il fallait leur consacrer. Tout cela l’éloigne fort des rêves d’émancipation à l’origine de son retour polonais. Après trois ans de fonctions qui lui répugnent, il parvient à les quitter. Le couple se retrouve dans des fonctions plus économiques, Sacha comme responsable du personnel d’une ferme collective, lui comme garde forestier. Ils bénéficient alors d’une situation “ confortable ”.Il est victime de tracasseries diverses, à la suite du passage clandestin de la frontière tchèque par l’un de ses frères et d’une accusation portée contre lui pour des trafics de bois les incitent à demander de rentrer en France. Il explique par le fait qu’ils avaient la nationalité française d’avoir pu quitter assez facilement la Pologne, en pleine guerre froide.

L’intérêt de cette partie de sa vie, plus que dans le détail des circonstances vécues, réside dans la perception qu’il a d’un pays vivant la marche vers le modèle de “ démocratie populaire ”, après l’épisode de la conférence de Sklarska Poreba et avec la crise de 1956. En tant que “ communistes français ”, et désignés comme tel par les Polonais, Louis et Sacha WALCZAK témoignent de situations révélant la complexité des processus politiques en cours en Pologne. Tout particulièrement, ils affirment avoir constaté une certaine collusion, n’excluant pas la rivalité, entre le parti communiste et l’Eglise catholique. Les cours de catéchisme donnés dans l’enceinte des écoles par des prêtres appointés par l’Etat, le baptême d’enfants de cadres communistes, “ à 100 ou 150 km de leur résidence ”, les sévices corporels subis par leur fils, parce qu’il n’assistait pas aux cours de catéchèse, sont autant de preuves, à leurs yeux, que ces deux instances de pouvoir, en violent affrontement, étaient par ailleurs en totale collusion contre ce qui leur apparaissait étranger “ aux réalités nationales ” polonaises. Pour ce qui est de la politique de collectivisation, fut-elle partielle, de la terre, Louis WALCZACK la qualifie de “ grave erreur ”, consistant “ à mettre la charrue avant les bœufs ”. Il entend par là que “ le peuple polonais n’était pas préparé ” à un tel bouleversement, qu’il “ voulait la terre ” et qu’il aurait fallu alors procéder par étapes. Alors qu’il s’affirme quasi rituellement “ stalinien ”, il trouve absurde “ qu’avec 10 ha, vous étiez considéré comme un koulak ”. Son épouse, dans le cadre de sa deuxième fonction, a pu constater la médiocrité de l’équipement utilisé dans les fermes collectives et surtout la faible motivation d’un personnel qui ne rêvait que d’un lopin individuel. Lui qui est né, a grandi, travaillé et combattu dans ce milieu d’un bassin minier où le monde de la mine vit en symbiose avec un monde rural proche dont la plupart des hommes du charbon sont issus, a compris que la socialisation de la société doit passer par des processus politiques et non par des transformations économiques inspirées de dogmes et appliquées de façon bureaucratique. Ceci permet de comprendre pourquoi l’épisode de 1956 ne l’a pas particulièrement marqué, qu’il ne cherche pas à s’étendre sur ce sujet, tant il estime qu’il ne remettait pas fondamentalement en cause ce qu’il dénonce.