VI-UN PCF MOINS HOMOGENE QUE CE QU’IL VEUT FAIRE APPARAITRE, MOINS MONOLITHIQUE QU’IL N’EN A ETE DIT

Le durcissement du débat politique dès les premiers mois suivant la Libération et bien plus l’isolement du PCF dans le contexte de la guerre froide suscitent chez celui-ci un comportement de forteresse assiégée ne laissant que peu de place, sinon aucune, à l’expression libre, au débat ouvert. Il s’agit de proposer “ aux masses ” l’image d’un parti en ordre de bataille, cohérent et discipliné. Ceci implique qu’un voile opaque soit tiré sur les circonstances faisant problème et que l’utilisation de la figure du traître serve à évacuer les parcours hétérodoxes de certains anciens communistes. Singulièrement, cette opération politique est confortée par les adversaires du PCF soucieux de démontrer sa dangerosité politique en insistant sur sa cohésion. De même, tous ceux qui, à l’instar des individualités analysées plus haut, ont eu maille à partir avec l’appareil du PCF, se sont le plus souvent imposé le silence sur les circonstances de leur difficultés, le souci de “ ne pas faire le jeu de l’adversaire ” servant de butoir. Mais derrière la façade monolithique qu’il se constitue, le PCF masque des divergences, des lignes de fracture révélées tant par les archives des Renseignements généraux manifestement bien infiltrés dans les instances du parti que par les témoignages, souvent tardifs, de ceux qui se considèrent aujourd’hui comme délivrés de leur devoir de silence.

Les incertitudes, les tensions des temps de guerre pèsent manifestement sur des situation de paix. Plusieurs des cas envisagés, Antoine TISSIER, Marcel ASMUS, le couple DENIS-BLANC sont liés aux deux séquences. S’être opposé ou avoir manifesté des réserves au moment de la signature du Pacte germano-soviétique ; s’être trouvé, parfois à son corps défendant, au centre de situations difficiles comme les évasions, les contacts avec les autres organisations, les rapports parti-FTP ou FN ; avoir été un acteur de moments difficiles comme l’échec de l’insurrection du 6 juin dans l’Yonne ou la libération d’Autun sont autant de circonstances qui conditionnent en partie le devenir de cadres résistants au sein du PCF après la Libération. Dans un même registre, le sort de dirigeants nationaux se répercute sur la vie locale. A la suite de “ l’affaire MARTY-TILLON ”, un rapport des RG de Saône-et-Loire 1 , en date du 17 décembre 1952, observe que ‘“ depuis début octobre, des dirigeants CGT des mineurs de Montceau-les-Mines s’abstiennent de paraître aux réunions de cadres. Ils semblent se désintéresser de la vie de cette importante organisation syndicale… ”’. Tous membres du PCF, ces hommes, parmi lesquels figure le responsable des Polonais de la CGT, manifestent, “ selon l’informateur ”, leur hostilité “ aux sanctions prises contre MARTY et TILLON ”. Venue d’un point de vue policier, cette appréciation recoupe et confirme les nombreux témoignages faisant état de l’extrême sensibilité de nombreux communistes anciens résistants aux difficultés de GUINGOIN, TILLON et autres dirigeants dont ils se sentent spontanément solidaires 2 .

Opèrent aussi dans les évolutions internes du PCF des traditions politiques originelles, enracinant ce parti dans de fortes réalités nationales et nouant de ce fait des contradictions avec les choix de la direction, en partie liés aux intérêts de l’Etat soviétique. Ainsi, en Saône-et-Loire, le bassin minier comme la zone rurale de la vallée de la Guye voient persister chez beaucoup de militants des traditions politiques fort éloignées de la vulgate  marxiste-léniniste imposée lors de la période de bolchevisation.

Dans le bassin minier, avec les villes de Montceau-les-Mines, Saint-Vallier, Sanvignes, subsiste une vigoureuse tradition anarcho-syndicaliste. Pendant l’occupation, celle-ci a nourri un fort mouvement d’opposition, avec freinage et sabotage de la production puis montée massive au maquis, faisant de Montceau-les-Mines une des 17 villes françaises détentrices de la médaille de la Résistance. Au cours de la séquence de l’après-guerre, c’est dans les grèves de l’automne 1948 que cet élément constitutif de la conscience collective d’une large fraction du peuple du bassin trouve une expression ultime. L’épisode majeur de ces grèves faisant depuis l’objet d’une véritable mythification fut l’affrontement des mineurs avec les gendarmes envoyés libérer les puits. C’est autour de la neuvième écluse du Canal du Centre devenue depuis un lieu de légende qu’il se produisit le 22 octobre 1948, s’achevant par la neutralisation de 120 gendarmes et de leurs 3 officiers, désarmés, délestés de leurs uniformes et enfermés dans une salle de douches de la Mine. Il fallut, le lendemain, l’intervention des députés communistes Rémy BOUTAVANT et WALDECK-ROCHET pour obtenir leur libération. Les suites judiciaires de l’opération se traduisirent par 99 inculpations, dont 55 détentions provisoires, des jugements relativement modérés du Tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône suivis d’appel à minima pour la quasi-totalité des cas, et un second jugement beaucoup plus sévère, prononcé à Dijon. L’événement ne saurait être réduit à l’interprétation classique en terme de manœuvre instrumentée par l’appareil central du PCF. Si cette dimension fut bien réelle, elle ne saurait expliquer à elle seule l’ampleur de la mobilisation d’une population, les formes qu’elle prit et la force de la trace dans la mémoire collective. D’ailleurs de cette réalité montcellienne même ceux qui la regrettent en portent témoignage. Le fils de Rémy BOUTAVENT, qui fut responsable fédéral du PCF avant de prendre distance, exprime aujourd’hui ses propres réticences et rappelle celles de son père à l’égard d’une ville “ incontrôlable ”, “ versatile ” 1 . Le transfert, dès 1945, du siège de la Fédération de Saône-et-Loire du PCF de Montceau-les-Mines à Chalon-sur-Saône n’est pas étranger à cette distance politique.

Constituant un des arrière-pays ruraux du bassin minier, avec de nombreux liens familiaux ou amicaux, nouant des réseaux complexes de sociabilité, la vallée de la Guye et ses contreforts tournés vers l’Ouest, voient la persistance d’une forme de conscience politique prenant racine au XIXe siècle, partiellement en compagnonnage avec le PCF, mais sous des formes bien éloignées de la figure des “ brochures à deux pattes ” 1 . Dans un cadre naturel associant prairies de fond de vallée, cultures céréalières sur les premières pentes et viticulture sur les éboulis des rebords calcaires des plateaux dominant la vallée s’est épanoui dès le XIXe siècle un vigoureux courant progressiste, au sein d’un paysannerie associant souvent petite propriété et métayage. Dans un département qui envoie en mai 1849 cinq députés démocrates-socialistes, extrême-gauche du moment, à l’Assemblée nationale, ce petit pays manifeste lui aussi la volonté de voter le plus à gauche possible. De cela subsistent de fortes traces. Lorsqu’il s’agit de trouver des référents, c’est de Victor HUGO et de Jean JAURES qu’il s’agit, associés à la Grande Révolution, celle de 1793. Se détache la figure de Charles TUSSEAU, paysan travaillant des terres du château de Bissy-sur-Fley, ancienne demeure de la famille de THIARD. Cet homme, d’âge mûr lorsque la guerre éclate, attaché au savoir et à la réflexion, exerce une influence décisive sur les jeunes hommes du pays, comme Paul PISSELOUP, fils de l’instituteur communiste du village ou Jean TORTILLER, jeune paysan. Ces hommes, profondément républicains, viscéralement attachés à leur terroir, épris de liberté, ont certes trouvé dans le PCF une façon d’être le plus radicalement des opposants, mais ne constituent en rien des militants disciplinés et alignés. C’est le combat résistant, parce qu’il connectait la double dimension de l’antifascisme et du patriotisme qui fut le moment où ces hommes furent le plus en harmonie avec leur engagement politique. Après, leur carte d’adhérent fut pour eux un signe de fidélité à un idéal, mais leur engagement resta limité 2 . La proximité géographique ne suffit pas à expliquer que les deux milieux, celui de la mine influencé par l’anarcho-syndicalisme et celui de la campagne, incarnant un républicanisme radical, aient constitué des liens puissants pendant l’occupation. Le grand maquis FTP Jean PIERSON de Collonge-en-Charolais comme la personnalité d’Henri PERNETTE incarnent cette proximité politique originale.

Une autre dimension de ce qui apparaît comme une certaine hétérogénéité politique du PCF concerne les réactions internes à la ligne politique légaliste, esquissée dès septembre 1944, clairement formulée par Maurice THOREZ dès son retour d’URSS. Dans le cadre de la campagne électorale pour les élections municipales du printemps 1945, les RG de la Côte-d’Or observent dans une note du 19 mars 1 que “ certains remous se manifestent chez les “vieux communistes” locaux, visiblement surpris de la souplesse et de la hardiesse de l’adaptation du leader THOREZ ”. La référence à l’ancienneté des militants en question concerne leur ancienneté dans le Parti, et non leur âge biologique. L’observation révèle la difficulté de militants, ayant traversé les temps d’isolement puis de la Résistance, encore imprégnés du mythe du “ Grand Soir ”, à suivre les méandres des choix tactiques d’un parti de gouvernement, bien qu’il continue à tenir un discours radical. Dans un même registre, les RG d’Autun informent 2 le sous-préfet, le 23 mars 1946, que le député communiste du Creusot François MERCIER “ paraît avoir déçu beaucoup de ses partisans ”, qui “ espéraient une nationalisation rapide des usines SCHNEIDER ”. On a pu observer par ailleurs les réticences lors de la dissolution des Milices Patriotiques et surtout le faible succès de la remise des armes, épisode faisant surgir encore beaucoup de sourires entendus aujourd’hui lorsque la question est abordée. Les difficultés de cadres locaux, l’éviction, à l’échelle nationale, de 26 membres du Comité central, dont 15 titulaires tous anciens résistants, lors du XIIe Congrès en 1950, relèvent d’une même réalité politique : l’existence au sein du PCF d’une sensibilité nourrie de rêves d’insurrection, de rupture radicale avec la société capitaliste, de ralliement très réticent au parlementarisme.

Enfin des lignes de fracture apparaissent après la guerre entre des militants ayant appartenu à des dispositifs différents, ayant rallié le PCF à des moments différents. Des témoignages d’origine géographique diverse 3 font état de l’arrivée dans les structures du PCF, par le haut comme par la base, de gens inconnus jusque là, bénéficiant manifestement d’un grand intérêt de la part de l’appareil du Parti et qui tendent à mettre à l’écart ceux qui estiment, du fait de leur passé résistant, mériter un tout autre sort. D’autres situations mettent face à face des militants ayant opéré dans des dispositifs différents. C’est le cas dans l’Yonne où s’affrontent, après un compagnonnage amical, deux dirigeants, Robert LOFFROY-capitaine SERGE et Charles GUY-commandant YVON. Le premier est à partir du 15 juillet 1944 CER-FTP puis à la Libération commandant des Milices patriotiques de l’Yonne. Le second, chef de bataillon FTP, commandant adjoint des FFI de l’Yonne, avant de remplacer son supérieur hiérarchique, le lieutenant colonel SADOUL-CHEVRIER après son départ à la tête du 1er régiment du Morvan intégré à la Ière Armée. Après le retour de LOFFROY, parti lui aussi achever la libération du territoire et l’exécution du nazisme, les deux hommes se retrouvent naturellement au sein de l’Association des Anciens FFI-FTPF de l’Yonne que Charles GUY préside. Robert LOFFROY 1 , manifestement encore ulcéré par les suites de leurs relations, admet aujourd’hui qu’il trouvait Charles GUY “ tellement sympathique, gentil, serviable, prêt à rendre service avec un cœur énorme ”. La rupture entre les deux hommes intervient en 1948-1949, lorsque LOFFROY, après y avoir longtemps résisté, finit par reconnaître les accusations portées contre GUY, à propos de ses activités entre 1941 et 1943. GUY est alors accusé de collaboration économique, notamment d’avoir travaillé sur un chantier proposé par l’occupant au Creusot en 1944. Il est exclu de l’Association qu’il présidait et du PCF de l’Yonne. Après une campagne publique de dénonciation, il est poussé à quitter l’Yonne en 1952 pour rejoindre son département natal, la Dordogne et sa préfecture Périgueux, où il retrouve rapidement des responsabilité dans ce qui est devenu l’ANACR. Les faits qui lui sont reprochés concernent la période 1941-1944. Avant et après, il est un responsable communiste, présenté comme cadre, “ chargé de suivre les FTP ”. Entre temps, il a développé sa petite entreprise de peinture en bâtiment, avec 26 ouvriers déclarés à l’office du travail d’Auxerre en 1944 et bénéficié d’un prêt de 300 000 F de la part de B., “ roi de la collaboration économique ” 2 et travaillé, en particulier pour des chantiers de peinture de camouflage pour l’occupant. Ces activités ayant été dévoilées à partir de 1948, il fait figure de traître, pour avoir joué double jeu et contribué à l’effort de guerre allemand. La découverte de cela par Robert LOFFROY, modeste agriculteur, homme intègre, sinon puriste, est d’autant plus dramatique qu’il lui avait jusque là accordé “ confiance ” et “ amitié ”, d’où une réaction brutale et une action persévérante pour le chasser, tout en déplorant l’effet désastreux dans l’opinion. En fait, l’affaire est plus complexe. GUY, au moment où il “ décroche ”, s’installe à son compte alors qu’il était jusque là ouvrier 3 , et selon le même rapport des RG se déclare en novembre 1942, en cessation d’activité, tout en poursuivant celle-ci. D’autre part, pendant cette période, il est lié à Jean JEROME donc au dispositif économique du PCF. Robert LOFFROY admet d’ailleurs cela, son beau-frère ayant aperçu l’homme de l’ombre chez Charles GUY. S’ajoutent les activités de Charles GUY à Périgueux. Etant donnés les liens entre l’ANACR et le PCF, la vigilance de ce dernier à l’égard des cadres, il serait tout de même étonnant que si les accusations portées à propos de ses activités de 1942 à 1944 étaient justifiées, jamais Charles GUY n’aurait retrouvé, fût ce loin de l’Yonne, des activités de représentations dans l’ANACR. La réalité est plus prosaïque : tout ce qui précède, avec de plus le fait que les activités professionnelles de GUY privilégiaient la proximité de la ligne de démarcation, va dans le sens d’une activité de couverture, servant de plus de source de financement et que cette réalité n’était manifestement pas, et n’est toujours pas, intelligible aux militants de l’Yonne comme Robert LOFFROY.

Ces observations permettent de renforcer ce que l’approche de quelques parcours singuliers avait permis d’esquisser. Il s’en dégage une image complexe de l’organisation politique qu’est le PCF, où la force unificatrice de la formation, de l’information, du centralisme démocratique, le système de reproduction de la commission des cadres n’ont pu résoudre les contradictions générées par les héritages, les difficultés nées des situations de guerre comme de la cohabitation de dispositifs différents, enfin des virages stratégiques successifs.

Se pose alors l’inévitable question du maintien d’une apparente cohésion, du silence durable de ceux qui renâclent à suivre la ligne officielle et leur incapacité à constituer une alternative 1 . En plus de l’épouvantable contrainte que faisait peser le climat de guerre froide, ce qui précède permet d’avancer que joua alors le poids d’une défaite politique initiale qui provoqua soit le retrait subreptice soit le repli interne. Dans cette seconde hypothèse, toutes les attitudes, de celle l’oppositionnel de service, toléré parce que contrôlé, à celle du replié bougon eurent en commun une totale impuissance politique.

Notes
1.

AD71 703W5.

2.

C’est notamment le cas de gens déjà cités comme Camille VAILLOT, mais aussi de jeunes cadres du maquis comme Paul PISSELOUP-commandant PAULO ou André VAREYON.

1.

Entretien 28 mars 1998.

1.

Expression de Rémy BOUTAVENT pour désigner ceux qu’il estimait frappés de dogmatisme.

2.

Daniel BOUTAVENT, qui a épousé la fille de Charles TUSSEAU, constate cette distance, pour la regretter.

1.

AD21 W21441.

2.

AD71 W116690.

3.

Notamment Paulette ASMUS pour Dijon et André VAREYON pour Oyonnax qui constituait alors un véritable bastion du PCF.

1.

Entretien 18 décembre 1996.

2.

Idem.

3.

AD89 1W319.

1.

Le faible poids numérique comme l’incapacité politique à fonder une politique nouvelle du groupe d’opposition UNIR en est une éloquente illustration.