I-L’ARMEE TRADITIONELLE EST PRESENTE CHEZ LES FFI : L’EXEMPLE DU 5e REGIMENT DE DRAGONS DE MACON

La perception quelque peu fantasmatique que certains cadres de l’armée d’Afrique avaient des FFI est largement décalée par rapport à une réalité bien plus complexe. De nombreux maquis étaient encadrés par des militaires de carrière. L’exemple du commandant Denys de CHAMPEAUX, authentique marquis, adjoint du commandant FTP Roland CHAMPENIER à la tête du “ Groupement Cher et Nièvre ” des FTP en fournit un exemple éclairant.

En Saône-et-Loire, en arrière plan des ruptures de l’armistice et de l’invasion de la zone Sud, apparaissent des formes de continuité, de 1940 à 1944.

Les clauses militaires de l’armistice aboutissent à un nouveau tracé des régions militaires, établi par le président LEBRUN et le ministre de la Guerre COLSON, le 26 juin 1940 2 . La partie non occupée de la Saône-et-Loire est intégrée à la 7e région militaire, dont le siège est à Bourg-en-Bresse, constituée de l’Ain et des parties non occupées du Jura et de la Saône-et-Loire. Dans un mémoire intitulé “ Histoire sommaire de la subdivision de Mâcon pour la période comprise entre juillet 1940 et août 1945 ”, adressé au SHAT en décembre 1956 par le lieutenant-colonel DURANTON alors chef d’état-major de la subdivision de Dijon 3 , l’auteur indique que Mâcon fut commandement militaire du département jusqu’en septembre 1942 puis subdivision jusqu’en 1945. Pour la période précédant la fin de la fiction de la zone “ libre ”, il constate que la documentation concernant les camouflages de matériels, les reconstitutions d’unités sous couvert d’amicales d’armes, les réseaux de renseignements et les filières d’évasions fait défaut, les archives de la subdivision ayant été brûlées entre le 9 et le 11 novembre 1942. L’auteur, qui appartint sans discontinuité aux structures de commandement départemental de 1940 à 1945, ne peut donc que retracer un cadre général. Les témoignages recueillis par la suite permettent de confirmer la réalité du double jeu d’une partie des cadres de l’armée d’armistice, en particulier dans la dispersion de matériel ou de carburants dans la campagne mâconnaise. Officiellement, la subdivision est principalement chargée “ de la surveillance de la ligne de démarcation ”. Les unités maintenues à la suite de l’armistice sont le 5e RD, composé de 3 escadrons, du 3e bataillon du 65e RI, d’un centre de démobilisation, d’une intendance départementale, d’une annexe de service de génie, d’une communication de gare, tous stationnés à Mâcon, auxquels s’ajoutaient un bureau de garnison à Tournus et à Droux, sur la ligne de démarcation, un officier interprète chargé des relations avec les autorités allemandes de Chalon-sur-Saône. A Tournus, un officier était chargé de régler avec les autorités allemandes les problèmes nés des formalités de passage de la ligne de démarcation par voie ferrée. De ce tableau, il ressort qu’en dehors de structures administratives, seul le 5e RD représente, malgré la faiblesse de ses effectifs et la modestie de ses armements, ce qui peut ressembler à une force militaire.

Du 11 novembre, jour où les premiers blindés allemands font leur entrée dans Mâcon à 7 heures 30 au 27 où la situation est stabilisée, la plus grande confusion règne. Les forces d’occupation installent un état-major de liaison, le Verbindungstabe 893 assisté d’un détachement de felgendarmerie à l’Hôtel des Champs-Elysées, place de la Barre, à quelques pas de ce qui fut une véritable plaque tournante du renseignement et de l’assistance aux résistants de la région mâconnaise, le café de la Perdrix. Bien des ouvrages en font une kommandantur, ce qui n’est pas le cas. L’ensemble est commandé par le colonel BRÜCKNER, ‘“ vieil officier prussien traditionnel et cultivé ”’ ‘ 1 ’, beaucoup moins entreprenant que celui qui depuis la Kommandantur de Chalon règne sur la partie nord du département, le lieutenant SS KRÜGER, ‘“ coléreux, grossier, brutal, alcoolique ”’ ‘ 2 ’. Le 12, les troupes françaises sont envoyées en casernement à Bourg-en-Bresse. Un contre ordre les ramène à Mâcon qu’elles quittent le 16 pour Toulon, officiellement pour assurer la “ défense des côtes ”. Elles sont renvoyées 2 jours plus tard. Jusqu’au 27 novembre, troupes allemandes et françaises coexistent donc dans Mâcon. Pour éviter tout incident, elles sont consignées un jour sur deux, en alternance. Le 27 novembre, à 6 heures du matin, les casernes et services sont brutalement investis par les troupes d’occupation. Le colonel de CHANTERAC, commandant la subdivision, est arrêté avec ses officiers, avant que tous soient relâchés le soir même. Il s’agit de la mise en œuvre d’un ordre de l’OKW imposant la dissolution immédiate de l’armée francaise 1 . Commence alors la démobilisation, ‘“ d’abord sans ménagements ni ordre, sous la pression du boche, mais bientôt méthodiquement, sous la direction des chefs de corps et commandants de casernes ”’ ‘ 2 ’. L’étendard du régiment est sorti clandestinement, un officier s’en étant drapé sous ses effets, la hampe est brûlée. Désormais, une partie de l’effectif est disponible pour l’aventure résistante.

La période qui va du 27 novembre 1942 à la Libération voit se développer une sorte de double jeu de la part d’officiers restés dans le cadre des quelques éléments conservés de l’armée d’armistice. Les subdivisions et les districts sont maintenus, mais avec des effectifs extrêmement réduits. Les fonctions sont principalement administratives. Ainsi, l’état-major de Bourg est chargé de la gestion des dossiers des militaires licenciés et des prisonniers de guerre rapatriés. A la subdivision de Mâcon, de CHANTERAC est remplacé le 1er octobre 1943 par le colonel PIALOUX puis le 30 avril 1944 par le colonel DESIDERI. Le commandant GREYFFIE de BELLECOMBE est officier commissaire de gare. Derrière cette façade officielle, ces officiers développent l’action clandestine. Les axes du travail sont la sauvegarde des dépôts constitués, l’obstruction au STO, le renseignement sur les mouvements de troupes allemandes et l’aiguillage vers les maquis en cours de formation dès fin 1942. Derrière le paisible commandant de BELLECOMBE se cache BEAURIVAGE, chef départemental de l’AS, fonction partagée avec l’architecte de Cormatin Maurice PAGENEL-DANGLARS. Evidemment, cela constituait des activités à hauts risques, renforcés par une certaine perméabilité des organisations des MUR et de l’AS. Le 18 septembre 1943, l’adjoint de BELLECOMBE, le capitaine le BOUCHER D’HEROUVILLE est arrêté, déporté et ne reviendra pas des camps. L’action de l’agent infiltré GARCIA provoque en Saône-et-Loire des chutes en cascade qui décapitent la direction de l’AS. Le 23 janvier 1944, plusieurs dizaines d’arrestations sont opérées par la Gestapo lyonnaise. Parmi les victimes figurent DANGLARS, BEAURIVAGE, PONTHUS maire de Cruzille. DANGLARS succombe au supplice de la baignoire à l’Ecole de Santé de l’Avenue BERTHELOT à Lyon, le corps de BEAURIVAGE est retrouvé dans le Rhône, PONTHUS est déporté et ne rentrera pas. Aux protestations adressées à BRÜCKNER, celui-ci répond qu’il est étranger à une opération relevant exclusivement de la Gestapo lyonnaise. Malgré les risques ainsi encourus, n’accédant pas à leur demande de rejoindre le maquis, celui qui a succédé à de BELLECOMBE à la tête de l’AS départementale, de la FERTE-FERRAND ordonne à plusieurs officiers, en particulier les capitaines DURANTON et GAILLOT de rester à la subdivision. Le 18 août, le colonel DESIDERI gagne Cluny où siègent FERRAND et TIBURCE du SOE.

A la Libération, dès le 4 septembre, l’état-major FFI s’installe à l’hôtel des Champs-Elysées, ainsi resté inoccupé seulement 3 jours. Le colonel DESIDERI reprend son commandement à la subdivision, mais selon DURANTON “ il resta totalement ignoré des autorités FFI jusqu’à son départ ”, les dites “ autorités FFI ” exerçant “ l’autorité militaire de fait ” 1 .

C’est progressivement que la situation va se décanter. Il y eut d’abord “ l’épisode ALAIN ”. Le 14 septembre 1944, la subdivision de Mâcon est rattachée provisoirement à la 14e RM commandée depuis Lyon et se voit affecter comme tâche le soin de regrouper tous les matériels militaires “ français, alliés ou ennemis détenus par les formations de la Résistance, abandonnées ou récupérées ”. Le bilan de ce travail est impressionnant 2  : 5 millions de cartouches d’infanterie, 10 tonnes de grenades, 16 tonnes de munitions d’artillerie, 1,7 tonne de plastic, 5 000 fusils divers, 600 FM, 50 mitrailleuses, 5 pièces de DCA, les redoutables 88mm allemands, 6 chars allemands, 8 Sherman, 10 chenillettes et pour couronner le tout le fameux “ Scarabéus ”. Ce train blindé qui fut utilisé pour tourner La Bataille du Rail, avait été immobilisé à Saint-Bérain-sur-Dheune, entre Paray-le-Monial et Chagny, le 7 septembre 1944, par les tirs du TD “ Le Béarn ” appartenant à la 1ere DB de du VIGIER. Les obus de 76,2 mm étaient parvenus à détruire les bielles et la chaudière de la motrice.

Enfin, le 27 janvier 1945, les deux états-majors, FFI et de subdivision fusionnent ; le premier se voit cantonné dans la régularisation de la situation des FFI et dans les questions de la sécurité militaire.

C’en est fini de l’autonomie des forces issues du combat libérateur. Il reste que l’exemple de la situation mâconnaise révèle une réalité bien plus complexe du phénomène FFI que ne l’imaginaient ceux qui, coupés de la réalité nationale depuis des années, se livraient volontiers aux dérives fantasmées. Des hommes comme de BELLECOMBE ont été internes aux deux réalités, celle de l’armée officielle, vaincue de 1940, abaissée de 1940 à 1942, enfin réduite à une peau de chagrin et celle de l’armée des ombres.

Notes
2.

SHAT SP49.1.

3.

Idem.

1.

Jeanne GILOT-VOISIN, La Saône-et-Loire sous Hitler, Ed. FOL, Mâcon, 254p., p. 207.

2.

Idem.

1.

SHAT Fond GAMBIEZ 1K540.

2.

Lieutenant-colonel DURANTON, Histoire sommaire de la subdivision de Mâcon pour la période comprise entre juillet 1940 et août 1945, adressée au SHAT en décembre 1956. Cet officier est alors chef d’EM de la subdivision de Dijon. SHAT 9P49.1.

1.

Lieutenant-colonel DURANTON, op. cit.

2.

SHAT 9P49/2