Du côté de la Résistance intérieure, l’attitude à l’égard du projet est déterminée par deux données. L’une, négative, est constituée par une méfiance héritée de la majorité des forces résistantes 1 à l’égard d’une armée qu’une longue tradition antimilitariste, les séquelles de la défaite et l’attitude de l’armée d’armistice fait apparaître sous un jour particulièrement négatif. En contrepartie, le combat libérateur a suscité une vague d’enthousiasme portant de nombreux FFI vers le souhait d’apporter leur contribution au combat final. L’insistance du commandant de la Iere Armée sur la nécessité de respecter l’identité maquisarde intègre ces deux données et tend à offrir une issue satisfaisante aux FFI. Une réponse positive vient d’ailleurs du Comité militaire national (CMN) des FTPF qui dans un communiqué du 20 septembre 1944 estime que ‘“ les FFI, par le nombre, la diversité d’origines, sont les éléments essentiels de la nouvelle armée à créer ”’. Au moins sur le plan de la formulation, de LATTRE et les FTP sont au diapason.
Au sein de l’armée d’Afrique, les sentiments sont mitigés, avant même les premiers engagements. Le général MOLLE, chargé du bureau FFI à la Iere Armée, fait le point de la question dans une note de septembre 1944. Après avoir repris les trois modes d’intégration de FFI, au niveau du groupe ou de la section, du bataillon, en constituant des régiments FFI, il déplore un double fossé 1 , entre les Français et les FFI, entre l’armée d’Afrique et la Nation. Pour lui la source du problème est dans “ l’ignorance des faits ” de la part de la population comme des FFI, faisant de l’armée d’Afrique “une armée de métier, de mercenaires, j’allais dire de brutes ”, alors que les FFI tendent à se représenter comme “ l’âme révolutionnaire imbue d’un esprit nouveau ”. Manifestement, le passé n’est pas surmonté. Le général MOLLE, même s’il rejette avec véhémence l’image d’une armée de “ coloniaux ” encadrés par des “ vichystes ”, reconnaît que celle-ci est fortement présente chez certains FFI comme dans une partie de la population. Le rapport du général BROSSET, commandant la 1ere DFL, en date du 9 novembre part d’un même constat négatif. Il observe plusieurs clivages à l’origine “ du malaise moral constaté chez les troupes en ligne ”. De sa longue analyse, à côté d’un facteur portant sur l’ancienneté au combat, apparaît ce qu’il perçoit comme un “ traitement de faveur ” dont bénéficieraient les FFI, sur le plan de la discipline, du respect de la hiérarchie. Manifestement, ce que le général de LATTRE identifiait comme le nécessaire respect de la spécificité des FFI passe moins bien à l’échelon inférieur.
Les forces alliées ne font pas preuve d’un plus grand enthousiasme. Si hommage fut rendu ponctuellement à l’apport de ces soldats sans uniformes, bien des méfiances s’exprimèrent. Révélatrice de cet état d’esprit fut la demande du général BRADLEY, le 3 août 1944, de désarmer les FFI et FTP bretons, dès lors qu’ils seraient au contact de l’armée des Etats-Unis. La crainte, partagée par tant d’officiers de l’armée d’Afrique, de voir les FFI agir en force de transformation sociale n’est pas absente des préoccupations alliées. Cette défiance, strictement politique, a d’ailleurs été ressentie pendant la suite de la guerre par ceux qui furent intégrés dans des unités directement rattachées aux forces alliées ainsi que le vécut Max BASSET 1 , d’octobre 1944 à fin 1945. Tout jeune maquisard FTPF, né en 1927, il est recruté comme “ spécialiste ”, alors qu’il est forgeron et maréchal-ferrant, et intégré à la Compagnie moyenne de réparation automobile 751/3 au service d’unités de la VIIe Armée de PATCH. Il se souvient avoir vécu le sentiment d’être en permanence sous surveillance, perçu qu’il était, en tant qu’ancien FTP, comme un élément suspect.
Il apparaît donc que le projet d’amalgame, porté avec conviction et lyrisme par de LATTRE, ne fit pas l’unanimité que des récits quelque peu légendaires lui attribuèrent après coup. A l’adhésion enthousiaste de certains, particulièrement chez les FFI, répondaient de sérieuses réticences, largement portées par ceux qui n’avaient connu que le strict cadre de l’armée régulière, fut-elle humiliée en 1940, soumise de 1940 à 1942.
Ces données initiales, plus produit d’a priori que de vécu réel vont désormais entrer en action avec les réalités locales. La Bourgogne, parce que sa géographie en fait le lieu de mise en place de l’amalgame, par l’importance de ses maquis, par le fait qu’ils sont souvent dirigés soit par d’anciens cadres de l’armée soit par d’authentiques chefs est au cœur des situations nées de ce télescopage.
Jean-Pierre AZEMA, communication au colloque L’amalgame, p.28-34.
Général de LATTRE, op. cit. p. 62-64.
Entretien 16 juillet 1999. Il est issu d’une famille à l’histoire singulière. Habitant Montpont, au cœur de la Bresse, les BASSET furent tailleurs du 18e au 20e siècle, non baptisés, mariés et enterrés civilement, dans une région plutôt conservatrice et cléricale. Le buste de JAURES trône toujours sur la cheminée familiale.