2-Evolutions des positions et du cadre réglementaire

Le premier cadre réglementaire succédant à la Libération est constitué par l’instruction ministérielle du 7 septembre 1944 portant sur ‘“ la réorganisation et l’emploi des FFI ”’ ‘ 1 ’. Considérant que leur “ première mission est aujourd’hui terminée ”, ils “ doivent s’amalgamer avec l’armée française ”. La formation, l’instruction et la conduite des troupes relèvent du commandement FFI alors que le commandement territorial assure l’organisation administrative, les besoins, aux ordres du général commandant la région militaire. Différentes catégories de FFI sont distinguées : les moins de 18 ans et plus de 45 ans sont libérés, munis d’un certificat d’appartenance ; les personnels des services publics ou de métiers de première nécessité (PTT, SNCF, transports, hydroélectricité, mines, métallurgie, alimentation) sont appelés à reprendre “ leur activité normale ”, ce qui n’alla pas sans susciter réticences et déceptions. Est proposé aussi l’engagement dans les forces de police et de gendarmerie. Enfin, concernant l’amalgame proprement dit, il est proposé l’intégration sur place dans des “ troupes de sécurité du territoire ” ou dans des unités “ destinées à partir dans les plus brefs délais ”. L’instruction précise que les unités alors constituées devront porter des appellations “ avantageusement tirées des épisodes les plus glorieux de la Résistance qu’auraient vécu ces unités ”. L’appellation de régiment du Vercors est citée en exemple. Le contrat signé est de 6 mois, renouvelable par tacite reconduction. Précision dont nous verrons l’importance, les FFI “ n’ont pas droit de perquisition et de réquisition ”, “ doivent respecter la liberté des citoyens et le droit de propriété ”. Si le cadre réglementaire se précise, on ne peut qu’être frappé par l’absence de référence à l’idée d’armée nouvelle et de creuset si chers à de LATTRE. Le décalage est ici manifeste avec la réalité sur le terrain comme avec les intentions du commandant en chef.

Pour celui-ci, les journées de la Libération de la Saône-et-Loire furent impressionnantes. La présentation impeccable du Régiment de Cluny lors de la prise d’armes mâconnaise du 8 septembre, la contribution des maquis à la libération de Chalon-sur-Saône le 4 septembre, de Montceau-les-Mines le 6, à la bataille d’Autun les 8, 9 et 10, enfin l’arrivée par la vallée de la Loire des 25 000 maquisards du GMSO ou Colonne SCHNEIDER sont autant de faits qui confirment que l’amalgame est une urgente nécessité. Sur un plan général la bataille d’Autun, qualifiée par de LATTRE de “ grosse affaire d’Autun ” connecte toutes les données précédentes. Au-delà de sa dimension tragique, le déroulement de la bataille avait vu l’intervention, dans une coordination parfois peu assurée, de forces représentant à elles seule les éléments de l’armée dont rêvait de LATTRE. L’attaque initiale d’Autun avait été lancée par le  Régiment Valmy , en réalité puissant maquis FTP dont les rangs étaient en majorité constitués de mineurs de Montceau-les-Mines. Puis intervinrent les unités de l’armée B arrivant de Paray-le-Monial, que de LATTRE avait constitué en flanc-garde protégeant l’axe principal de la vallée de la Saône d’un éventuel basculement des forces allemandes sur celle-ci. La force principale était constituée par le 2e Dragonsdu colonel DEMETZ renforcée d’éléments du 2e CA dont les fusiliers marins de SAVARY. C’est d’ailleurs au cours de la bataille de chars de Fontaine-la-Mère, près d’Autun, que le commandant de NEUCHEZE, figure emblématique du régiment fut abattu depuis la tourelle de son TD, situation malheureusement fréquente sur cet engin performant mais dont la tourelle ouverte exposait son équipage aux tirs ennemis. Intervinrent dans cette bataille les FFI du Sud-Ouest avec notamment le Corps Franc POMMIES. Le colonel DEMETZ pouvait alors déclarer : ‘“ D’un point de vue national, la bataille d’Autun présente un caractère unique dans l’histoire de la libération : la coopération spontanée, sur une vaste échelle, des forces des maquis de la Résistance avec “l’armée régulière ” ”’. Si la situation ne fut pas aussi idyllique qu’il le dit, au cours de la bataille 1 ou dans ses suites, comme le montre l’  “ affaire SCHNEIDER ”, elle pose de façon urgente la question de la réalisation du programme d’amalgame.

A cette question, le général de LATTRE répondit à sa façon, fastueuse et charmeuse.

Le 22 septembre, dans les plaines de Saône, entre la rivière et Dijon, sont stationnées les arrières de ce qui est devenu la Iere Armée et de la VIIe Armée US, constituant depuis le 15 septembre le VIe GA US, la Colonne SCHNEIDER, et fraîchement arrivée, la Brigade du Languedoc. Ces unités sont paralysées par de gigantesques problèmes de ravitaillement, en carburant notamment 1 . Se pose de plus le problème ‘“ des masses de FFI, mal équipés, mal armés, et on le laissait entendre, mal encadrés ”’. Via BERTIN-CHEVANCE, il s’invita, le 22 à 11 heures pour un dîner où lui seraient présentés les cadres de la colonne de Toulouse qui constitue un des éléments du GMSO. REDON-DURENQUE ainsi promu hôte du général, jeta son dévolu sur le château de Saulon-la-Rue dont il avait déjà pu admirer la superbe façade Louis XIII. Propriété du prince de MERODE, la garde en avait été confiée à des religieuses pendant que le propriétaire servait comme lieutenant dans l’armée. C’est à la fin d’un repas arrosé au Chambertin, réunissant des officiers de l’ORA, “ les officiers socialistes de Carmaux ” et les officiers de la brigade FTP du Lot, que de LATTRE lança le cadre de son programme 2  : ‘“ Je créerai un 4e bataillon FFI dans chacun de mes régiments de tirailleurs, puis un régiment FFI de réserve générale par division. J’ouvrirai un créneau dans les Vosges pour 10 000 à 12 000 FFI sous le commandement du colonel SCHNEIDER, et puis je formerai une division FFI que je confierai à un officier général républicain, je dis : le colonel SALAN ”.’ Si les réalités matérielles, les réticences de certains ne permirent pas la réalisation totale de ce programme ambitieux et volontariste, il n’en reste pas moins qu’il exprime fortement, devant un parterre de cadres issus de la Résistance, la fermeté de la conviction du commandant en chef concernant le traitement des FFI.

Le décret du 23 septembre formalisait le cadre réglementaire en imposant un engagement volontaire pour la durée de la guerre. Et finalement, dans sa lettre du 7 octobre adressée à de LATTRE, le général de GAULLE apportait sa caution au programme de Saulon-la-Rue, sans y faire référence. Considérant avec lucidité qu’il y aurait “ un front stabilisé…pour tout l’hiver ”, le président du GPRF soucieux de la participation de l’armée française ‘“ aux futures batailles de 1945 ”’ ‘ 3 ’, fixait comme objectif le blanchiment de la 9e DIC du général MAGNAN, l’attribution d’un régiment FFI à chaque division, la constitution, avec ‘“ ce qu’il y a de meilleur dans les FFI de la zone de de LATTRE, d’une nouvelle division ”.’

Un mois après la libération de la Bourgogne, pouvoir militaire et pouvoir politique étaient donc totalement en phase concernant le mode d’intégration des FFI et la réalisation de l’amalgame. En réalité les situations locales avaient déjà dépassé cette réalité. Ainsi, au sein de la R1 FFI, commandée par le colonel DESCOURS, ce dernier diffuse dès le 9 septembre une “ Instruction sur la réorganisation des FFI ” destinée aux FFI de Saône-et-Loire. Ceux-ci se voient proposer six solutions, dès le 12 septembre :

  • Rentrer dans leurs foyers, munis d’un “ certificat d’appartenance ”, après avoir restitué leur armement.
  • S’engager à titre individuel dans les unités de l’armée de LATTRE en cours de reconstitution d’effectifs.
  • Partir en unité constituée sur le front de l’Est. Ainsi les 800 volontaires du Commando de Cluny regroupés par Laurent BAZOT partent-ils dès le 15 septembre pour les Vosges.
  • Partir en unité constituée pour contribuer à la formation de la Division alpine, entièrement FFI, avec de la FERTE.
  • Entrer dans une prévôté FFI chargée du maintien de l’ordre.
  • Constituer des “ Unités territoriales ”, sur la base de 4 compagnies de 80 à 120 hommes chacune, formant le 1er Bataillon de Saône-et-Loire.

Pour l’ensemble des quatre départements bourguignons, les chiffres d’engagés volontaires se répartissent comme suit, selon les chiffres communiqués par le général CHOUTEAU, commandant la région militaire au Ministère de la Guerre le 8 septembre 1944 : Côte-d’Or =609, Nièvre=3913, Saône-et-Loire=3563, Yonne=2668.

Notes
1.

AN AJ446 FFI Zone Sud.

1.

Voir notamment Michel VILLARD, Ombres et lumières de l’occupation et de la libération d’Autun, édité à compte d’auteur, Autun, 1984, 368p.

1.

Général REDON, colloque L’amalgame, op. cit.p.58.

2.

Idem p.59.

3.

Ibidem p.68.